Dans le cadre de nos rencontres entrepreneurs, nous avons eu la chance de discuter avec William Eldin, serial entrepreneur, co-fondateur et CEO de la startup spécialisée en Intelligence Artificielle et vision par ordinateur (“IA ci-après” (ndlr)) XXII (prononcé “twenty two” (ndlr)). Il partage avec ISLEAN son parcours entrepreneurial et les clefs de la réussite d’un lancement de startup. Retour sur un parcours riche et audacieux. 

XXII : le nouvel acteur majeur de l’IA et de la vision par ordinateur

Qui êtes-vous et quel est le problème que votre entreprise a résolu ? 

Je suis William Eldin, 37 ans, CEO et fondateur de XXII, entreprise spécialisée en vision par ordinateur, avec gros focus sur le “temps réel”. La “vision par ordinateur” est la capacité à interpréter un flux vidéo par une machine, c’est-à-dire grâce aux techniques d’IA qui permettent d’analyser des images et donc une vidéo grâce aux pixels et grâce aux bases de données préparées à l’avance pour répondre au mieux aux différents cas d’usage, depuis n’importe quel type de caméra (existante ou nouvelle) ; ce qui permet à l’humain, via son activité vidéosurveillée, d‘avoir plus de remontés d’informations, lorsqu’il ne peut pas regarder tous les flux simultanément. 

Une fois cela dit, naturellement on pense d’abord à la sécurité. On travaille en effet pour le Ministère de l’Intérieur, des grosses entreprises privées, des Monuments, des stades, ou même publiquement des Villes pour les sécuriser. Par exemple, nous aidons à détecter qu’un objet défini est bel et bien à un endroit précis à une certaine heure, à détecter tout un tas de choses autour des silhouettes humaines : des chutes, des dynamiques, des intrusions… De plus, nous étudions aussi des cas d’usages propres aux rôles opérationnels, lors de notre travail en matière de sécurité. On s’est ainsi rendu compte qu’une caméra, finalement c’est un œil. Dès lors, pourquoi ne pas pas aller creuser le chantier des opérations, en retail ou encore en logistique, car il y a forcément des caméras installées pour un usage sécuritaire. On cherche donc à utiliser ces caméras pour en faire un usage opérationnel.

La mission de XXII est de transformer ces capteurs, qui ne sont pas “intelligents”, en source d’informations visuelles pour l’être humain et le problème à résoudre, le plus important pour nous, est de continuer à nourrir l’humain, qui ne progresse plus en capacité d’analyse,  grâce à des capteurs et des algorithmes qui permettent de remonter la bonne alerte au bon moment. Tout l’enjeu est là : combattre la surcharge cognitive et le fait que l’humain se fasse dépasser par une d’information qui n’est pas traitée avec intelligence.

Comment avez-vous lancé le projet ? 

J’ai lancé le projet grâce à mon ancienne entreprise, Coyote, qui a été “interdite” en 2011. Pour être réautorisée, nous avons dû afficher la limite de vitesse en temps réel. Or, aucune base de données n’existait en la matière, ni aucune capacité technologique permettant de l’obtenir en temps réel, sauf la vision par ordinateur, notamment avec le début des voitures autonomes. C’est là que j’ai réalisé qu’il existait forcément des algorithmes permettant de reconnaître l’environnement (les autres véhicules, les trottoirs, les feux, etc.). Je me suis donc intéressé à une entreprise spécialisée, Mobil Eye, qui a d’ailleurs été revendue pour 17 milliards, il y a 3 ans, à Intel. Je leur ai donc acheté un algorithme avant de me rendre compte qu’il reconnaissait tous les panneaux de limitation de vitesse. Je me suis donc dit que si l’on arrive à reconnaître des panneaux de limitation de vitesse grâce à une base de données de panneaux de limitation de vitesse, alors avec une base de données d’images du monde entier, on pourra lui faire reconnaître le monde entier et donc l’humain pourra s’en servir. 

C’est comme ça qu’en 2014, j’ai décidé de vendre mes parts de Coyote, j’en suis sorti en 2016 et j’ai lancé, avec mes associées, XXII, avec comme premier objectif, de comprendre comment marchait la technologie et sur quels cas d‘usage était-ce pertinent de la déployer. On a donc fait beaucoup de POC (Proof of Concept ndlr)  jusqu’en 2020 (au moins 150 avec une centaine d’entreprises différentes). La conclusion de ce rodage était qu’il fallait donc un logiciel qui se branche derrière n’importe quel type de caméra, qui récupère des flux vidéos, qui les analyse et qui redonne à l’être humain, via sa machine, les alertes qu’il aura paramétré.  

On s’est rendu compte qu’il fallait des algorithmes qui détectent le monde de manière généraliste, et des règles qui permettent aux métiers d’adapter notre solution à leurs besoins. Un exemple tout bête, dans la sécurité, détecter un humain ça sert à plein de choses (intrusion, chute…), mais dans un fast-food, l’important est de détecter d’autres comportements (un individu debout, assis, qui lève la main…). Idem pour une station-service, l’humain est toujours à détecter, mais pour vérifier qu’il fasse son plein, qu’il ne tombe pas dans les pommes, etc. Chaque métier a son besoin et apprend à un algorithme généraliste à voir le monde comme tel, puis de laisser à l’humain la définition de ses propres règles pour adapter l’algorithme était la clef. 

Ensuite, en 2021, on a confronté la solution au marché, on l’a ajusté pendant un an, et depuis qu’il a atteint sa maturité, on a commencé à en vendre beaucoup. Nous avons donc fait le choix de faire une Série A, de financer la croissance, en levant 22 Millions d’euros pour déployer et vendre notre logiciel sur 3 secteurs : la sécurité, le retail et la logistique  (ce qui progresse bien en ce moment).  Désormais, on souhaite attaquer l’international, ce qui est un tout autre sujet. 

On a d’ailleurs complètement lâché nos autres technologies de vision : la réalité virtuelle et augmentée. “Virtuelle”, car le marché était principalement axé sur le gaming, mais bon, personne n’a de casque ; et quant à la  “Réalité Augmentée”, je pense qu’il y aura un marché, mais il n’est pas encore assez mature, notamment en question hardware, de mon point de vue (même si Apple sort Vision pro, et que d’autres produits émergent également, ce n’est pas encore mainstream). Comme la R&D en la matière est assez coûteuse, on a préféré couper et que ça mûrisse plutôt que de continuer sans garantie. On a donc axé sur le marché plus prometteur et plus mûr à date de la computer vision.

Où en est votre entreprise aujourd’hui ? Les suites du développement ? 

L’entreprise est aujourd’hui dans une post-Série A. La Série A est là pour accélérer l’industrialisation et la vente du produit. Nous avions réussi à générer entre 1 et 2 millions d’euros d’ARR (Annual Recurring Revenue ndlr) qui est l’un des critères étudiés de près par les investisseurs pour prouver que l’on ne vend pas que des POC, pour qu’ils accordent ensuite un investissement permettant d’accélérer l’industrialisation. Nos enjeux sont désormais de faire entre 5 et 10 millions d’ARR grâce aux 22 millions levés et essayer de déployer XXII à l’international. Nous avons commencé par l’Europe, en plaçant des développeurs en Espagne et bientôt en Italie et en Allemagne. On se pose actuellement la question de s’installer aux USA. Moi-même je m’interroge quant au fait de m’y installer personnellement.

On n’est toutefois pas encore en hyper scale car le marché n’est pas encore assez ouvert. J’espère que ce sera le cas dans un ou deux ans, au moment de la Série B. Notre produit, à date, peut s’industrialiser et on développe peu à peu de nouvelles fonctionnalités pour attaquer de nouveaux secteurs. Ce produit, XXII CORE, concerne l’analyse temps réel. On a un autre produit, REPLAY, qui permet d’analyser des vidéos a posteriori et retrouver des objets, des couleurs, des dynamiques… On ne le vend pour l’instant qu’à un unique client de l’Administration. Pour le moment, on est surtout présents dans les secteurs que sont : la Sécurité, le Retail et l’Industrie/Logistique, mais on sait que ce produit a des capacités quasiment infinies. Nous sommes assez optimistes, car on ressent que les cycles de vente se raccourcissent au fur et à mesure, notamment grâce à la démocratisation de l’IA. D’ailleurs, OpenAI et ChatGPT nous ont fait bonne presse. Ils ont permis aux gens de s’accaparer l’IA, de mieux la comprendre. Moins les gens en ont peur, plus l’outil peut être vendu, dans différents secteurs.

Pour résumer, nous sommes aujourd’hui 80 collaborateurs, avec, cette année, entre 5 et 6 millions de chiffre d’affaires. L’année prochaine, l’objectif est de dépasser les 10 millions, notamment en processant et en essayant d’automatiser la conquête du marché.

Au début, le marché est fermé, on est sollicités pour faire des conférences et on se fait surnommer l’”évangélisateur”. Lorsque le marché s’ouvre progressivement, on raccourcit les conférences au profit des formations, mais tu restes dans une posture de “former” les entreprises en interne pour appréhender les technologies. Et enfin, aujourd’hui  je rencontre des directeurs d’opérations, de grandes entreprises de sécurité et des services publics qui ont des projets à plusieurs millions dédiés à la vision par ordinateur. C’est très structurant et synonyme d’un marché qui s’ouvre. Ne serait-ce qu’il y a un an, les montants des contrats n’étaient pas les mêmes. Les gros du transport, de la restauration, etc. s’y intéressent. On commence, entre autres, à pas mal travailler avec des fast-foods

Il ne faut pas s’arrêter là et s’endormir et continuer. La prochaine étape, c’est de conquérir l’international.

Quels enseignements tirez-vous de ce parcours ? 

Vraiment plein.

Premièrement, il y a plusieurs étapes dans une entreprise, les analyser permet de mieux s’y retrouver. Il y a d’abord l’étape de la découverte, celle de la confrontation au monde réel et enfin l’hyper-commercialisation. En plus de ça,  tout le monde ne correspond pas à toutes les étapes et n’a pas les capacités de participer à chacune d’entre elles.

Si c’était à refaire, je préviendrais tout de suite les équipes que je recrute, à l’étape de découverte, qu’elles ne seront pas forcément les personnes adéquates pour les étapes suivantes.  Il faut autant de stratégies RH que de stratégies pour développer un produit. Pour moi, c’est une des clefs : on se sent lié à nos équipes, on pense que tout le monde va évoluer dans la même direction. Ce n’est pas toujours le cas. Il faut savoir prévenir sans lâcher tout le monde, tout en restant factuel et humain. Il y a un vrai sujet de management, de gestion de l’humain dans l’entrepreneuriat et la réussite de l’entreprise.

Deuxièmement, la gestion de la trésorerie. Je pense qu’il ne faut pas commencer un projet trop tôt. Plus on commence tôt, plus on brûle de l’argent. Pour moi, il faut essayer de commencer avec rien, sans rien demander à personne, et une fois que ça commence à prendre, qu’on a déjà un ou deux clients, et idéalement que l’on n’a pas trop eu à recruter, ou à dépenser, même s’il faut forcément un minimum. Car au moment où l’on demande de l’argent, on est dilués, on peut perdre le contrôle de son entreprise en pourcentage, et c’est ça qu’il faut diminuer et retarder au maximum. J’ai sans doute été là un peu trop en avance sur le marché, ce qui n’a aucune valeur, et ça m’a coûté en pourcentages, même si je garde une belle part. Je pense, rétrospectivement (même si on dit toujours ça a posteriori), que l’on aurait pu en arriver là en dépensant moins d’argent. Après, on avance évidemment au fur et à mesure que notre conscience nous guide, donc ce n’est pas évident. En bref, de l’argent il y en a, même en période de crise, lorsque tu as un bon produit qui marche  et que tu apportes de la valeur. Cependant, il faut essayer d’aller le chercher le plus tard possible, en se démerdant avec des clopinettes au début, et ensuite des gros sous quand le marché peut prendre.
Le troisième, le plus gros enseignement, c’est : commence quand les autres s’arrêtent, c’est-à-dire, quand tout le monde veut parler à Elon Musk, envoie-lui un mail tous les jours, quand tout le monde veut aller aux USA, fais tout pour y aller un maximum. En fait, fais, fais, fais, il faut FAIRE. Je sais que c’est dur, surtout dans nos dynamiques de vie avec nos familles, nos enfants, nos amis, tout un tas de bonnes raisons de ne pas faire. Qui ne tente rien n’a rien, c’est assez bateau, mais si tu l’appliques chaque seconde de ta vie, il va s’ouvrir devant toi des choses inimaginables. Je suis toujours bluffé par le niveau des gens, quand j’envoie des bouteilles à la mer. Le toupet est intrinsèque à l’entrepreneuriat. Tu dois  avoir des barrières basses et l’envie de conquérir le monde avec la possibilité de dégainer des messages LinkedIn chaque semaine à n’importe qui. Tu deviens ainsi opportuniste et tu peux te créer un véritable réseau. C’est un temps que tu ne perds jamais. Le client que je vois aujourd’hui, ça fait trois ans que je lui tourne autour, qu’à chaque fois que je le croise, je lui renvoie un message, aujourd’hui je déjeune avec lui. Il ne faut jamais abandonner.

Enfin, le goût du risque et de la prise de risque. Tout le monde va avoir peur, peur de monter dans ta voiture, tout le monde va te demander de freiner, dire que t’es un chauffard fou qui va mourir. Finalement, seuls les pilotes arrivent vite à la fin de l’étape. Quand tu crées une entreprise, une startup, ça vaut dans tous les cas, ça secoue au début. La capacité à résister au stress dans la prise de risque extrême, garder la tête froide, être orienté solution et ne pas être dans la déception quand ça échoue, c’est fondamental. Si tu te relèves toujours comme un phénix, tu deviens invisible. 

Un dernier conseil pour ceux qui voudraient se lancer ?

Regarder loin, ne jamais abandonner et être capable de prendre des risques.