Dans le cadre de nos rencontres avec des entrepreneurs, nous avons eu la chance de rencontrer Thomas Deneux, fondateur de Learning Robots. Thomas partage pour ISLEAN le parcours de Learning Robots et son expérience entrepreneuriale. 

Peux-tu pitcher Learning Robots ? 

J’ai créé l’entreprise Learning Robots en mai 2020, dans le but de commercialiser le robot AlphAI. Je l’ai initialement développé dans le cadre d’un projet de recherche au CNRS visant à comparer l’apprentissage d’une IA et l’apprentissage du cerveau humain/animal. Ce robot est idéal pour enseigner l’Intelligence Artificielle dès le plus jeune âge. Il permet entre autres de visualiser des réseaux de neurones, et de comprendre comment ils fonctionnent. Il présente 3 modes d’apprentissage : 

  • Programmation classique où le robot reçoit directement les informations par l’interface graphique ou en Python,
  • Apprentissage supervisé où l’utilisateur téléguide le robot avant de le laisser en autonomie,
  • Apprentissage par renforcement où le robot apprend en expérimentant. Il reçoit des récompenses positives ou négatives en fonction des décisions prises ce qui lui permet de progresser.

D’abord, nous avons commencé par le présenter dans des écoles. C’est tombé en phase avec un besoin d’apprentissage de l’IA exprimé par l’Education Nationale, ce qui a été un encouragement fort et nous a permis de nous lancer.

Comment le projet a-t-il été lancé ?

Au départ, en 2018-2019, nous avions dans l’idée de faire un jouet. AlphAI aurait été une sorte de robot compagnon s’adaptant à l’enfant. En présentant un prototype à des enfants et des enseignants, nous avons constaté que le robot éveillait leur intérêt. En parallèle, j’ai suivi une formation à l’entreprenariat avec Deeptech Founders. Faire cette formation m’a fait réaliser qu’un jouet ne peut pas coûter plus de 100€. Or, le robot aurait coûté beaucoup plus sauf à produire des volumes de l’ordre du million. C’était trop risqué, alors que j’avais de bons signaux côté éducation. Cela m’a fait changer de direction : utiliser l’éducation comme levier et aller plus tard vers d’autres marchés.

D’ailleurs, aujourd’hui AlphAI consiste à mettre l’IA à la portée de tous, en l’étudiant. Mais à l’avenir il sera naturel de lui trouverde nouvelles applications où les principes de base seront facile à utiliser et que l’on comprenne ce qu’il se passe à l’intérieur.

Notre lancement s’est bien déroulé. En effet, le robot prototype avait déjà été montré à des salons d’éducation. Cela nous a permis de décrocher des contrats de distribution dans les premiers mois. Nous avons également obtenus 2 subventions :

  • Edu-up proposé par l’Education Nationale et
  • Innov’up Experimentation « IA et Education » proposé par Cap Digital, BPI France et la Région IDF

Plus que de l’argent, concourir à ces subventions nous a permis d’entrer dans le réseau de l’Éducation Nationale. Du reste, nous avons vendu 400 robots à 130 établissements dans les 18 premiers mois de vente. Les clés de notre démarrage réussi : 

  • Nos contacts directs avec l’Education Nationale,
  • Avoir été positionnés dans les catalogues des distributeurs.

Aujourd’hui, où en est Learning Robots ?

L’entreprise doit continuer de grandir. La priorité est d’augmenter les ventes. Pendant ces 2 premières années d’existence, nous avons fonctionné de manière agile. En d’autres termes, nous avons récupéré les retours des utilisateurs, pour rendre la solution de plus en plus maniable. Notre plus gros levier de croissance aujourd’hui, c’est l’international. On a d’ailleurs été au salon de l’éducation mondial BET à Londres en mars dernier. Et, même si l’IA y était présente, aucun de nos concurrents ne cherche à expliquer comment cela fonctionne, à ouvrir la boîte noire.

Je suis persuadé qu’on est dérouté par la vitesse à laquelle les systèmes apprenants progressent notamment via les smartphones, GPS,… La machine saura bientôt quelles sont nos meilleures options. Cependant, cela n’empêche pas que comprendre comment ça marche permet d’avoir un regard critique et de toujours mieux l’utiliser. C’est même une nécessité !

Quelles sont les suites du développement de Learning Robots ?

Nous avons réalisé 85 000 € de CA sur l’année, ce qui est très bien pour un début. Mais il faut absolument l’augmenter. Nous avons deux pistes pour cela :

  • D’abord augmenter notre présence géographiquement,
  • Mais aussi beaucoup d’expansion sectorielle. Nous avons prévu de nous y attaquer cette année. Nous pensons à l’éducation supérieure (universités, écoles d’ingénieurs…) qui sont bien sûr sensibles à ces sujets. Mais, nous expérimentons aussi vers les âges les plus jeunes (écoles élémentaires) pour voir si notre solution peut convenir. AlphAI peut en effet aider les élèves à comprendre l’IA et la robotique mais également l’apprentissage de manière générale. Le robot marque les élèves et leur permet de comprendre que l’erreur aide à progresser dans leurs apprentissages,
  • Nous avons également commencé à réfléchir à une expansion sectorielle vers la formation professionnelle.

Comment fonctionne AlphAI ? En quoi consiste-t-il ?

Learning Robots : comment expliquer l'IA

Avec AlphAI, on a voulu développer 2 volets : permettre de manipuler les apprentissages et expliquer les algorithmes à l’intérieur. Notre offre se différencie par le choix d’avoir un robot physique plutôt qu’une interface web. Nous avons une activité phare avec AlphAI : la course de robot. On construit une arène au sol avec des planches, puis les élèves entraînent le robot en fournissant des données. Plusieurs modes d’utilisation existent :

Apprentissage supervisé

Dans ce mode d’apprentissage, les élèves commencent par entraîner le robot. Ils pilotent le robot dans l’arène. L’IA va mémoriser les images capturées par la caméra associées avec la décision prise (tourner à gauche, aller tout droit, faire demi-tour…). Le robot va ainsi être capable de copier ce qu’il a déjà fait et de généraliser à des situations légèrement différentes pour se diriger lui-même. Après l’entraînement, on place les robots sur la ligne de départ et on lance le robot en autonomie. A ce moment, l’IA pilote les robots et la course a lieu. Ensuite, on fait le bilan avec les enfants car pour avoir un robot performant, il faut des données qualitatives, quantitatives et exhaustives. Par exemple, les robots des enfants qui confondaient la droite et la gauche pendant l’entraînement vont refléter ça dans leur comportement, et risquent de ne pas gagner la course…

Apprentissage par renforcement

Dans ce cas, on ne donne plus d’exemple, on met en place un score et le robot apprend par lui-même en expérimentant de manière autonome. Le score correspond à la vitesse du robot : plus elle est forte, plus il reçoit de récompenses. Si le robot s’arrête, il reçoit une punition. Au fil du temps, le robot progresse. De la même manière, on peut lui apprendre à taper dans un ballon de baudruche. Pour ce faire, on programme une récompense qui l’encourage à chercher à avoir la couleur du ballon dans son champ de vision.

On peut également prendre le contrôle du robot pour accélérer son apprentissage ou encore faire une activité où on fait prendre des décisions au robot une par une ce qui permet de voir l’impact des décisions prises sur les connexions au niveau du réseau de neurones.

Autres applications

Nous avons aussi développé d’autres activités. On peut par exemple se passer de la caméra pour utiliser de l’ultrason. Cela permet d’évoluer dans un environnement plus simple et de pouvoir interagir avec un réseau de neurones beaucoup plus petit pour commencer. Le but de ces activités est de comprendre les réseaux de neurones et les connexions qui les lient.

Prenons l’exemple d’un réseau de neurones avec 2 neurones en entrée : si le robot est bloqué le premier neurone s’allume, s’il ne l’est pas c’est l’autre qui s’allume. Par l’expérimentation manuelle, les enfants vont se rendre compte que pour que le robot ne reste pas bloqué, alors le neurone associé à “est bloqué” doit avoir une connexion forte avec l’action “se retourner” et que le neurone associé à “n’est pas bloqué” doit avoir une forte connexion avec l’action “aller tout droit”. Nous passons ensuite avec les enfants à la visualisation de l’apprentissage automatique : nous voyons comment, pour minimiser l’erreur, le programme d’apprentissage modifie les connexions jusqu’à retrouver celles qu’on avait trouvées dans l’activité précédente manuelle. Quand on met ensuite des couches intermédiaires, c’est le même principe : le programme d’apprentissage renforce ou diminue des chemins complets.

On parle aussi d’autres algorithmes. Par exemple, on aborde l’algorithme des k plus proches voisins (au programme du lycée). Dans ce cas, on cherche à trouver les k images les plus proches de celle pour laquelle on doit prendre une nouvelle décision (k est un nombre entier). Cela consiste à prendre une décision sur une image, en la comparant avec des images de la base de données et en sélectionnant les k images les plus proches.

Comment accompagnez-vous vos clients après une vente ?

L’accompagnement est très important. Surtout que les professeurs qui achètent la solution découvrent eux-mêmes ce qu’est l’IA, et peuvent pour cela avoir des difficultés à utiliser le logiciel. Nous avons donc mis en place une séance d’1h30 de visioconférence après achat d’un robot pour pouvoir lancer les utilisateurs. Cela nous permet aussi d’avoir plus de feedback de la part des enseignants, donc de mieux développer notre solution. Nous réfléchissons également à créer une sorte d’académie de partage et d’échange autour de notre solution. Nous proposons aussi une hotline gratuite pour les clients.

Aujourd’hui, notre business model tourne majoritairement autour du robot. A terme, nous souhaitons nous tourner vers notre logiciel et les services associés en mettant en valeur le logiciel sous la forme d’un abonnement lié aux mises à jour de ce dernier. Une autre diversification que nous visons est de vendre le logiciel seul car il va pouvoir analyser des jeux de données, ou parce qu’on pourrait piloter d’autres robots (Thymio par exemple). 

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui voudrait se lancer dans l’entrepreneuriat ?

D’abord, il faut savoir que c’est très différent du statut de salarié, car je mène mon propre projet. Il faut donc avoir une vision à court et moyen-long terme. C’est passionnant mais risqué et donc cela peut aussi être usant. La réussite tient beaucoup à avoir la bonne idée et avoir la fibre pour la mener à bout, ce qui veut dire que pour aboutir il ne faut rien lâcher. Par exemple, début janvier, nous avions anticipé 20 000 € de commande et nous avons réalisé 1 000 ou 2 000 €. Ça fait un trou dans le prévisionnel mais il faut continuer d’y croire, et de fait cela repart bien depuis que nous sommes sortis du Covid. C’est aussi très important de bien s’entourer, de savoir déléguer et de trouver les bons talents. Nous venons par exemple de rejoindre le Réseau Entreprendre qui va nous apporter un accompagnement de qualité.