Aujourd’hui je vous propose un article entrepreneur plutôt original car nous allons parler d’art, de mathématique et de pixel ! Si cela éveille votre curiosité, vous pouvez donc continuer votre lecture.
L’entrepreneur-artiste que je vous invite à découvrir s’appelle AD (nom d’artiste oblige, on n’en saura pas plus…) et son concept c’est le Deep Pixel Art (site web).
Tout d’abord le Deep Pixel Art, qu’est-ce que c’est ?
Le principe est de représenter en trois dimensions une image ou photo pixelisée pour ne garder que de formes basiques et quelques couleurs très contrastées. De loin, l’œuvre ressemble à l’image 2D qu’on a voulu représenter et en s’approchant on découvre l’effet 3D des pixels en forme de petits « buildings ». C’est inspiré du Pixel Art très représenté dans le street art.
D’où t’es venue cette idée ?
A la base, je ne suis pas du tout artiste ! Je suis ingénieur de formation et je ne sais pas vraiment dessiner. J’aime bien l’art pour autant, je me rendais souvent aux musées avec mes parents, surtout les musées d’art moderne, pop art, pixel art, Dadaïsme, etc. Je me suis lancé dans le projet de décorer mon appartement et j’ai voulu faire quelque chose d’original et par moi-même. Et comme je n’avais pas de compétences artistiques j’ai évolué avec mes contraintes en m’orientant vers le pixel art et en faisant quelque chose en rapport avec les mathématiques. C’est en alliant mon goût pour le pixel art, le pop art et les mathématiques qu’est née l’idée du Deep Pixel Art et par la même occasion la naissance d’une nouvelle passion !
Concrètement, comment réalises-tu les œuvres ?
Je commence par chercher une image ou une photographie à dessiner. Ensuite je pixelise cette image, je dessine les contours comme sur un calque et j’incorpore des contrastes. Cela peut paraître étonnant mais cette étape demande beaucoup de travail car il y a un certain nombre de paramètres à prendre en compte : le nombre de pixels maximum tout en gardant quelque chose de visuellement reconnaissable, des couleurs limitées mais assez contrastées pour ne pas perdre en qualité car les pixels 3D se font de l’ombre une fois apposés les uns à côté des autres. Et puis je cherche bien sûr à avoir un style particulier, en l’occurrence ce que j’appelle du Pixel Art « chic » : pas d’images liées aux jeux vidéo, une inspiration pop art et des motifs joyeux.
Ensuite, vient la composante mathématique : j’ai créé un algorithme qui, sur la base de l’image pixelisée, va générer automatiquement un nombre de pixels 3D, avec des hauteurs différentes et les couleurs adéquates. Ici j’ai pu mettre en application mes compétences et connaissances d’ingénieur. Par exemple, il y a des contraintes sur l’algorithme sur la hauteur des pixels 3D pour qu’une fois positionnés il ne se fassent pas d’ombre au risque de perdre l’intensité des couleurs. Il a fallu aussi réfléchir aux contraintes techniques : une fois le tableau accroché, les pixels sont à l’horizontal et il faut donc que le pixel de dessous aie une hauteur suffisante pour supporter le poids des autres et éviter la flexion dans le temps. Évidemment, l’algorithme n’a pas été juste du 1er coup et j’ai dû procéder par essais, tests, faire des prototypes et des simulations sur logiciels.
Après le design, la production ?
Les premières œuvres sont en polystyrène : je découpais à la main des petits cubes un par un que je peignais avec un pulvérisateur. Comme j’ai réussi à vendre quelques tableaux, j’ai décidé de réinvestir cet argent pour optimiser mon processus en termes de qualité, précision et efficacité. Cela peut paraître anodin, mais coller à la main 1500 « frites » (pixels 3D) sur une plaque, ça peut vite devenir un enfer quand il y a un décalage d’un millimètre ! J’ai donc entamé un travail de R&D pendant près d’un an.
Quelles ont été les étapes, réussites et difficultés de ce processus de R&D ?
Avec un ami, nous avons commencé à produire des moules en silicone pour les pixels grâce à une imprimante 3D. Un problème est vite survenu : avec des « frites » pleines de résine d’une densité relativement importante, les œuvres pesaient près de 40 kilos ! Impossible à transporter et envoyer par colis aux galeristes ou clients…On s’est donc lancé dans la conception de contre-moules afin de rendre les frites creuses.
Et là, de nouveaux problèmes sont apparus :
– Au moment du démoulage, comment éviter l’effet de succion qui empêchait le démoulage du contre-moule (formant le creux à l’intérieur de la frite)?
– Comment démouler proprement quand le moule et la frite sont complètement figés ?
– Comment réussir à verser la quantité de résine (au dixième de gramme près) sans que ça déborde après mise en place du contre moule?
– La résine est produite en mélangeant deux substances qui doivent être assez liquides pour être intégrées au moule mais qui sèchent extrêmement vite : comment concilier ces deux paramètres au moment du moulage ?
Il nous a fallu près d’un an et plusieurs tests pour trouver une solution minimisant le poids de l’œuvre tout en facilitant le démoulage et conservant la solidité du produit… mais chut, c’est un secret ! Cependant, le processus restait long et complexe et ne permettait pas de produire de manière efficace. J’avais donc le choix entre un processus rapide mais générant des œuvres très lourdes ou un processus long pour réaliser des œuvres plus légères.

moule, négatif et « frite »
Quelle option as-tu choisie ?
Je suis sorti de mon « labo » de R&D et je suis allé voir des spécialistes, des artistes, des galeristes pour avoir leur avis. Comme tu peux t’y attendre, j’ai eu les deux sons de cloches : « Le poids n’est pas un problème », « 40 kilos ! Surtout pas, malheureux… ».
Ce qui m’a permis de trancher, c’est quand une galerie a signé un contrat avec moi pour un bon nombre d’œuvres… quel que soit le poids ! Comme les œuvres restaient difficilement transportables, on a opté pour des œuvres plus petites pour lancer le projet, et pouvoir réinvestir l’argent sur de nouveaux processus. Finalement, après toute une démarche de R&D, la réponse vient du marché et du client !
Quelles sont les perspectives sur l’année 2022 ?
J’ai beaucoup de chance d’avoir trouvé une galerie qui me fait confiance et avec qui nous travaillons main dans la main. C’est un vrai partenariat. Je vais développer aussi mon activité dans d’autres galeries très prochainement car le marché est bien présent et des galeries sont intéressées pour des précommandes. L’objectif est de gagner en visibilité et cela fonctionne principalement par le bouche-à-oreille dans ce secteur.
Coté technique et processus, je travaille donc à améliorer la production en construisant ma propre imprimante 3D, en revoyant les opérations de tris et de collage des frites, etc… Mon objectif est de produire des œuvres de qualité et de manière efficace car je souhaite en faire mon activité principale à terme. On y va pas à pas, en fiabilisant la production avant tout.
Enfin, j’ai déjà quelques idées pour me diversifier comme des œuvres à base d’essences naturelles de bois, une déclinaison en meubles, des œuvres murales mouvantes avec des mécanismes, des œuvres qui changent de couleur, voire du Deep Pixel lumineux et des motifs évolutifs, et même des œuvres numériques (NFT).

imprimante 3D
En quelques mots, quel est ton retour d’expérience sur l’entrepreneuriat ?
C’est difficile et il faut s’accrocher. Par exemple, la R&D est un processus long, avec des hauts et des bas, où l’on peut faire des virages à 180 degrés, faire et refaire plusieurs fois le tour, parfois ça ne marche pas, mais in fine cela vaut le coup de s’accrocher.
A la fin, la récompense est double : la satisfaction des clients et la fierté d’avoir créé quelque chose de ses propres mains (et que je trouve beau, personnellement !). Le succès quand tu t’accroches balaient intégralement les échecs.