Vous connaissez ce cartoon où un patron vire 2 des 3 employés qui portent un rocher et se met en rage lorsque le 3e malheureux fini écrasé sous la charge ? Il est régulièrement utilisé, notamment par les syndicats, pour décrire les chantiers Lean / d’Excellence Opérationnelle et illustre bien l’image qu’on s’en fait en France. Pourtant c’est déformer l’Excellence Opérationnelle que d’en faire un instrument purement de réduction des coûts…
Une question pour faire la différence : la réflexion est elle locale ou globale ?
Par exemple : parle-t-on de coûts directs d’un produit ou de valeur ajoutée client ? Les alternatives sont elles recherchées poste par poste ou sur la chaîne dans son ensemble ? Le chantier est il concentré sur 3 mois de travaux ou vise-t-on une transformation dans la durée ?
Derrière cette distinction en apparence subtile se cache deux philosophies très différentes.
Un démarche de réduction des coûts cherche à faire « pareil pour moins » (ou presque) et s’intéresse aux dépenses. Elle va zoomer sur les plus gros postes de coût pour identifier des alternatives locales moins onéreuses (et rapides à débrancher). Cette démarche présente deux risques :
- Déstabiliser le produit/service : c’est à dire altérer une des caractéristiques critiques aux yeux du client et faire chuter la popularité du produit/service
- Désorganiser la chaîne : créer de nouveaux problèmes (et donc de nouveau surcoûts) en aval de la chaîne de production, ou a plus long terme ; Il y a systématiquement des impacts imprévisibles dans la durée (turn over, maladies, accroissement de la complexité) et les ROI prévisionnels affichés par les missions (cost reduction comme lean d’ailleurs) se maintiennent rarement dans la durée
L’Excellence opérationnelle est en théorie protégée de ces écueils : tout part de la demande client et de ce qu’il perçoit comme ayant de la valeur ajoutée. C’est cette notion qui définit ce qu’est un gaspillage (tâche qui ne contribue pas, directement ou indirectement à la valeur perçue par le client). L’objectif est de faire moins de tâches sans valeur mais aussi plus de tâche à valeur ajoutée, d’où des démarches comme le Lean startup qui sont appliqués à la création d’offres. Ainsi, les démarches d’excellence opérationnelle peuvent mener au développement ou au repositionnement d’une offre de service. D’exécutant on devient force de conseil.
Par ailleurs le processus est revu au travers d’ateliers qui mobilisent l’ensemble des contributeurs de la chaîne pour trouver des alternatives cohérentes de bout en bout, donc moins de risques d’effet collatéraux indésirables.
Mais alors pourquoi cette association d’idée est-elle si persistante ?
C’est pour une bonne raison : beaucoup d’entreprises se tournent vers l’Excellence Opérationnelle à un moment où des difficultés financières menacent leur survie. Dans ce contexte il est difficile pour un dirigeant (et carrément impossible pour des actionnaires) de résister aux sirènes d’une cautérisation douloureuse mais rapide de la plaie budgétaire. Les outils de l’Excellence Opérationnelle sont par construction orientés processus et, moyennant quelques entorses et clefs-de-bras à la philosophie du Lean Management, on arrive sans trop de difficultés à identifier où frapper vite et fort. De plus, le climat de tension qui règne régulièrement dans ces contextes limite la capacité de l’Excellence Opérationnelle à trouver des solutions vertueuses et cohérentes : les ateliers transverses tournent au règlement de comptes et il devient très difficile d’en sortir une idée que le management n’auraient pas déjà eu.
Quand on y pense, c’est l’inverse qui serait surprenant : votre entreprise est en difficultés et vous proposez à vos actionnaire de remettre au pot, d’investir dans un accompagnement externe et d’assurer de la sécurité aux salariés pour entamer avec eux une transformation de l’entreprise qui mènera à … vous ne savez pas trop quoi à ce stade. C’est un réel saut de la foi.
Mais c’est aussi qu’en traversant l’Asie, la philosophie et la méthodologie Excellence Opérationnelle a perdu de ses notions les plus subtiles. Le moindre amateur de l’excellence opérationnelle sait ce que sont les MUDA : les grands types de gaspillage qu’il faut chasser (peut être même peut-il les citer en réfléchissant un instant). Cependant, plus rares sont ceux qui ont entendu parler des MURI : ce sont des activités déraisonnables. Les charges trop lourdes, celles qui détériorent prématurément les machines et les hommes. Moins évidente et moins « prêt à l’emploi » cette notion était au centre des valeurs éthiques du management des entreprises comme Toyota. Nos entreprises occidentales, en adoptant les outils de l’excellence opérationnelle n’ont fait qu’endosser l’habit du moine.