Dans le cadre de nos rencontres avec des entrepreneurs, nous avons eu la chance de rencontrer Amédée Levillain, co-fondateur d’une plateforme de gouvernance autour de la messagerie et de contenus collaboratifs, Knowa. Amédée partage pour ISLEAN le parcours de l’aventure entrepreneuriale et son expérience.
Rencontre avec Amédée Levillain co-fondateur de Knowa – une plateforme de gouvernance
Quel est le problème à résoudre qui a lancé Knowa ?
Avec Knowa, nous voulions répondre à des enjeux de structuration des échanges d’informations en partant de la gouvernance au niveau exécutif des organisations qui aujourd’hui sont de plus en plus complexes, les équipes étant éparses, et de manière croissante décentralisées puisque à la fois internes et externes. Knowa se présente comme “Complex governance, made simple”.
Nous sommes partis de l’industrie des fonds de pension à prestations définies au Royaume-Uni (2TR de passifs) – dans laquelle nous opérons au travers de notre cabinet Zephyrus. Cette industrie est gérée par des trustees (avec une fonction de non exécutifs indépendants), qui opèrent via un management externalisé (des consultant externes), en collaboration avec leur employeur. A ce titre, nous y trouvons tous les ingrédients d’une gouvernance compliquée : beaucoup de prestataires externes interviennent et les trustees doivent échanger et collaborer dans leur propre écosystème (le Board, les conseils et le régulateur) mais aussi avec leur employeur en respectant les « chinese walls ». Il existe donc une tension entre collaboration et nécessité de respecter des échanges privés. L’USP de Knowa est de pouvoir connecter des espaces privés de gouvernance dans un espace «connecté » où se déroulent les négociations.
Aujourd’hui la collaboration se fait par e-mail, ce qui pose trois problèmes majeurs: a) le mail n’est pas un outil collaboratif et b) avec le mail on perd la propriété physique de son information (on ne contrôle plus le destin d’un mail une fois envoyé), c) les mails perdent le lien avec les documents échangés donc la connaissance. Avec Knowa nous avons voulu faire en sorte de créer un système collaboratif où les trustees redeviennent propriétaires de leur information et de tous les documents. Les informations échangées le sont de de manière simple et intuitive (en évitant les pièges des outils collaboratifs actuels comme Slack ou Teams qui sont trop « chatty »). Nous passons du paradigme « all over the place » à « all in one place » avec un focus particulier sur le UI (il doit être simple, intuitif et sérieux puisque nos clients sont des exécutifs).
Pour résumer notre solution : si Slack et DropBox avaient un enfant, et que celui-ci avait pris les meilleures qualités de chacun de ses parents, il s’appellerait Knowa.
Comment avez-vous lancé le projet ?
Nous avons lancé Knowa il y a deux ans. Le besoin est d’abord venu de notre cabinet Zephyrus -Knowa est devenu notre outil interne – puis de nos clients.
Knowa a donc remplacé l’email en interne chez Zephyrus, puis nous l’avons proposé à nos clients.
L’utilisation de Knowa a permis de massivement augmenter la productivité de nos équipes, notamment dans la phase de on boarding de nos nouveaux consultants qui ont accès à la connaissance en deux clics.
Comme nos clients ont été enthousiastes, nous avons voulu proposer notre solution à des acteurs qui n’étaient pas encore nos clients et cela a finalement débordé le cadre des fonds de pension; car Knowa est intéressant pour gérer les transactions dans des contextes M&A (de la due diligence à la vente), pour la gestion d’une copropriété, pour une société de Private equity ou un family office qui souhaite gérer ses participations et relations avec ses actionnaires/membres de la famille, pour gérer une joint-venture etc.
Knowa, c’est le croisement de l’accumulation structurée de la connaissance (knowledge) et de la volonté de partage tout en évitant la dispersion de cette connaissance et des informations, en les rassemblant sur une même plateforme (idée de l’Arche de Noé ou Noa Arch en anglais), tout en résolvant la contradiction entre collaboration et « chinese walls ».
Pourquoi êtes-vous entrepreneur, et pas salarié ?
J’ai commencé ma carrière en travaillant dans une banque d’affaires puis j’ai démissionné en 2006 pour monter ma première boite. En tant qu’employé, j’étais frustré car je proposais plein d’idées et de business plans qui plaisaient mais qui n’étaient jamais concrétisés. J’ai donc choisi de me lancer, je suis un rêveur mû par de grosses convictions et une volonté d’aboutir : c’est ma définition de l’entrepreneur. On n’est jamais mieux servi que par soi-même quand on croit à son projet.
Quel accompagnement au démarrage du projet ?
J’ai créé une première boîte sans réellement réfléchir au partenaire avec qui j’étais associé et cela n’a pas fonctionné ; puis, ayant appris de mes erreurs, j’ai créé Zephyrus avec un associé à la personnalité complémentaire à la mienne, ainsi qu’avec un Chairman qui a su canaliser notre énergie. Le meilleur ami de l’entrepreneur est le focus.
Et c’est Zephyrus qui a servi de tremplin à Knowa, puisque nous sommes partis de nos besoins en interne pour créer cette solution. C’est le modèle Amazon : « we are our first customer ».
Knowa aujourd’hui ?
Aujourd’hui Knowa en est aux prémices d’une stratégie go to market, il faut donc transformer l’essai. Nous avons signé notre premier client externe il y a deux mois et pensons que nous serons à une vingtaine d’ici 6 mois.
Avec Knowa nous fonctionnons sur le mode de “l’école américaine”, c’est à dire que nous lançons des MVP puis par itérations successive via des pilotes (nous en avons une quinzaine) nous améliorons la solution.
Nous faisons le choix de ne pas développer trop de fonctionnalités et faisons attention à ne pas nous laisser happer par les desiderata des clients – afin de ne pas développer des fonctionnalités anecdotiques.
Nous sommes très focalisés sur l’argent que nous dépensons.
Les suites du développement ?
L’idée est bien sûr de vendre le plus possible ! Nous avons commencé en nous positionnant volontairement dans une niche (la stratégie Zero to one), le but étant de devenir les meilleurs dans cette niche et seulement après d’aller ailleurs et d’élargir les horizons à la fois en termes de secteurs et de géographie – aux États Unis, au Canada, aux Pays-Bas etc.
Les freins principaux aujourd’hui à notre développement, sont contextuels – les gens sont “gavés” de solutions tech souvent peu adaptées à leurs besoins réels et plus des gadgets- mais aussi culturels : les gens ont toujours été habitués aux mails pour collaborer (par manque de choix et parce que nécessité fait loi) – tandis que nous sommes convaincus que les mails ne s’y prêtent absolument pas.
Or, Knowa ne fonctionne que si les gens jouent vraiment le jeu… Il faut avoir des “capitaines” qui partagent et portent notre vision pour changer les habitudes dans les différents marchés.
Néanmoins le fait que les systèmes de gouvernance – dans notre secteur – sont forcés par la régulation à devenir plus robustes au quotidien, constitue un vrai moteur pour Knowa. Enfin, le succès de Slack ou de Front montrent bien que les acteurs ont pris conscience de la déficience du mail comme outil collaboratif.
Quels enseignements pour Amédée ?
Le lancement de Knowa a élargi mes horizons et m’a permis de découvrir le monde de la tech et de sa “tuyauterie” – je pense aux développeurs avec qui nous avons travaillé à Cracovie, la nécessité de comprendre le code, le concept d’API, les aspects de sécurité…
Cela a aussi confirmé que l’on ne créait pas une boîte, même dans le secteur de la Tech – en un an – même si l’on a la volonté d’aller vite.
Car lorsque l’on développe un produit tech, on peut être tenté de vendre à des actionnaires l’idée que ça va être la prochaine unicorne en un an, mais on se tire une balle dans le pied car il faut être capable de sortir rapidement un business plan exponentiel…on prend le risque de passer plus de temps à vendre le rêve à l’investisseur pour justifier une valorisation délirante plutôt que de construire des fondations solides qui nécessite un travail laborieux qui par définition prend du temps.
Pour résumer, il faut agir avec un état d’esprit de « moon shot » mais être aussi être paysan i.e. savoir labourer la terre quotidiennement et avec assiduité, et donc prendre son temps.
Quelques conseils pour ceux qui voudraient se lancer ?
Il ne faut pas manquer d’ambition et donc ne pas repousser le succès, toutefois comme je l’ai dit précédemment, une boîte ne se monte pas en un an – au risque d’oublier, notamment, tout l’aspect culturel.
Or, la culture d’une boîte, c’est fondamental : vous devez partager des valeurs communes avec les gens ; car votre boîte passera par des hauts et des bas, et ce qui la maintiendra à flots, c’est ce partage de valeurs.
Il faut définir son « why », la Silicon Valley appelle cela le « Massive Transformational Purpose »: celui-ci doit avoir de la substance (éviter les tartes à la crème sur le thème « je vais changer le monde ») et tout le monde doit y adhérer. L’idéal est donc de le co-construire, car chaque employé sera gardien du « why » et devra tenir le même discours auprès des clients. Le « why » ne peut pas mentir ou sembler pipo.
Le « why » doit donc être cohérent et garant d’une cohésion au sein de la boîte et cela se répercute positivement sur votre croissance. Le client doit adhérer au « why » pour fendre les freins culturels.
Merci à Amédée de nous avoir accordé du temps pour cette interview.
N’hésitez pas à consulter leur site web pour comprendre un peu plus ce qu’ils font…