Ma très riche et longue expérience dans les achats (un an, tout de même !), mes diverses lectures et mes rencontres m’ont permis de rassembler quelques bonnes pratiques essentielles ou simplement intéressantes à mettre en œuvre dans la fonction achats.
Les bonnes pratiques de l’acheteur
Il est loin le temps où l’acheteur « prenait sa batte de baseball » et allait taper sur les fournisseurs, pour reprendre l’expression de Gordon Crichton, grand gourou des achats et patron du MAI (Master en Achats Internationaux et Innovation à Kedge Bordeaux). Loin de n’être qu’un cost killer, l’acheteur a aujourd’hui une mission d’innovation, et doit respecter certains principes.
Négocier, bien-sûr, mais aussi rechercher l’innovation
L’acheteur ne doit pas se cantonner à l’optimisation du triptyque qualité-coûts-délais. Il doit aussi détecter l’innovation chez ses fournisseurs. Encore mieux, il doit l’encourager et l’accompagner chez ses fournisseurs de premier rang, en anticipant les besoins du marché et de ses clients internes. Ainsi, il assure un avantage concurrentiel à son entreprise et renforce sa relation fournisseurs. Mieux s’investir auprès de ses fournisseurs implique de rationaliser son panel fournisseurs, et de nouer des partenariats avec ceux qu’il reste. L’acheteur devient alors un business partner des fournisseurs de son panel.
Raisonner en coûts complets…
La recherche de la performance des achats doit se faire de manière décloisonnée et en coût complet. Cela signifie prendre en compte tous les coûts annexes de maintenance, de consommation, les externalités et les risques associés à un achat.
…Mais ne pas se cantonner aux savings
Je me souviens d’une entreprise automobile et de sa politique achats. Secteur ultra concurrentiel, l’automobile, à l’instar de la grande distribution, est un secteur où les fabricants se battent sur les prix. La fonction achats était alors soumise à des obligations très strictes de performance, à savoir obtenir des réductions de coûts d’année en année. D’un point de vue purement savings, il valait donc mieux payer un nouveau produit un peu plus cher l’année N et obtenir une baisse de prix l’année N+1 plutôt que d’obtenir le bon prix dès l’année N ! Voilà un bel exemple de l’aspect contre productif d’une politique uniquement restreinte aux savings.
Maîtriser ses KPIs
Sans tomber dans le vice du reporting à outrance, il faut être capable de mesurer sa performance, non seulement par le triptyque qualité-délais-coûts (complets !), mais d’une façon plus large, mesurer la contribution de la fonction achats à la création de valeur pour l’entreprise. Acheter un composant plus cher peut permettre à l’entreprise de dégager un profit encore plus important sur son produit final. Il faut donc utiliser des tableaux de bord adaptés pour faire valoir son impact réel et ne pas raisonner qu’en termes de coûts.
Vigilance, vigilance…
Le devoir de vigilance des entreprises est une loi passée en 2017 qui impose aux entreprises employant plus de 5 000 salariés en France (10 000 si le siège est situé à l’étranger) de publier un plan de vigilance détaillé portant sur l’ensemble de la supply chain. Le but est de faire passer les entreprises de la posture à l’action en matière de respect des droits humains et de l’environnement. Cela implique pour les directions achats de ces entreprises de cartographier leurs risques fournisseurs, de contrôler régulièrement leurs sous-traitants et fournisseurs, d’instaurer des mécanismes d’alerte et de suivi consécutifs aux alertes.
Parallèlement, dans l’industrie agro-alimentaire, les consommateurs sont de plus en plus à la recherche de produits sains, diététiques et éthiques. Les industriels doivent donc être en mesure d’assurer une parfaite traçabilité de leurs produits et de leur chaîne de valeur. C’est un autre défi pour les acheteurs des entreprises agro-alimentaires et cosmétiques notamment. Des solutions émergent aujourd’hui, notamment avec la blockchain.
Respecter les délais de paiement
Cela peut paraître évident, mais assurer une relation pérenne avec ses fournisseurs signifie aussi les respecter et notamment les payer à temps. Les retards de paiement fragilisent les entreprises et leur trésorerie. Un rapport de BNP Paribas Factor intitulé « Délais de paiement, trésorerie… La vraie vie des entreprises du BTP » indique que 70% des entreprises du BTP sont confrontées à des retards de paiement. Pire, 40% des entreprises ont déjà dû interrompre un chantier ou même y renoncer, faute de trésorerie suffisante ! Mauvais payeurs, posez-vous la question suivante : la faillite d’un fournisseur vaut-elle le coup pour quelques jours de trésorerie ?
Acheter responsable
L’intégration de critères sociaux et environnementaux dans les décisions d’achats est une opportunité de création de valeur. Plusieurs raisons à cela, notamment une maîtrise durable des coûts, une réduction des risques d’images et de réglementation, et une plus grande proximité dans la relation avec ses fournisseurs. Acheter responsable c’est aussi acheter mieux et au juste besoin : un vecteur d’économies qui passe par l’entreprise et pas par le fournisseur.
Connaître ses fournisseurs
La compréhension du contexte, des contraintes et des spécificités du fournisseurs sont essentielles au bon déroulement des négociations et des demandes. Sans être un expert, l’acheteur doit connaître et comprendre l’écosystème avec lequel il interagit. Un bon acheteur est donc un acheteur capable d’apprendre ! Surtout, il est essentiel que le client parle à son fournisseur, pour définir clairement l’objectif de la prestation et éviter de graves déconvenues.
Simplifier les processus d’achats, surtout avec les petits fournisseurs
Pensez à réduire la taille des contrats et évitez les demandes de documentation trop importante, souvent sans intérêt. On peut tout à fait réduire un contrat de 20 pages à 3 sans diminuer sa protection juridique. Aussi, limitez les demandes de garanties à l’essentiel. Elles doivent être adaptées au contexte du service fourni. Cela est particulièrement vrai pour les startups, qui subissent par nature de nombreux aléas.
Des processus d’achats trop compliqués pour les petits fournisseurs et startups, c’est s’assurer de les faire partir en courant et c’est c’est se priver d’innovations de grande valeur potentielle.
Conclusion
Ces bonnes pratiques enrichissent le rôle de l’acheteur, qui devient un vrai businessman devant connaître ses fournisseurs, détecter et encourager l’innovation, gérer la chaîne de valeur et être à l’écoute du marché et de ses clients internes. L’acheteur d’aujourd’hui doit adopter une vision globale et transverse de son environnement.
Pour renforcer la remarque sur les KPIs orientés uniquement Savings : j’ai assisté à de nombreux appels d’offres dans le domaine de l’informatique. Dans ce domaine l’acheteur sait mesurer objectivement le TJM, mais il est malheureusement impossible de mesurer objectivement la productivité. Or j’ai vu des développeurs pas trop cher galérer pendant des jours pour développer tant bien que mal une fonctionnalité, et un « bon » développeur sortir la fonction en 2 ou 3 heures. Il peut donc y avoir un ratio de 1 à 10 entre deux développeurs pour un écart de prix de « seulement » 50 à 100% (voire parfois pour le même prix). Donc le plus important est d’avoir de « bons » développeurs, mais c’est malheureusement quasiment indétectable dans le processus d’achats. Conclusion pour l’acheteur : éviter la course au moins-disant, privilégier des approches partenariales ou on peut trier les développeurs pendant la vie du contrat. C’était ma contribution par un exemple.