La conférence sur l’excellence opérationnelle dans le secteur public organisée par Sonia Krimi, députée de la Manche, a soigneusement tenté d’éviter les sujets qui fâchent. Mais cette conférence a été rattrapée par l’actualité. Elle a aussi montré que la lucidité sur les constats ne suffit pas à imaginer les moyens de mise en oeuvre ou la capacité à faire « autrement ». « Sortir du cadre » et « garder les pieds dans la glaise » semblent être les principales limites de nos élites administratives et politiques.

Excellence Opérationnelle et Lean dans le secteur public – L’art de tourner autour du pot ?

Invité par les équipes de Sonia Krimi, Députée de la Manche, à une conférence à l’assemblée nationale, le mardi 5 février 2019, sur l’excellence opérationnelle dans le secteur public, c’est avec grand plaisir que je m’y suis rendu, ayant quelque expérience sur le sujet et aussi, je dois le confesser, quelques convictions sur cette thématique, en tout cas dans les administrations centrales.

Le flyer de la conférence « Excellence Opérationnelle dans le Secteur Public » – Applications, Enjeux et Evolutions

Autant annoncer la couleur tout de suite, je suis convaincu de par mes quelques missions dans des administrations centrales, que la réglementation ou les usages RH qui s’appliquent aux fonctionnaires, comme ceux qui s’appliquent aux contractuels, sont des freins puissants pour tout ce qui touche à des changements d’organisation. Non pas que cela soit impossible, mais ces réglementations compliquent et ralentissent considérablement tout changement d’organisation. Toute tentative de mouvement finit par coûter très cher. Il faut bien comprendre que 95% des managers de la fonction publique préfèrent renoncer devant l’ampleur et les difficultés de la tâche. On ne va pas leur en vouloir, même si parfois une simple prise de recul et de balance entre intérêt général de 60 millions de français et intérêt particulier d’un seul fonctionnaire ou contractuel, ça devrait commencer à interpeller. Dans une administration centrale les conséquences de ces non-choix sont très loin de la visibilité du grand public. Le manager préférera ne pas faire de vagues et renoncera la plupart du temps.
Bref donc c’est possible (Si ! Si !) mais redoutablement complexe. La politique des petits pas est une quasi-obligation. Il faut également savoir renoncer dans certains services pour avancer avec d’autres, avec tous les inconvénients que cela comporte.

Le petit fascicule de la conférence rappelle la définition de l’excellence opérationnelle. Je cite :

« L’excellence opérationnelle a pour but d’optimiser les pratiques d’un organisme privé ou public en s’appuyant sur la participation de tous les acteurs pour trouver des solutions aux problèmes identifiés. Afin de répondre au mieux aux attentes des clients ou usagers de l’administration, cette approche du gagnant-gagnant fait appel aux connaissances, aux compétences et à l’expérience de tous les acteurs. Le recours à l’excellence opérationnelle permet notamment d’améliorer les performances de l’organisme en question en termes de qualité du service proposé, de délais ou de coûts.

L’excellence opérationnelle s’organise autour de trois principes fondateurs

  1. L’orientation client pour proposer des services plus adaptés aux besoins des usagers
  2. L’efficacité pour éliminer tous les gaspillages identifiés dans le processus
  3. La responsabilisation des acteurs

Si l’excellence opérationnelle est majoritairement utilisée par les entreprises privées, de plus en plus d’acteurs du secteur public ont recours à ces principes pour maintenir un service de qualité dans un contexte de réduction budgétaire et d’exigence croissante envers les administrations. »

Et le programme de la conférence, alléchant, abordera : présentation, historique et applications de l’excellence opérationnelle dans la fonction publique d’état, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière.

Le programme de la conférence de Sonia Krimi – « L’excellence opérationnelle dans le secteur public »

Les interventions sur la partie « Présentation de l’excellence opérationnelle »

De mon point de vue, pas objectif du tout donc, la conférence commence très mal, puisque Sonia Krimi, après avoir longuement rappelé les piliers humains de l’excellence opérationnelle (responsabilisation, orientation client…), conclut soudainement son introduction en disant, en substance, que l’exemple de Toyota montre bien que Excellence Opérationnelle et emploi à vie sont compatibles. Pourquoi tenter un déminage sur un sujet qui n’était pas dans le plan de la conférence (certes il était probable qu’il soit plus ou moins abordé dans les questions posées par la salle) ? Mais surtout ce déminage est faux. Il n’y a jamais eu d’emploi à vie chez Toyota. Le système Toyota contraint les employés les moins performant à partir chez des sous-traitants de rang 1 puis de rang 2, etc. L’emploi à vie ne concerne que les employés ayant réussi à progresser et gravir tous les échelons, en général les plus qualifiés. Pour plus d’information lire cet excellent article qui décrit le système Toyota au Japon et son application en France dans l’usine de Valenciennes.

Jacques Savatier, Député de la Vienne, manie un peu moins la langue de bois en rappelant que l’excellence opérationnelle n’est pas une option dans un pays où les dépenses publiques pèsent entre 56 et 57% du PIB (stable depuis plusieurs années) – la France est championne d’Europe des dépenses publiques devant la Finlande. La crise des gilets jaunes est là pour nous rappeler que les Français voient tous les jours un peu plus la désynchronisation entre les niveaux de services publics et leurs coûts.

Christian Babusiaux, Vice-Président exécutif du Cercle de la Réforme de l’Etat, dresse un bilan plutôt négatif des différents programmes ou organismes de réforme de l’état qui se sont succédé depuis la DGME (2005) à la DITP (2017) en passant par la DIMAP (2012) et la DIATP (2015). Je dis négatif car les résultats concrets ne semblent pas avoir été à la hauteur des investissements consentis. Il rappelle même que les actions qui ont fonctionné sont plutôt des actions de façade qui n’ont pas significativement, à ce stade en tout cas, amélioré l’efficience des services fournis aux usagers (fusion DGFIP / Trésor public, Réforme des juridictions du ministère de la justice, Systèmes d’Information de la déclaration fiscale en ligne…). C’est bien de faire ce constat, mais la suite de son discours basé sur une lancinante antienne « il faut redonner du sens » semble bien pauvre en regard des enjeux et du reste à faire.

Les interventions sur la partie « Quelle application de l’excellence opérationnelle dans la fonction publique ? »

Je retiens l’intervention de M. Laurent Cotteret, DGS de Nîmes Métropole, révélatrice du retard pris par l’administration en terme de performance. L’exemple d’application pris est celui d’un ou deux contrat(s) de délégation de service public en place depuis des temps immémoriaux. Ces contrats coûtaient très cher et le décalage avec les niveaux de service avait dû finir par alerter Nimes Métropole. Donc il a suffi de refaire un appel d’offres et de mettre en concurrence d’autres prestataires pour voir le coût diminuer drastiquement à qualité de service équivalente. C’est un exemple intéressant car c’est de l’excellence opérationnelle Achats et bien sûr cela est important. Restons modeste car dans le cas présent il ne s’agit que de la mise en place d’un mécanisme obligatoire d’appel public à concurrence, qui contraint des sociétés privées à faire de l’excellence opérationnelle pour être compétitives. C’est très bien, mais c’est juste une toute première étape de mise en oeuvre et la plus facile à mettre en place puisqu’elle n’implique aucun changement et aucune amélioration d’efficience du côté de la personne publique, à part avoir de bons prescripteurs et de bons acheteurs, ce qui n’est pas toujours gagné.

Je retiens également l’intervention de Mme Agnès Ferret, Directrice Déléguée d’appui à la performance des organisations au CHRU de Lille. Le témoignage est intéressant car il permet de montrer qu’on peut faire de l’excellence opérationnelle, quels que soient les noms qu’on donne à cette démarche – Lean Management, DACP… – à partir du moment où on démarre sur des périmètres bien identifiés et que le client est au centre de la démarche. Au vu de cet exposé, il me semble que la fonction publique hospitalière a une longueur d’avance sur toutes les autres administrations car pour les hôpitaux mettre le client au cœur de son action c’est sa raison d’être depuis toujours. Cette proximité client est le plus puissant ferment d’excellence opérationnelle – ce qui ne veut pas dire que ces démarches sont pour autant simples à mettre en place dans le contexte actuel de la plupart des hôpitaux.

Des témoignages et questions de la salle qui mettent en avant des difficultés non abordées dans la conférence

Dans la salle clairsemée, les premiers intervenants à prendre la parole sont pour la plupart d’autres députés. Après les félicitations et les remerciements d’usage, apparaissait souvent une ligne de fracture entre central et local (un Député se déclarant même « en Guerre » contre le pouvoir central – j’ai oublié les termes exacts mais c’était à peu près l’idée). Plusieurs intervenants ont pointé du doigt l’extrême lourdeur et le peu d’efficience des administrations centrales.  Au-delà de l’impression qu’il est toujours plus simple de faire de l’amélioration pour les autres que pour soi, il est certain que pour de nombreuses administrations centrales le client final, l’usager, est très loin (elles ne sont pas toujours ou pas souvent en contact direct avec les usagers) et cela ne facilite pas la mise en oeuvre des démarches d’excellence opérationnelle.

Plusieurs intervenants ont également mentionné les rigidités du cadre RH de la fonction publique qui décourage les initiatives d’amélioration ou de changement et favorise les acteurs bloquants. Il n’y a pas eu de réponse à cela même si les différents intervenants (Etat, Territoriale, Hospitalière) ont effectivement confirmé être confrontés à ces problématiques dans toutes leurs démarches d’amélioration.

A demi mot, Sonia Krimi, a admis que le sujet du statut des fonctionnaires et de la réglementation RH dans la fonction publique était un vrai point noir pour toutes les démarches de progrès. Pourquoi ne pas l’avoir dit plus tôt et orienté une partie de la conférence là-dessus ?

8 jours plus tard (le mercredi 13 février), Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics présentait son projet de loi de transformation de la fonction publique. Coïncidence ? la sortie prévue de ce projet de loi a-t-elle empêché les équipes de Sonia Krimi d’aborder, une semaine avant la sortie du projet de loi, le thème de la compatibilité entre l’Excellence Opérationnelle des services publics et le « cadre statutaire et RH » de la fonction publique ?