16 mars 2022, le Sénat rend les résultats de son enquête « Un phénomène tentaculaire : l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques ». Dans la dernière ligne droite de la présidentielle, les réseaux sociaux s’emparent de ce rapport. Le #McKinseyGate est né ! Quelques observations et réactions.
Une enquête dans la ligne droite de rapports de la Cour des comptes
En novembre 2014[1], la Cour des comptes communique un rapport intitulé de façon neutre « Le recours par l’État aux conseils extérieurs ». Rapport communiqué à la demande de la commission des finances du Sénat, déjà à l’époque. Ce rapport porte sur les cabinets de conseil en stratégie et management. Pas sur les ESN, comme l’enquête actuelle.
Je résume les onze recommandations sur trois axes :
- les dépenses de conseil extérieur : piloter la dépense et diversifier ses prestataires ;
- les conditions d’emploi des conseils extérieurs : s’assurer du transfert des connaissances, partager les livrables produits, pour favoriser et accompagner la montée en compétences des agents ;
- les conditions de recours aux prestations extérieures, on retrouve six recommandations. Cela démarre par la formalisation de son besoin par l’administration ; la constitution des équipes, avec des membres de l’administration ; la doctrine pour éviter les conflits d’intérêt…
En 2022, le Sénat reconnait que le rapport suivant de la Cour des Comptes en 2018 réitère les recommandations [2], mais…
« Les recommandations de la Cour des comptes sont pour la plupart restées lettre morte jusqu’aux travaux de la commission d’enquête sénatoriale. »[3]
Un travail documenté du Sénat
Le rapport d’enquête fait deux tomes : le rapport dit « tome 1 » en 385 pages, puis le tome 2 avec les auditions en 417 pages. Le communiqué de presse met en avant la méthodologie de l’étude.
40 auditions, 47 personnes entendues sous serment, 131 questionnaires et 7 300 documents recueillis et analysés pour cette enquête.
Une méthode robuste, digne des meilleurs cabinets !
Des progrès possibles dans la connaissance de la transformation d’organisation
Le Sénat brasse des sujets très vastes et représente les citoyens. En aucun cas, il ne peut être expert de tous les sujets qu’il étudie. La méthode vise à éviter de faire des raccourcis et à comprendre un métier ou un secteur dans des délais brefs, pour émettre des recommandations. J’ai malheureusement identifié quelques exemples de connaissance limitée du métier de la transformation.
« Ces méthodes peuvent être mal acceptées par les agents publics, comme le montre l’intervention de Wavestone à l’Ofpra pour réduire les délais de traitement des demandes d’asile (prestation réalisée en 2021-2022, pour un montant de 485 818 euros)[4] ». Membre du conseil d’administration[5], Madame la Sénatrice Éliane ASSASSI a ainsi pu témoigner des méthodes de cabinet choisis pour intervenir à l’Ofpra[6].
Le métier du conseil se fait souvent dans un environnement complexe d’organisation, que les dirigeants veulent transformer. Cette transformation – autant se le dire – ne plait pas à tout le monde.
Des progrès possibles dans la connaissance du métier du conseil
Pour le consultant, le choix du logo est de la responsabilité du client. Comme le répond un directeur de cabinet : « Toutes nos activités au service d’un client sont propriété du client. Le choix du logo figurant sur la documentation que nous fournissons relève donc de celui-ci ».[7]
Enfin, un dernier élément de découverte pour le Sénat du métier lors de l’enquête : « les cabinets de conseil conseillant simultanément plusieurs clients[8] ». C’est tout à fait exact. Certains y voient même une composante de la valeur ajoutée de cabinets. L’expérience de la transformation déjà démontrée. Les enquêteurs du Sénat incluent cette caractéristique du métier dans le paragraphe sur les conflits d’intérêt.
Des constats du Sénat donnant des suites ?
Le rapport indique que « Parfois, aucune suite tangible n’est donnée à leurs prestations »[9] [des consultants]. Le Sénat a eu plus de chance ! Son enquête produit des effets avant même d’être finie. En effet, « le 19 janvier 2022 – soit le matin même de son audition par la commission d’enquête – Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques, annonçait par voie de presse la volonté de l’État de « faire baisser en 2022 de 15 % au moins les dépenses sur les conseils en stratégie et en organisation pour tous les ministères »[10].
Le Sénat indique que « Une journée de consultant coûte en moyenne 1 528 euros à l’État[11]. » Cette observation appelle plusieurs questions :
- Faut-il en déduire la preuve de l’efficacité du processus d’Achats de l’Etat ?
- Ce prix est-il au contraire la preuve que la complexité de l’Administration requiert une tarification au-dessus de la moyenne du marché ?
En conclusion, l’enquête souligne l’importance de donner des suites à des recommandations déjà indiquées dans le rapport de la Cour des comptes. La persévérance de l’institution entre 2014 et 2022 est remarquable.
Enfin je ne peux que remercier le Sénat avec sa première recommandation[12], qui remet au goût du jour l’ouverture des données des achats publics, sujet auquel je suis tant attaché[13] !
======================Références :
[1] Le rapport est publié Le 12 mars 2015, soit 7 ans, à quelques jour près, avant l’enquête approfondie du Sénat.
[2] « La Cour confirme ses observations en avril 2018, en se concentrant sur le recours aux cabinets de conseil dans les établissements publics hospitaliers », page 71 de l’enquête du Sénat, Tome 1.
[3] Page 71 de l’enquête du Sénat, Tome 1.
[4] Page 13 du rapport d’enquête
[5] https://www.nossenateurs.fr/organisme/office-francais-de-protection-des-refugies-et-apatrides-ofpra
[6] « – D’après les échos que je reçois de mon côté, les relations entre vos consultants et les salariés de l’Ofpra sont difficiles… N’oublions pas que les agents sont des professionnels dans le traitement des êtres humains qui demandent l’asile en France. » Page 403 du rapport tome 2.
[7] Page 399 du tome 2 de l’enquête, réponse de Mathieu Dougados
[8] Page 6 du communiqué de Presse
[9] Page 6 du communiqué de Presse
[10] Page 75 du tome 1 du rapport d’enquête
[11] Communiqué de Presse, page 6
[12] « Pour plus de transparence, publier la liste des prestations de conseil de l’État et de ses opérateurs : – dans un document budgétaire, annexé au projet de loi de finances ; – et en données ouvertes, pour permettre leur analyse. » page 23 du tome 1 de l’enquête
[13] CF. mes articles sur ce blog depuis 2014 aussi.
Il est dommageable de créer une suspicion a priori sur les prestations des cabinets de conseil. Ceux-ci n’ont pas vocation à se substituer à la volonté politique, mais à rendre aussi efficiente que possible l’exécution de l’action publique décidée par les gouvernants, les ministres et les dirigeants d’entités publiques. Une prestation de conseil est toujours un contrat de confiance entre le donneur d’ordre, public ou privé, et le cabinet. Chacun y apporte ses compétences afin que la valeur apportée à la suite des prestations dépasse leur coût.
Merci Louis-Aimé pour ce commentaire. Cela me ramène quelques années en arrière, quand tu recommandais à un dirigeant d’exercer son devoir de client. Effectivement, la suspicion envers une profession ne porte aucune nuance et disqualifie selon moi celui qui la porte.
Il faudrait se pencher un peu plus sur l’acte d’achat lui-même – regarder ce qui s’est passé en amont : le sourcing, le cahier des charges, la modalité de sélection de l’offre… La transparence devrait se jouer plus sur ce niveau que sur un listing de prestation avec des prix. Cela permettra de jauger s’il s’agit bien d’un « contrat de confiance entre le donneur d’ordre, public ou privé, et le cabinet » ou bien d’un contrat de confiance entre le représentant du donneur d’ordre (le cadre qui utilise la prestation) et le représentant du cabinet (le partner qui vend et supervise la prestation).
Merci Romaric. Je te rejoins car j’estime que chaque acte d’achat doit être motivé. C’est au moment de cette discussion, entre une personne qui émet le besoin, et la personne qui lui propose une solution, que se joue réellement la discussion et l’arbitrage sur la valeur attendue.
Bonjour. Les tarifs des consultants sont souvent à des niveaux difficiles à comprendre pour la majorité des électeurs qui ne connaissent pas la valeur de la matière grise, entraînant des réactions épidermiques dont il faut en effet se méfier. D’ailleurs, les consultants débutants ont souvent du mal à valoriser suffisamment leurs prestations pour en vivre. Les profs à qui on reproche souvent le faible nombre d’heures d’enseignement, oubliant les heures de préparation, souffrent du même angle mort).
Dans le cas du McKinseyGate cependant, est pointé l’inanité de certains rapports, le peu de compétence de ce cabinet sur certains dossiers confiés (éducation, santé…) et les liens troubles entre d’une part McKinsey et Pfizer, et d’autre part McKinsey et la Macronie : par exemple, les conseils gratuits délivrés au au candidat Macron en 2017 auraient du rentrer dans les comptes de campagne, au lieu de ce déni de valorisation du conseil.