Depuis la publication du rapport du Sénat sur les cabinets de conseil, on lit tout et surtout n’importe quoi dans la presse et les réseaux sociaux sur le rôle supposé des cabinets de conseil en stratégie, sur la qualité et le coût des prestations des consultants en stratégie et transformation. Malheureusement, l’impression que j’ai est que la plupart de ces articles sont écrits par des auteurs qui ne connaissent pas ce sur quoi ils écrivent ou pire ce sur quoi ils donnent leur avis. Cet article reprend deux des critiques souvent formulées et explique pourquoi elles sont en général infondées pour le conseil en stratégie. Et cerise sur le gâteau, cet article vous fournit un lien vers un roman facile à lire et qui vous en apprendra plus sur le métier de consultant que des tonnes d’articles de journaux ou de kilomètres de commentaires sur les réseaux sociaux.
Quand le sensationnel fait vendre, il est tellement tentant de raconter n’importe quoi… non je ne parle pas des consultants en stratégie mais des journalistes (malheureusement)
Avec le rapport du Sénat sur les cabinets de conseil en stratégie, (« Un phénomène tentaculaire : l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques » du 16 mars 2022) on lit tout et n’importe quoi dans la presse et les réseaux sociaux sur le rôle supposé des cabinets et sur la qualité et le coût de leurs prestations.
La pêche aux caricatures du jour
Rien que ce jour je trouve cet article de Harold Bernat dans Marianne : « Les cabinets de conseils, ces nouveaux parasites »
qui fait lui même référence à un autre article de Johann Chapoutot : « Sophistique et médiocrité sont les deux mamelles du consulting »
Rien qu’avec ce genre de titre, on peut s’attendre à trouver des analyses sourcées, objectives de gens qui comprennent de quoi ils causent. En tout cas j’ai lu l’article d’Harold Bernat, celui de Johan Chapoutot n’étant pas gratuit hors les 5 premières lignes. Autant vous dire que pour moi ces 2 auteurs racontent à peu près n’importe quoi et usent de poncifs éculés, avec un style brillant et enlevé certes.
Je ne peux résister à l’envie de vous copier le début de l’article de Johann Chapoutot, qui est un modèle du genre : « Depuis quelques décennies, c’est ainsi : quand on ne sait rien faire, et quand on ne sait pas quoi faire de sa vie, on fait du conseil. C’est gratifiant, car on indique aux autres comment faire ce que l’on n’a jamais fait soi-même, et que l’on ne saurait pas du tout faire. C’est facile, parce que cela demande quelques paresseuses navigations sur le Net, pour glaner quatre chiffres, trois faits et deux images. On monte ensuite tout cela sur des PowerPoint (le logiciel qui rend idiot), avec quelques schémas et tableaux vite bidouillés, un jargon à coucher dehors (facile à fabriquer, avec des suffixes en -iel, de type « présentiel », beaucoup de franglais, et les mots des crétins de l’heure – disruption, proactif, livrable, etc.), puis l’on « délivre » (to deliver) des slides et un texte indigent. »
Le reste est à peu près du même acabit
Au delà ce ces articles ou billets caricaturaux, dans la plupart des articles vus je n’y trouve que des avis de rédacteurs qui n’ont manifestement vu que de loin les résultats d’une mission de conseil en stratégie, voire de personnes qui ne connaissent pas du tout le métier de consultant en stratégie.
Il est vrai que les termes « consultants », « conseil » et « consulting » ne veulent plus rien dire aujourd’hui et n’importe quelle entreprise qui vend des services ou des mix produits-services, peut s’appeler truc machin consulting. Certains d’entre vous ont dû voir les camionnettes de cette entreprise spécialisée sur les ouvrants (fenêtres, portes, stores…) qui se sont appelés « fenêtres consulting ».
Cela ne facilite pas la connaissance et la compréhension du métier de conseil en stratégie ou de conseil en transformation (de mon temps on disait conseil en organisation). C’est de ce métier dont parle cet article à l’exclusion d’autres types de prestations de services qui s’appellent aussi « conseil en truc machin bidule chouette «

Conseil en stratégie : des mots creux et des rapports d’étude indigents… vraiment ?
Une des critiques que j’ai plusieurs fois lue sur les réseaux sociaux est la faible qualité des dossiers et l’utilisation de mots creux dans les rapports des consultants. Cela me surprend car de ma propre expérience, dans les cabinets de conseil en stratégie on apprend plutôt exactement l’inverse. Encore une fois cela ne veut pas dire que ce n’est jamais le cas et qu’aucun consultant ne va céder aux sirènes de la mode ou du style pour utiliser parfois des mots creux, mais généralement ce n’est pas le cas. Dans les dossiers conseils nous apprenons toujours à nos consultants à argumenter et démontrer chaque message avec des analyses qui peuvent être plus ou moins solides (mais toujours sourcées, en transparence sur la qualité des données sources et avec les fichiers d’analyse en annexe). Chez ISLEAN nous vérifions, de plus, la vraisemblance statistique de nos analyses quand nous travaillons sur de petits échantillons et si nous ne pouvons pas conclure (mathématiquement parlant) nous le disons et l’écrivons en toute transparence. Deux anecdotes qui m’ont marqué à ce sujet des soit disant mots creux ou rapports sans substance.
« The burning platform for change »
Peu de temps après la fusion entre deux cabinets de conseil en stratégie (appelons la « la fusion du cabinet Durand avec le cabinet Dupont »), je réalise une mission internationale dans un contexte de fusion de deux entreprises. Nous devions notamment auditer les existants informatiques de deux sociétés. Un des directeurs de mission (issu du cabinet Durand) avait écrit dans une page du rapport : « it is not a burning platform for change » en titre de chapitre. J’étais moins gradé que lui mais je lui avais fait remarquer que son titre n’était pas argumenté et qu’il n’expliquait ni pourquoi il portait ce jugement ni ce qu’il signifiait exactement, et je lui pronostiquai que le client allait immédiatement remarquer ce message fort et non argumenté. Que n’avais-je pas dit ! Crime de lèse-majesté ! Scandale ! puisque d’une part je me permettais de critiquer un consultant plus gradé que moi et qui de plus venait du cabinet Durand. Cela montrait bien toute l’arrogance du cabinet Dupond et de ses consultants ! Evidemment, pour qui me connait, ce genre de considérations politiques étaient complètement absentes de mes modes de pensée, je ne pensais qu’à être rationnel et explicatif (sûrement mon côté maitre d’école !).
Patatras le lendemain en réunion de validation finale de la mission, ça n’a pas manqué, à peine mon « chef » avait présenté son message, que le client lui demandait ce que cela signifiait et ce qui lui permettait d’émettre ce jugement… réponse embarrassée de mon chef… bref, une cartouche grillée… sujet suivant.
Donc oui les consultants utilisent parfois des mots ou des phrases creuses mais c’est loin d’être fréquent, en tout cas chez les bons consultants.
La communication des dossiers « communiquables »
L’autre exemple que j’ai en tête est un client qui nous demande un audit sur une mission réalisée par un autre cabinet. Et dans le cahier des charges, le client nous fournit le rapport réalisé par ce cabinet. Le rapport est très succinct et nous pensons de prime abord que c’est du très mauvais travail.
Une fois notre proposition commerciale gagnée et la mission démarrée, nous découvrons que ce document n’est qu’une présentation orientée communication et que les différents documents formalisés sur la mission d’audit sont beaucoup plus détaillés et de bonne qualité.
Je pense que beaucoup de gens portent des jugements sur des documents qui ne sont que des synthèses de communication voire des présentation de synthèse pour communication orale, en tout cas une vision très partielle des résultat d’une mission de conseil. Par ailleurs souvent ces personnes ne sont pas au courant de ce qui a été demandé au cabinet.
Pour moi c’est quasiment du même acabit que des gens qui diraient « tous les plombiers sont des incompétents et des truands ». La réalité est heureusement bien différente. Les consultants en stratégie sont encore souvent des artisans et comme tous les artisans il y en a des bons, des excellents et des moins bons.
Mais alors comment se faire une idée à peu près claire et sérieuse du métier de conseil en stratégie ?
Il faut le redire, le rapport du Sénat est bien fait et bien documenté. Le lire vous apprendra bien plus sur le sujet que tout ce que vous pourrez lire dans la presse et les réseaux sociaux, où comme toujours les pours et les contres s’affrontent sans retenue, sans nuance et sans s’écouter. J’essaierais dans un prochain article de faire une lecture commentée de ce rapport car il donne cependant une vision extérieure des résultats mais sans donner de clés sur le comment ces résultats sont obtenus et le contexte dans lequel les consultants parfois travaillent.
Je pense que si vous voulez avoir une vision intéressante du métier de consultant en stratégie et transformation, en tout cas d’une des réalités de ce métier à nombreuses facettes, et en même temps passer un bon moment de lecture, intéressez vous aux écrits de Michel Volle et notamment le roman qu’il a écrit en 2009 : Le Parador (2009) : http://www.volle.com/ouvrages/parador/parador.pdf
Je l’ai lu il y a longtemps et me rappelle juste qu’il m’avait marqué. Notamment car il donnait une image intéressante et saisissante des rouages intimes du fonctionnement d’une entreprise.
En tout cas je pense qu’il donnait une description intéressante du métier de consultant, même si ce n’est sûrement pas une vérité absolue et si ça ne montre qu’une partie du métier. De surcroit c’est un roman, donc plutôt palpitant et facile à lire. Cet ouvrage montre bien à mon avis, que ce métier mérite bien plus que les critiques qui lui sont faites ces derniers temps.
Je verrais bien Vincent Lindon jouer dans une adaptation de ce roman, il serait excellent dans un des rôles de consultant !
Fort juste.
Et dans le même temps, on est pas aidé avec des expressions du type « donner un conseil » alors que sous d’autres cieux, on utilise plus naturellement « vendre ses conseils »….
C’est d’autant plus vrai que Johann Chapoutot, excellent historien, est justement historien: En qui est-il qualifié pour émettre un jugement (et non un avis) sur les cabinets de conseil? Je ne me permets pas de juger le métier d’historien.