Je fais partie de ceux qui pensent qu’un blog professionnel n’a pas à donner d’opinions politiques. Que les dirigeants d’entreprise ou de Business Unit pour lesquels nous travaillons soient de gauche ou de droite, cela ne nous empêche pas de travailler avec eux à la transformation de leur entité.

Mais comme je m’intéresse à la politique comme tout citoyen, j’ai regardé les débats des différentes primaires et de la présidentielle. Et j’ai constaté que M. Hamon se pose en candidat qui combat la souffrance au travail, et que, dans les causes de souffrance, il a donné à plusieurs reprises le Lean Management. Et là, il me semble légitime de réagir, parce que je suis Directeur Associé d’une entreprise qui s’appelle ISlean consulting, et que je n’ai pas le sentiment que mes interventions concourent à créer de la souffrance, bien au contraire.

Le lean aliène-t-il le travailleur ?

Le lean aliène-t-il ?

Qu’est ce que le lean ? Retour aux sources

Si vous ne savez pas ce qu’est le Lean Management, disons en quelques mots qu’il s’agit d’une approche nommée ainsi par des chercheurs américains à la fin des années 80 et qui prend sa source au Japon, dans le système de production de Toyota (lequel s’inspirait lui-même pour partie des travaux d’après-guerre de l’américain Deming). On l’oppose traditionnellement au Taylorisme, illustré par Charlie Chaplin dans les temps modernes, dans lequel les opérateurs étaient des exécutants hyperspécialisés dans des tâches aliénantes définies par des bureaux d’études.

Le Lean Management cherche à mettre en œuvre une dynamique d’amélioration continue au sein de l’entreprise, en renforçant l’orientation client des équipes (ce qui incidemment donne plus de sens à leur travail), en supprimant les tâches sans valeur ajoutée (en ce sens on gagne en productivité et en réactivité, mais en déduire que cela doit nécessairement faire souffrir les travailleurs est un contre-sens), et surtout en responsabilisant et en rendant plus polyvalents les opérateurs sur le terrain. Or on sait que l’autonomie est l’un des principaux facteurs qui permet aux travailleurs d’être motivés et heureux dans ce qu’ils font. Ce n’est à cet égard pas un hasard si nombre de « Leaneux », dont nous faisons partie, ses sont intéressés au concept émergeant « d’entreprise libérée. »

A tel point que de nombreuses entreprises qui se lancent dans une démarche Lean insèrent parmi leurs objectifs le bien-être de leurs collaborateurs. Je l’ai constaté à plusieurs reprises dans ma propre pratique et nous l’avions vu dans une étude que nous avions menée il y a quelques années.

Une question de vocabulaire ?

M. Hamon a peut-être été inspiré dans son discours par un rapport du Centre d’Etudes de l’emploi, datant de 2006 et intitulé « Conditions de travail et santé au travail des salariés de l’Union européenne : des situations contrastées selon les formes d’organisation. » Ce rapport distinguait 4 formes d’organisation : apprenante, lean, tayloriennes et en structure simple). Et montrait que les entreprises qualifiées de Lean n’étaient pas loin de faire jeu égal avec les tayloriennes en termes de pénibilité du travail, là où les conditions des entreprises dites apprenantes étaient bien meilleures. Mais ces catégories me semblent discutables, puisque la distinction posée ici entre organisations apprenantes et organisation Lean se situe pour l’essentiel dans le degré d’autonomie des équipes. Il s’agit donc beaucoup d’une question de vocabulaire, car selon moi, l’entreprise « apprenante » est en fait le stade ultime de l’entreprise « Lean ».

Il ne s’agit pas de faire de l’angélisme. Toutes les entreprises ne font pas du Lean pour rendre les gens heureux. Elles sont toutes aussi nombreuses à avoir habillé du vocable Lean des démarches de réduction de coûts court-termistes qui n’avaient de Lean que le nom (nous avons prévu de rédiger prochainement un article sur le thème « Lean Management vs Cost Killing », que je mettrais en lien ici), ce qui a pu donner une coloration sulfureuse de ce terme auprès de certaines populations. Et même pour les entreprises qui ont bien intégré toutes les composantes du Lean Management, il ne s’agit pas ici de prétendre que ces approches créent par magie des coins de paradis terrestre, et que la vie chez Toyota est absolument parfaite.

Je prétends en revanche que cette mouvance managériale rend globalement les entreprises plus performantes dans le long terme (ce qui est bon pour leur pérennité et pour l’emploi – car il ne me semble pas qu’on sauve des emplois en interdisant les gains de productivité, mais c’est un autre débat) et tend effectivement à rendre les salariés plus épanouis dans leur travail, parce qu’il est moins bureaucratique, qu’il les responsabilise plus, qu’il a plus de sens, et qu’il crée plus de collaboration avec les collègues. Donc non, le salarié d’une entreprise Lean n’est pas condamné au burn-out.

J’encourage donc M.Hamon, (et tous les autres candidats d’ailleurs), à s’assurer qu’ils ont bien compris les notions qu’ils évoquent avant de les utiliser comme arguments électoraux.

 

Post Scriptum : comme dans ISlean, il y a aussi « IS » ce qui renvoie à nos compétences en matière de stratégie de systèmes d’information, j’étais tenté de faire aussi un article pour expliquer pourquoi taxer les robots ou les automates me semble une idée totalement saugrenue. Je n’en ferai rien car on finirait vraiment par croire que j’en veux particulièrement à ce candidat – ce qui n’est pas le cas – et que je veux politiser notre blog – ce qui n’est pas le cas non plus. Je me contenterai donc de renvoyer vers cet article : « 5 graphiques pour comprendre l’impact de la robotique sur l’emploi ».