Le 29 juin passé, nous avons animé le Club du Grain Numérique, une soirée tournée vers l’entrepreneuriat. Cette soirée fut l’occasion pour la communauté ISLEAN de découvrir les entrepreneurs que nous avons rencontrés au cours de l’année. Ils nous ont chacun présenté leur startup, puis ont participé à une table ronde animée par Louis-Alexandre Louvet (Associé ISLEAN) et Philippine Horak (Orange Venture) sur leur expérience d’entrepreneur. Revenons dessus.

Club du grain numérique : des entrepreneurs partagent leur expérience

Les 3 entrepreneurs ayant participé à cette table ronde sont :

  • Frédéric Baumann : fondateur de Corymbus, un CRM en SaaS conçu pour les TPE et indépendants
  • Pascal Rybak : co-fondateur de Sitadel, une plateforme collaborative IT qui permet la gestion des actifs
  • Grace Mehrabe : co-fondatrice d’Outmind, un moteur de recherche connecté à toutes les ressources de l’entreprise

Philippine Horak de la société Orange Venture était également présente. Elle a endossé avec brio le double rôle de co-animatrice de l’événement et d’intervenante sur le sujet de l’investissement.

Un court pitch de chacune de ces startups ainsi que les résultats du concours entrepreneurs sont disponibles dans cet article. Vous pouvez également trouver leurs entretiens détaillés ainsi que ceux d’autres entrepreneurs dans notre Cahier des entrepreneurs 2023.

On vit depuis quelques années dans un monde d’incertitudes. Face à cela, les entrepreneurs ont la certitude qu’il faut se lancer dans un pari. Qu’est-ce qui a été révélateur de cette incertitude ?

Les premières lignes de code pour Corymbus ont été écrites 2 mois avant le confinement mais le premier client est arrivé au mois de mai soit 3 mois plus tard. Selon Frédéric, la pandémie a incité les utilisateurs de CRM à se tourner vers des solutions plus économiques que celles proposées par les grandes entreprises du marché.

Pour Grace, les entrepreneurs ont une jauge entre la sécurité et la liberté. Ils ont plutôt tendance à aller vers la liberté quitte à sacrifier leur sécurité. Grace a su que c’était sa voie après sa première expérience comme COO chez Lemon Learning, qui propose des formations à ses clients sur leurs outils internes. Le constat : les équipes n’adoptent pas et puisqu’elles ne connaissent pas leurs outils, elles n’y vont pas et réinventent la roue systématiquement. Son expérience suivante dans une entreprise qui analysait les contrats avec l’IA lui a fait réaliser qu’elle était plus à l’aise dans un rôle transverse.

A titre personnel, Pascal n’a jamais eu de certitude. Même en ayant confiance dans son projet, les entrepreneurs font face à de nombreux problèmes imprévus. La résilience est donc essentielle. Il faut savoir lire les signaux qu’on a lorsqu’on avance sur son projet. Sur Sitadel, la partie incubation chez Finance Innovation a eu lieu au moment du début du COVID, ce qui a entraîné d’importants changements.

L’autre événement important en général, c’est le premier client. Comment cela s’est-il passé ? Comment avez-vous réussi à le convaincre de vous faire confiance ?

Au départ, Outmind s’est concentré sur les entreprises de conseil, car ce sont des profils à très haute valeur ajoutée qui recréent de la connaissance pour leurs clients. Leurs 2 premiers clients : TNP Consultant (environ 450 salariés) et Team Spirit (environ 40 salariés). La signature s’est faite avant le COVID et le déploiement pendant. Outmind a dû adapter son produit aux spécificités des systèmes d’information de chaque client, construisant son produit en le déployant.

Frédéric a décidé de faire un MVP, donc une version limitée du produit pour vérifier qu’il répondait aux attentes du marché. Avec l’aide de Philippe Kalousdian, il a organisé des ateliers pour présenter ce MVP à une 50aine de personnes et collecter les feedbacks. Un des participants de l’atelier est devenu son premier client 2 mois plus tard. Frédéric souligne qu’il faut prendre du recul sur ce qui est exprimé par les personnes que l’on sollicite. Par exemple, une chose indispensable d’après les ateliers était de pouvoir synchroniser les contacts avec Google. Il a donc développé la fonctionnalité et finalement c’est l’une des moins utilisées.

Au départ, un des associés de Sitadel avait développé un logiciel pour le secteur de l’immobilier. Les premiers clients venaient donc du secteur résidentiel, des agences immobilières. Pour étendre son produit au-delà de ce secteur, ils ont élargi leur réseau et ont obtenu leur premier gros client dans le secteur tertiaire : Les Echos.
Lorsque Pascal vivait en Angleterre, il a lancé sa première entreprise d’importation de bien. Il a fait le tour de beaucoup de pubs pour tester son idée. Après avoir fait choux-blanc, il s’est arrêté au pub à côté de chez lui, qui était intéressé et qu’il voulait commander. Cependant, Pascal avait oublié de prendre avec lui ses bons de commande… Tout a été noté sur bloc-notes et c’était parti !

Grace ajoute : « Les questions qui marchent vraiment sont : comment vous faites aujourd’hui ? Plutôt que : qu’est-ce que vous voudriez faire ? » En effet, si on prend la métaphore de la salle de sport, lorsqu’on demande à quelqu’un son objectif, il va dire 2-3 séances par semaine mais quand on regarde la réalité (portique d’entrée) c’est plutôt 1-2 fois par mois.

L’entrepreneuriat c’est avant tout un projet d’équipe. Comment vous complétez-vous ?

Au départ, l’équipe de Sitadel se composait d’une personne chargée du développement informatique, d’une personne s’occupant du commercial et de Pascal qui se concentrait sur le développement du produit (fonctionnalités…). Cependant, cette configuration n’a pas fonctionné et la personne responsable du commercial est partie. Pascal souligne l’importance de ne pas être seul pour gérer une entreprise. Cela demande en effet un travail quotidien et une connaissance approfondie de ce qui se passe dans le monde, notamment en ce qui concerne les attaques informatiques. Il ajoute : « ce qui est intéressant c’est d’être complémentaires sans qu’il y en ai un qui ait l’ascendant ».

Grace a un associé CTO, qu’elle ne connaissait pas avant de lancer Outmind. Ils ont tenté l’aventure, en sachant qu’ils avaient des attentes complémentaires. Avant de signer un pacte d’associés, ils ont conclu un accord informel pour s’entendre sur les valeurs de l’entreprise. Grace estime qu’ils se complètent beaucoup, au-delà de leurs compétences. « Avec le passage des 3 ans, c’est que ça peut marcher ! »

Frédéric n’a pas d’associé car il voulait s’occuper à la fois du développement et du commercial. En revanche, une ancienne collègue commerciale s’est lancée à son compte au même moment. Or, elle avait besoin d’un CRM et elle lui a apporté des clients en travaillant sous forme de commission de rapporteurs d’affaires. Et c’est toujours le cas aujourd’hui.

Quels sont les grands événements marquants qui ont structuré l’année dernière et donnent la tendance sur l’année à venir du point de vue de l’investisseur ?

Pour Philippine, il y a eu une tendance macro sur la hausse des taux. Certains des fonds ont vu des investisseurs reculer et privilégier des investissements plus sûrs que l’investissement dans les startups. Orange Venture est resté assez stable dans ses investissements.
Les 2 grosses tendances que les investisseurs regardent (entre autres) sont l’IA et le climat.

On parle souvent de licornes en France. Vous a-t-on déjà dit qu’il faut créer cette licorne ? Que c’était la chose à faire ?

Frédéric a lancé un autre projet il y a 10 ans : un logiciel de colorimétrie de vidéos. Il a d’abord fait un site web en français puis en anglais suite aux conseils d’un ami. Finalement, il s’est rendu compte que 99% des clients sont à l’international. Cependant, développer une version française est un avantage pour conquérir le marché Français. Aujourd’hui encore ce logiciel est utilisé alors qu’il n’est plus maintenu.

Dès le début, Outmind a estimé qu’il n’y avait pas de barrière géographique pour son activité. Ils ont donc travaillé à la fois en anglais et en français. Bien que leurs premiers clients aient été principalement francophones, ils les ont suivis dans leurs filiales internationales. Grace rejoint Frédéric sur l’avantage à être français pour le marché Français : beaucoup de clients ne veulent pas exposer leurs données à des acteurs Américains.

Sitadel a évolué sur plusieurs marchés : France Benelux, Suisse. Le volet international est en cours de développement.

Comment intégrez-vous une dimension technologique dans vos projets ?

Le produit proposé par Outmind est un assemblage de technos assez pointu. Au début, ils pensaient sortir un produit qui tournait en quelques semaines. En réalité, cela a pris entre 3 et 6 mois à avoir un produit correct et encore plus pour un produit mature.

Le premier produit proposé par Sitadel ne ressemble pas du tout à celui d’aujourd’hui. Beaucoup de choses ont dû être faites sur la partie des connecteurs (interfaçages, prestataires externes) et la partie fonctionnelle (ergonomie).

Pour Frédéric : avec la technologie, on peut faire des choses avec peu de moyens (serveurs en ligne, packages open source…).

Discussion avec des entrepreneurs

Questions du public pour les entrepreneurs :

Comment as-tu fait pour l’interface de Corymbus en étant daltonien ?

Frédéric : « J’ai un associé, qui se trouve être ma femme, qui m’a aidé sur cet aspect-là ! »

Grace, tu as parlé d’un moteur de recherche, un Google interne. Avez-vous été approchés par Google pour vous racheter ?

Grace : « Non, pas par Google mais par des intranets. Mais nous avons envie d’être indépendants le plus longtemps possible. »

Avec l’émergence d’IA de plus en plus puissantes comme Chat GPT, des entreprises comme Microsoft commencent à se tourner vers l’IA. Peuvent-elles opposer une concurrence trop forte pour Outmind ?

Grace : « Il y a 2 points structurants qui font qu’on peut assez bien se défendre :
• Être vraiment meilleur sur ce qu’on fait. Microsoft cherche à résoudre 100% des problèmes de leurs utilisateurs alors que nous cherchons à combler des attentes très précises
• Être indépendant ce qui nous permet de nous interfacer à tous les systèmes. »

Les investisseurs sont passés d’une logique d’acquisition à une logique de rentabilité. Est-ce quelque chose qui va se maintenir ? Est-ce que ça ne risque pas de rendre difficile la création de grosses licornes/géants mondiaux ?

Philippine : « J’ai l’impression que ça bouge déjà, il y a eu quelques grosses levées dans les 2 derniers mois. Il y a une stratégie qui est d’investir dans des sociétés et prendre le pari que l’une d’entre elle fera x100 et permettra de compenser les pertes par ailleurs. Peut-être pas x100, car on n’est pas prêts à prendre ce risque et à autant valoriser des startups. Par contre, on est cohérents et on va chercher des profils d’entrepreneurs qui peuvent être rentables même si ce n’est pas forcément le bon moment. »

Comment regardez-vous ce que font vos concurrents ?

Frédéric : « La cible de Corymbus c’est les TPE et les indépendants et peu de solutions se positionnent sur ces segments-là. Il y a des solutions open source mais qui ne sont pas idéales. Il y a des solutions gratuites, qui impliquent qu’on donne ses données et qu’on doit payer pour aller plus loin. Et il y a les géants comme Salesforce qui sont très bien mais complexes et chers. La semaine dernière, une entreprise de conseil a fait une battle entre Corymbus et le leader du marché pour les TPE et Corymbus a gagné ! »

Grace : « Outmind n’est pas dans un océan rouge. Dans la plupart des cas, les prospects n’ont pas de solutions pour faire ce qu’on fait. De rares grand groupes ont codé eux-mêmes des solutions là-dessus. On vient servir un segment qui n’était pas servi, les entreprises intermédiaires. On se bat contre assez peu de concurrents. »

Pascal : « Le positionnement qu’on a pris laisse très peu de place à la concurrence. On a de la concurrence sur certains points particuliers : dans la GMAO, sur du ticketing… Comme on fait l’agrégation, et surtout qu’on le fait sur tous les types d’actifs, il y a peu de concurrents. Nos concurrents sont les serveurs de fichiers, les tableurs et les blocs-notes papier. »

Au début des années 2000, Exalead est racheté par Dassault. Qu’est-ce que cette solution est devenue ? Est-ce un concurrent d’Outmind ?

Grace : « Aujourd’hui Exalead est une brique dans les systèmes Dassault, assez peu maintenue. A l’époque, Exalead avait dû construire 200 connecteurs spécifiques pour leurs clients. C’était trop tôt pour intégrer ce marché. Dassault a d’ailleurs plus valorisé les ingénieurs que le produit lui-même ».