Les récents rappels de centaines de milliers de véhicules Toyota, suite à une défaillance des régulateurs de vitesse, ont fortement altéré la réputation du géant Japonais. Pourtant, des rappels de cette ampleur ont déjà eu lieu par le passé, y compris pour Toyota, sans que ce ne soit autant médiatisé.
La couverture médiatique de cet incident a certainement été d’autant plus forte que la firme japonaise s’est hissée au statut de leader sur le marché automobile grâce à une méthode de production bien huilée : le « Toyota Production System », mieux connu en occident sous le nom de « Lean Manufacturing ».
Cet événement doit il être considéré comme un simple accident de parcours, ou doit-il amener Toyota à remettre en question le fonctionnement de son Empire ?
Voici quelques morceaux choisis d’un reportage sur la ville Toyota et l’état d’esprit ambiant suite à cet incident, publié sur le lemonde.fr :
Le calme règne à Toyota. Près de la gare, au coeur de cette cité de 420 000 âmes bâtie à quelques kilomètres de Nagoya, un jeune fait du skateboard, seul et concentré. Le bruit de la planche court le long de la structure métallique qui soutient l’esplanade où se dresse le grand magasin Matsuzakaya. Des haut-parleurs fatigués crachotent une mélodie que personne n’écoute. Les flâneurs sont rares. C’est l’hiver. Toyota grelotte.
Avant, Toyota était une petite ville du nom de Koromo. Elle connut la prospérité à la fin du XIXe et au début du XXesiècle avec la production de soie. Entrée dans une nouvelle ère, elle s’est jumelée, en 1960, avec Detroit, le coeur de la production automobile américaine.
Aujourd’hui, la ville qui s’étire le long de la rivière Yahagi est devenue la forteresse industrielle de Toyota. Une forteresse avec ses remparts invisibles, ses relations d’amour-haine avec un groupe omniprésent autant qu’omnipotent.
Ici, on naît, on vit, on meurt Toyota.
On travaille pour le constructeur de père en fils. Avec son salaire, l’employé du siège social, du centre de recherche de Hirose, ou d’une des neuf usines de la commune, achète évidemment une voiture Toyota, habite dans une maison bâtie par Toyota Home, se soigne à l’hôpital Toyota. Le distributeur Meglia, filiale de Toyota, lui vend son alimentation, à distance ou dans ses centres commerciaux, et organise son mariage et ses funérailles.
Le tout est encadré par le puissant syndicat de l’entreprise, qui veille au bon respect de la philosophie du groupe. Car le succès de l’entreprise se fonde sur l’adhésion totale des salariés au fameux TPS, le « Toyota Production System ».
« Le TPS, fondé sur un dévouement total, s’apparente à un vrai lavage de cerveau », juge, de son côté, Tadao Wakatsuki, entré chez Toyota en 1965, ouvrier sur les chaînes d’assemblage des modèles Crown, et membre du All Toyota Labor Union (ATU), un syndicat extérieur à l’entreprise qui soutient les salariés en difficulté dans le groupe. Il aide notamment les proches de victimes, chez Toyota, de « karoshi », la mort par épuisement au travail.
« Si l’on a du mal à s’adapter, la pression peut être insupportable », ajoute un ex-ingénieur de JTEKT, une filiale de Toyota qui fabrique des machines-outils, forcé de démissionner car il n’arrivait pas à se sortir d’une dépression.
Le constructeur contrôle donc tout de ses salariés. « Si vous ajoutez qu’il est le principal contribuable de la ville, observe Naoshi Sugiyama, de l’université locale Chukyo, vous comprenez qu’il contrôle même la ville. »
La municipalité et l’entreprise vivent des destins parallèles, avec leurs hauts et leurs bas.
A l’Americano, bar du centre-ville, les clients se font rares. Le patron, Daisuke Kikuchi, l’admet : « Les temps sont durs pour Toyota, alors les gens ne sortent plus. » Et ne parlent guère. Difficile de rencontrer un employé qui accepte d’évoquer les rappels de millions de véhicules, de commenter l’audition prévue, le 24 février, au Congrès américain, du PDG Akio Toyoda, ou d’aborder le déchaînement médiatique contre le numéro un mondial de l’automobile.
L’impact de l’affaire des rappels semble limité, même si des arrêts de la production sont envisagés au mois de mars. Les avis glanés çà et là reflètent cependant un sentiment dominant. Une minorité admet qu’il y a des raisons de s’inquiéter pour la sécurité. Mais beaucoup ne comprennent pas pourquoi l’affaire a pris une telle ampleur – d’importants rappels avaient déjà eu lieu en 2005 et 2007 -, et reprochent aux Américains d’agir pour faire tomber Toyota.
La relative confiance affichée vient de ce que les médias japonais limitent encore leurs critiques vis-à-vis d’une entreprise qui reste un annonceur important et un modèle industriel national. En interne, elle est entretenue par un encadrement attentif à soigner la communication avec la base. Le 3 février, deux jours avant sa première conférence de presse depuis le début des rappels massifs aux Etats-Unis, Akio Toyoda s’est adressé directement au personnel. Il a présenté ses excuses aux salariés et à leur famille et promis de tout faire pour redresser la situation.
Une volonté de rassurer qui n’empêche pas des voix de tenter d’expliquer les difficultés du groupe. Même s’il a réussi à se forger une image de qualité et de sérieux, il resterait « arrogant » et « trop sûr de lui ». « Ces dernières années, observe le syndicaliste d’ATU, Yasuhiko Chikamori, le rythme de sortie des nouveaux véhicules s’est accéléré et le contrôle s’est relâché. » « Avant, ajoute un sous-traitant, un véhicule était mis en vente au Japon, restait sur le marché deux ou trois ans et, si tout allait bien, il était commercialisé à l’étranger. »
Ces avis reflètent tous l’idée que Toyota a oublié ce qui faisait sa force. Un constat déjà établi par le président Toyoda, qui souhaite un « retour aux fondamentaux ». Une preuve aussi que le système ne saurait être remis en cause et que la forteresse industrielle Toyota devrait rester ce qu’elle a toujours été.
Un reportage assez sombre sur l’empire Toyota, qui ne doit pas pour autant faire oublier l’efficacité de ses méthodes dont l’ensemble des constructeurs automobile s’inspirent aujourd’hui. Le témoignage sur le « lavage de cerveau » doit être mis en perspective : les conditions de travail d’un ouvrier dans un modèle Tayloriste ou Fordiste sont loin d’être meilleures.
Si le Lean Manufacturing s’apparente en un sens à une philosophie, celle ci se base en grande partie sur l’amélioration continue par les ouvriers, ce qui nécessite qu’ils soient en capacité de réfléchir sur leur travail et d’émettre des solutions pour améliorer les processus. En ce sens, on est loin du « lavage de cerveau » qui suppose un asservissement des ouvriers…
En outre, le sentiment de soumission des ouvriers qui transparaît dans cet article, est également un phénomène culturel qui se retrouve dans la société japonaise.
De même, la conclusion est contestable : « un retour aux fondamentaux » ne suppose pas que l’empire Toyota reste figé, mais justement qu’il sache se « réinventer », en s’efforçant, malgré son statut de leader, de continuer d’appliquer les principes fondamentaux qui ont fait son succès, notamment le centrage sur la valeur pour le client et l’amélioration continue visant la perfection.
Bien sûr le modèle Toyota est perfectible et n’est pas transposable à l’identique en occident, mais il propose une palette d’outils et de méthodes, dans lesquelles il y largement matière à apprendre pour l’industrie occidentale.
I am glad to inform you of the publication of my new book about Toyota Production System.
The book is titled « The truth about Toyota and TPS » and can be found at the following link: http://amzn.com/2917260025
Regards,
E. Kobayashi.