Le 14 avril, le tribunal de Nanterre rend une décision contraignant Amazon à « restreindre l’activité de ses entrepôts aux seules activités  » essentielles. Quels sont les motifs de la décision ? Quelle lecture faire de cette ordonnance dans une perspective de déconfinement progressif annoncé à partir du 11 mai ?

Amazon a perdu en référé le 14 avril – cas d’espèce ?

L’interpellation de lire la source !

J’ai rarement l’occasion de lire des décisions de justice. Je sais que cela mérite d’être laissé aux professionnels et que mes années d’étude de droit datent d’un autre siècle. Toutefois, invité par un tweet d’El professor en Effectuation, je ne peux que me jeter dans cette belle lecture.

Quand @phsilberzhan cite Mediapart, il y a de quoi intriguer !

 

N’étant pas abonné au média en ligne fondé et présidé par Edwy Plewel, me voilà obligé de chercher une alternative et je finis par trouver l’ordonnance grâce à NextImpact. Merci à eux d’avoir mis cette belle lecture à portée de clic.

Bref, un retour au texte plutôt qu’à ses commentaires ne pouvait pas me faire de mal pour comprendre ce qui s’était joué, dans l’urgence d’un référé entre le 8 et le 14 avril.

Amazon condamnée par ordonnance (la décision)

Pour synthétiser les faits : 2 associations l’Union syndical solidaires (sic) et les amis de la terre assignent Amazon France Logistique SAS essentiellement sur le fondement de la prévention des risques pour les personnels poursuivant l’activité dans l’un des 6 entrepôts.

Cela remet quelques éléments en tête pour Amazon qui :

  • emploie près de 10 000 personnes en France, dont les deux tiers en contrat de travail et le reste en intérim (chiffres de février 2020) ;
  • fait tourner ses entrepôts en deux 8, y compris les week-ends avec une préparation de nuit pour que les clients reçoivent leurs colis le samedi.

[Je pense à toutes ces personnes qui permettent à une partie de l’activité économique de ne pas complètement sombrer, en cette période, et me sens profondément reconnaissant pour leur mobilisation.]

Dans son rôle, l’union syndicale solidaires(1) (sic) demande au juge :

  • d’ordonner à Amazon de procéder à une évaluation des risques professionnels liés à l’épidémie dans les 24 heures ;
  • une mise sous astreinte de 100 000 euros par jour. Cela veut dire qu’Amazon devrait payer cette somme en cas de non exécution de la décision du juge.

Après un long exposé des arguments des différentes parties et des articles de loi, le juge conclut qu’Amazon est condamnée à « faire cesser le trouble manifestement illicite et de prévenir le dommage imminent » en procédant à l’évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de Covid-19, en y associant les représentants du personnel.

Tant que ce n’est pas fait, Amazon se voit soumises aux obligations suivantes :

  • restreindre les activités de ses entrepôts à la réception des marchandises, la préparation et l’expédition des commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène et de produits médicaux ;
  • une astreinte « dont le montant doit être proportionnée aux moyens financiers de la société », soit 1 million d’euros par jour de retard.

En résumé, le juge fonde sa décision sur :

  • d’une part, un manque d’information et de formation d’Amazon auprès de ses salariés sur leur poste de travail (notamment sur l’emploi des gants) ;
  • d’autre part, sur un manque de preuve des actions de mise en oeuvre de la politique de prévention des Risques Psycho-Sociaux en période de Covid-19.

Une ordonnance de référé délivre une décision de droit exécutoire à titre provisoire.

Amazon « perplexe sur la décision »

Sans attendre, le 16 avril, le directeur général d’Amazon France indiquait d’ailleurs faire appel de la décision dans un mail adressé à ses clients. Il indiquait aussi dans le même mail qu’Amazon continuerait à assurer ses livraisons, « sans restriction de catégorie », depuis son réseau international avec des « délais ajustés ».

Le mail indique également qu’Amazon a demandé à ses collaborateurs français de rester chez eux la semaine faisant suite au jugement, tout en maintenant leur salaire.

Vers un cas général ?

Ce qu’on peut lire dans ce document de 16 pages est quand même une entreprise qui a fait évoluer les choses en privilégiant d’abord la sécurité sanitaire, et qui, comme la plupart des entreprises, des gouvernements, des organisations… dans le monde… apprend pendant cette crise. Et que ce sont justement ces apprentissages, ces essais et ces améliorations qui se retournent d’une certaine façon contre elle, sur le fondement d’une loi faite pour un temps « normal » d’éléments prévisibles. En effet, le juge indique que les réorganisations des postes de travail – notamment mises en place pour augmenter l’effet des gestes barrières etc. – n’a pas fait l’objet d’une démarche suffisante de risques psycho-sociaux.

Cette ordonnance pose-t-elle une orientation pour les employeurs lors des réouvertures à partir du 11 mai ?

Toute visite – autorisée – d’entreprise à l’activité « essentielle » incite à l’humilité absolue en termes de préparation préalables des sites à cette crise : des bureaux, ateliers, chaines ont été réorganisés de A à Z, depuis le 16 mars, avec des personnels briefés au fur et à mesure des découvertes et livraisons des matériels de protection nécessaires. Des mesures sanitaires à répéter à chaque rotation d’équipes. Or, malgré tout l’intérêt de démarches à long terme sur la santé mentale, les mesures immédiates ont visé la santé physique des salariés et leur protection contre le virus. Et il reste des choses à apprendre sur le virus, les méthodes de prévention.

La priorité des entreprises qui seront autorisées à rouvrir à partir du 11 mai sera certainement de protéger d’abord la santé physique de leurs employés. Toutes celles qui auront réussi cela, et ne souffriront pas un cas chez elles pourront s’estimer déjà heureuses, avec les connaissances actuelles sur le virus.

Viendront après les risques psycho-sociaux liés aux conséquences complexes du Covid-19, du confinement, de la décision de l’Etat de fermer des pans de l’économie en quelques jours, aussi pour certains, de l’immense tristesse d’avoir été frappé dans sa famille par la maladie… tout cela ne pourra certainement pas être laissé au monopole de l’employeur !

 

Notes :

(1) l’intervention des amis de la terre, qui fédère une trentaines d’associations locales autour de la protection des êtres humains et de l’environnement, a été déclarée irrecevable, pour défaut d’intérêt à agir.