Dans le cadre de nos rencontres entrepreneurs, nous avons eu la chance de discuter avec Aurélien Onimus, fondateur d’une plateforme gamifiante de visualisation de vos investissements en cryptomonnaie, Seein-apps. Il partage pour ISLEAN son parcours entrepreneurial dans un écosystème encore fluctuant, notamment après la chute de l’un de ses géants, FTX.
Qui êtes-vous et quel est le problème que votre entreprise a résolu ?
Je m’appelle Aurélien Onimus. Cela fait maintenant 5 ans que je travaille dans l’industrie cryptomonnaie/blockchain. J’enseigne également à la Sorbonne sur ce sujet depuis l’année dernière. Je suis l’auteur de 4 livres sur ces sujets, dont les deux derniers sont édités chez Eyrolles. Mon dernier ouvrage s’intitule Guide pratique de la blockchain en entreprise et est paru il y a quelques mois.
J’ai travaillé à mon compte 3 ans dans le conseil en lancement de produit tech et blockchain en startup, ce qui m’a amené à lancer le projet dont on parle aujourd’hui.
Celui-ci trouve sa source dans un sondage que l’on a effectué. On a interrogé environ 200 personnes sur du quantitatif et du qualitatif, ce qui nous a permis de déterminer un profil type d’investisseur en cryptomonnaie : Romain, âgé d’un peu moins d’une trentaine d’années, qui investit via plusieurs plateformes. Rapidement, il devient compliqué pour lui de gérer et de suivre tous ses investissements en même temps. Pour se réassurer et suivre les projets, il rejoint des communautés d’influenceurs ou de projets. Malheureusement, il ne dispose d’aucune garantie de la sincérité, de l’authenticité et de la transparence de ces projets ni de la fiabilité des influenceurs (ont-ils pris des risques, sont-ils payés pour parler de ce projet etc.). Enfin, il a le sentiment que le marché est réservé aux initiés que sont les analystes et les geeks.
Basé sur ce profil-type, et le besoin d’une expérience complète d’investissement, seein-apps vient agréger tous les investissements en cryptomonnaie sur une seule plateforme qui se modélise en forme de ville, avec pour chaque cryptomonnaie, un bâtiment différent. La plateforme permet ainsi de fidéliser, de créer des interactions et du jeu et enfin de garantir la sincérité des utilisateurs et de la performance de leur investissement.
Comment avez-vous lancé le projet ?
Le lancement d’un produit reste un vaste débat, notamment dans le monde start up. Dans l’idéal commun : on sort un produit une fois qu’il est parfait, qu’il va buzzer et se suivent de multiples campagnes marketing.
Dans la réalité, c’est tout autre. On s’est débrouillés seuls, au jour le jour, en faisant ce qu’on appelle du « bootstrapping », en somme, on a fait avec les moyens du bord. On a suivi une des règles du Y Combinator (fonds de financement de startup internationale) : « sortez un produit dont vous avez honte ». C’est ce qu’on a fait afin d’arriver au plus tôt sur le marché et de pouvoir itérer grâce aux retours des utilisateurs.
J’ai à l’origine commencé seul mais nous sommes aujourd’hui 2 associés, avec quelques prestataires externes. Nous avons une philosophie très économe, notamment en vue du contexte. On essaye d’être précis. Nous restons très focus sur chaque hypothèse : pourquoi on le fait, dans quel but etc.. On a la chance d’avoir déjà une petite communauté active, nous permettant d’itérer à fond.
Quant à mon cofondateur, Pierre Moradei, il a rejoint l’aventure en juillet 2022. Avant, je faisais tout ça seul en plus de mon activité de conseil et de la rédaction de mon livre. Le point de bascule est de savoir à quel moment tu switches à plein temps sur le projet, sinon ça ne décolle jamais. Depuis que j’y suis à temps plein, ça a vraiment accéléré.
Jusqu’à juillet 2022, donc, j’étais tout seul avec mon bâton de pèlerin et un développeur junior. C’était fou mais j’étais super content. Pour mon tout premier pitch public, j’ai levé 40 000 euros avec seulement 400e de traiteur.
J’avais rencontré mon associé sur un projet de conseil blockchain immobilier il y a quelques années. Quand je cherchais un associé, je cherchais un CTO, car je suis moi plutôt un profil stratégique/business. Je me suis même demandé si je pouvais développer moi-même, avant de réaliser que l’on est toujours plus efficace avec quelqu’un de complémentaire.
Je cherchais donc un CTO axé Web3. Tous avaient soit des prétentions extraordinaires, malgré la jeunesse de l’écosystème, soit ils étaient déjà sur un projet. Je n’avais pas du tout pensé à Pierre car il n’était pas axé web3. Je me suis ensuite rappelé de notre ancienne collaboration, de sa disponibilité, et surtout de son état d’esprit entrepreneurial. Et là je me suis dit : Eureka ! mais c’est lui qu’il me faut. Je lui en ai parlé. Il avait déjà dix ans d’expérience en développement, notamment dans le software, et particulièrement dans le secteur hôtelier. Il a grimpé comme ça dans le salariat. J’ai réussi à le convaincre et il a quitté cette belle place pour rejoindre l’aventure. Aujourd’hui, le langage Web3 est très proche des langages Web2. Donc un bon développeur s’en sortira toujours. Comme je le dis toujours, ce n’est pas avec une formation de 3 mois qu’on devient développeur et encore moins un développeur spécialisé Web3. D’où le fait que le profil soit parfait et hyper complémentaire avec le mien, tout en étant bon pitcher. Maintenant on pitch même à deux, alors que ce n’est pas ce que je cherchais à l’origine. J’ai compris que le mindset c‘est plus important, encore plus que les hardskills, pour le bon fonctionnement d’une équipe.
On a tout de suite opté pour une optique communautaire. On obtient des retours grâce à nos followers, nos réseaux et nos amis. Ça peut prendre la forme d’un simple retour par messages jusqu’à des appels de ¾ d’heure qui donnent des retours très détaillés, une vraie mine d’info. L’objectif est d’être au plus près des gens. Il est assez rapide de s’enfermer ou de rester coincé dans le tunnel d’une roadmap. On se donne une simple règle : une nouvelle fonctionnalité par semaine, et sur cette livraison, on donne notre maximum pour avoir des retours. On utilise évidemment beaucoup Discord, canal très populaire pour l’écosystème Web3. On poste des messages sur notre serveur, mais la taille de notre communauté fait que l’on peut parfois se retrouver sans retour. On opte alors pour des messages privés et en général, on obtient toujours des réponses.
On entend beaucoup que ce genre d’interactions est propre au Web3, une nouvelle façon de voir internet. En réalité, non. Dans le Web2, on apprend toujours à avoir un retour utilisateur. C’est juste que cet écosystème a ses propres codes (on sera plus sur discord et twitter par exemple). Nous on fait du B2C en mass market, donc forcément, on a besoin des retours de « M. ou MME. tout le monde », mais ce n’est pas propre au marché.
Où en est votre entreprise aujourd’hui ? Les suites du développement ?
On peut d’ores et déjà modéliser son portefeuille d’investissement en cryptomonnaie sur notre plateforme. On est principalement sur une innovation d’usage. Il est donc fondamental pour nous de prouver que notre innovation vaut pour tout type d’investissement, pas seulement pour le Web3. Pour l’instant, notre base c’est de rendre l’interaction individuelle pertinente, récurrente et amusante. On a encore beaucoup de boulot.
Le but à termes, notre vraie valeur ajoutée selon nous, c’est de créer des communautés d’investisseurs. Chacune pourra voir la ville des autres communautés, les comparer et interagir. C’est aussi un moyen de suivre les performances des investisseurs et des communautés. Chacun des buldings, dont la taille varie en fonction du montant détenue de ladite cryptomonnaie, a au-dessus de son sommet, le logo de la cryptomonnaie. On travaille également, à court terme, sur un système de couleur qui permet de rendre compte de la performance de l’investissement, en suivant les codes du jeu vidéo avec des ligues bronze, argent, or etc. Ainsi, en plus du montant détenu, on pourra également évaluer la performance d’un investissement et pas se faire avoir par un gros montant aux mauvaises performances.
Autre point majeur : on est focus sur les millennials et la génération Z, en se basant sur des sondages intéressant, datant d’il y a quelques années. Par exemple, on sait qu’un joueur millennial sur 2 aurait de la cryptomonnaie. Ça en dit long. Ils commencent par le gaming, puis rentre dans cet écosystème par du Roblox par exemple. A ce sujet, on n’a pas tellement de contraintes légales : on ne permet pas d’acheter et revendre des cryptomonnaies. On a une grosse contrainte légale en France à ce sujet : la loi PACTE. Elle régule surtout la conservation, l’achat et la revente. Nous on fait juste de la lecture de données, c’est un choix stratégique. On ne pousse pas à l’investissement, on vise à éduquer à l’investissement. En théorie, si cette loi est respectée, un mineur n’a pas de compte crypto et donc ne peut pas utiliser notre plateforme. Ça reste un risque mais, on a décidé de d’abord foncer sur le marché, ensuite on bloquera si besoin. Peut-être qu’un jour, notre plateforme aura sa propre cryptomonnaie et permettra d’acheter et revendre des cryptomonnaies mais ce n’est pas notre proposition aujourd’hui.
Pour le moment, ce qui est effectif c’est de pouvoir connecter avec son échange centralisé Coinbase, ainsi qu’avec les wallets Metamask et Phantom. A termes, on vise plus largement le Web2 centralisé type Binance (qu’on veut intégrer pour début 2023) puis l’intégration du hardware, type Ledger. L’idée reste de seulement lire l’information.
Il n’y a pas particulièrement de problème de droit. Le plus gros enjeu est sur le centralisé. Dès qu’il existe une API, il n’y a pas de souci. Notre flux d’utilisateurs est encore assez faible pour être géré. On verra plus tard. Sinon ce ne sont que des accords utilisateurs et on utilise de l’open source. On ne « hack » rien.
On a quand même eu, sur le plan technique, quelques problèmes d’actualisation. Une des règles des wallets Web3 est que l’on ouvre un wallet qu’en cas d’action utilisateur. Sinon la plateforme ne peut pas l’ouvrir. Notre enjeu majeur est de certifier les personnes sur l’app. Mais le Web3 repose sur la pseudonymisation. Comme ces profils sont publics, les utilisateurs peuvent renseigner des pseudos d’autres personnes. Nous, nous devons pouvoir assurer que l’utilisateur est bien propriétaire du porte-monnaie qu’ils souhaitent modéliser sur notre plateforme. Notre solution est donc la suivante : lors de la première connexion, l’utilisateur lie son wallet, autorise la lecture du solde, et grâce à l’adresse publique on actualise (toutes les deux minutes) l’affichage de donner avec l’adresse publique. Ensuite, plus besoin de rouvrir le wallet, et donc plus de risque utilisateur.
Quel impact de la situation du Web3 sur votre projet ?
Forcément, certains nous ont un peu pris pour des fous à se lancer dans cet écosystème, notamment après FTX, mais d’expérience, c’est quand on entend ça, que ça va prendre.
Il n’y a pas de sujet de crise pour nous, et même après la chute de FTX qui en a rajouté une couche. On est sur un marché baissier, un bear market, et une récession. C’est aussi un nettoyage de l’opportunisme ambiant. Toutes les personnes qui créent un produit, dans un marché haussier, ça peut exploser à tout moment.
Nous ça ne nous a pas tellement impacté. C’est aussi l’un de nos choix qui nous différencie de nombreux acteurs de l’écosystème : nous n’avons pas créé de cryptomonnaie, pas de ICO (levée de fonds en crypto). Beaucoup de projets Web3 confondent créer de la valeur autour d’un écosystème financier (en créant des cryptomonnaies ou des NFT) avec la création de valeur d’un produit. 99% des ICO qui concernent la première catégorie, en témoigne STEPN dont tout le monde parlait, chutent au bout de quelque mois par absence de bon produit. Notre sujet c’est de créer un produit que les gens veulent, c’est notre seul focus et ensuite peut-être que cette petite communauté nous demandera que nous créions une cryptomonnaie. Si cette demande est vraiment poussée, on y songera et on cherchera à lever plus de fonds. Aujourd’hui, on est sur des fonds d’investisseurs privée, du préseed, sous format BSA Air avec donc des formats plutôt classiques du Web2. Les levées faussent l’analyse de la rétention et du marché. Beaucoup de projets Web3 ont levé énormément mais ça ne prouve aucunement l’existence d’une traction. La rétention ne s’analyse pas sur six mois. Nous on vise petit et dès qu’il y a de la rétention, nous grossissons. Donc l’écosystème qui bouge, ça ne change rien. On lance certes une petite collection de NFT mais en restant cohérent avec notre projet, notamment sur la quantité. Le marché devient rationnel, et quand on a une traction, on accélère.
Quels enseignements pour vous ?
En termes de software, c’est le premier que je lance. Avant, j’avais une société de conseil. On n’est pas sur la même chose. Je ne fais pas ici de hiérarchie qualitative malhonnête, je constate juste une différence. Dans le conseil, mon but c’était de vendre une prestation et mon expertise. Là, dans la partie software : il faut maîtriser tous les versants, mais ça reste idéaliste. Tu essayes, à l’instant T de prendre la moins pire des décisions. Il faut accepter qu’on puisse se tromper et perdre 15 jours de vie.
L’apprentissage majeure, c’est ce que je mentionnais : sortir un produit dont on a honte. C’est contre-intuitif mais c’est puissant. Je ne pensais pas que ça m’apprendrait autant. Car même si c’est négatif, on a des retours, le produit existe, on génère quelque chose. Si je pousse à fond cette logique, je pourrais même dire que même un bad buzz, ça fait parler. Avant je voulais lever 5 millions, et foncer. Après quelques échanges, j’ai compris que ça ne marchait pas comme ça. Maintenant, on vise petit. Nous discutons avec pas mal d’experts, de fondateurs de licornes, de personnes qui sorte de l’accélérateur Y Combinator et ils sont unanimes : ils nous poussent à continuer ce projet à deux. Nous pouvons ainsi rester agiles et au moment venu, nous grossirons. Ce n’est pas du bullshit : il s’agit de faire comprendre la plus-value, quitte à laisser le reste de côté (UX, design etc.), mais nous itérons grâce aux utilisateurs avant de faire des formulaires pour lever plein d’argent, missionner un designer pendant plusieurs mois etc. Là nous connaissons notre produit sur le bout des doigts et chaque retour que nous avons pu avoir. Dans le Web3, beaucoup d’ICO avec des montants très élevés ne sortent rien pendant des années. Avec ça, la tentation est grande de partir avec la caisse. En termes mécanique, une boite n’est jamais prête à recevoir autant si tôt. Notre base c’est ça : on avance à tâtons.
Quelques conseils pour ceux qui voudraient se lancer ?
J’en ai deux.
Sur l’entrepreneuriat en général, ne pas agir c’est déjà une décision, c’est choisir de ne rien faire. C’est très simple mais c’est vrai. Faites quelque chose, agissez et arrêtez de réfléchir des années. C’est l’état d’esprit, faites un post, faites réagir et ça commence déjà là. Passez à l’action. Si vous ne le faites pas, posez-vous des questions : est-ce que j’ai vraiment envie d’entreprendre ? Le seul moyen de savoir si ça marche c’est d’essayer. J’ai parlé à des entrepreneurs qui ont vingt ans d’expérience avec des énormes succès et même eux ne sont pas sûrs d’être bons.
Quant à l’entrepreneuriat dans le Web3 à proprement parlé : soyez dans les codes. Rejoignez des communautés, parlez aux gens, allez au contact sur Twitter, Discord, ou des Forums. Ça arrive très vite de s’isoler de son public et on s’éloigne de ce qu’il se passe, de ceux que l’on pense viser.