Uber, AirBnB, Tesla… Il y a 10 ans ces noms n’existaient pas, aujourd’hui ils font partie de notre quotidien. Ce sont des entreprises du numérique. Elles sont les symboles d’une transition fondamentale de l’économie, à laquelle certains essaient vainement de s’opposer. Comment se caractérise cette transformation ? Comment distingue-t-on une entreprise du numérique ? Au sein de ces entreprises, comment les fonctions classiques se réinventent-elles ?
Après une première saison consacrée à la disruption des différents secteurs d’activité et une deuxième à la disruption des politiques publiques, l’équipe de TheFamily, investisseur dans les start-ups, revient sur le devant de la scène avec une nouvelle saison. Elle est consacrée aux impacts de la révolution numérique sur les grandes fonctions de l’entreprise. ISlean consulting, impliqué dans le monde des start-ups et toujours en recherche de nouvelles pratiques managériales participe à ces conférences. Le 5 juillet dernier, Clarisse Berrebi avocate associée du cabinet 11.100.34, intervenait sur le thème du cadre juridique, accompagnée par Nicolas Collin.

La transition numérique et les entrepreneurs

Nicolas Collin introduit le sujet en rappelant que la révolution numérique est constituée de trois éléments : déploiement massif d’internet dans les années 1990, investissements dans les start-ups d’internet qui l’accompagne et l’explosion de la bulle en 2000. La transition numérique a suivi, processus long qui touche ou touchera l’ensemble des secteurs d’activité et qui bouleverse l’ordre établi. Les infrastructures essentielles, les organisations, les relations entre entreprises et individus évoluent toutes. C’est le cas également du cadre juridique, corpus issu de l’ère industrielle avec lequel les nouveaux modèles économiques entrent souvent en conflit.

(NDLR : les acteurs historiques apprécient le cadre juridique actuel car ils ont contribué à le créer et il constitue une forte barrière à l’entrée des nouveaux acteurs. Quand ce cadre n’est pas assez protecteur, leurs lobbies se font entendre pour le renforcer et empêcher les nouveaux acteurs de venir les concurrencer : c’est exactement ce qu’il se passe avec les taxis qui font pression sur le gouvernement pour renforcer le cadre juridique en place au détriment des VTC).

Les entrepreneurs dans l’économie numérique identifient un problème sans solution, s’y attaquent avec les technologies disponibles sur le marché, rencontrent leur marché (NDLR : le fameux product-market fit) puis lèvent des fonds et finissent par découvrir leur modèle d’affaire (NDLR : de start-ups ils deviennent donc des entreprises du numérique).

Dans leur processus les entrepreneurs ont deux forces : leur incompétence et leur naïveté. Leur incompétence fait qu’ils ne mettent aucune barrière : leur absence de connaissance du secteur a pour avantage une absence de préjugés. Leur naïveté leur donne envie de changer le monde, s’il le faut en bâtissant un empire.

Et le droit dans tout cela ?

Les entrepreneurs affrontent souvent des corpus juridiques historiques complexes, dont la capacité et la rapidité d’évolution varie en fonction des pays. Clarisse Berrebi regrette que le manque de flexibilité du droit français soit peu mis en avant lorsque sont évoquées les difficultés que rencontrent les start-ups en France. Le cadre juridique américain est par comparaison un modèle de souplesse et ce pour 4 raisons :

  • La nature du système juridique : le droit coutumier (NDLR : en anglais « common law ») permet aux juges d’écarter les lois quand le contexte le justifie
  • Une posture de contrôle à posteriori : peu de contrôle à priori mais on peut vous demander de rendre des comptes !
  • Le fédéralisme : la liberté donnée à chaque Etat de tester des législations innovantes (les voitures sans chauffeur en Californie, la consommation de cannabis dans le Colorado) qui seront ensuite diffusées ou non dans tous les Etats-Unis
  • Le financement des campagnes électorales : la Silicon Valley, qui cherche à faire évoluer les réglementations, finance les partis politiques.

Tout n’est pas perdu pour la France pour autant, des poches de souplesse du droit existent : le fair use (la possibilité de partager des contenus sur Facebook avec ses amis sans tenir compte du copyright) ou encore le droit du travail, qui est ajusté par la négociation collective dans chaque branche d’activité.

Quelles solutions pour les start-ups en France ?

Intervient ensuite Clarisse Berrebi, associée du cabinet d’avocats 11.100.34, spécialisé dans le conseil aux start-ups et soucieuse « d’aider les entrepreneurs à surmonter les barrières que leur opposent les règles de droit applicables ».

Selon l’avocate, les entrepreneurs ont deux types de réaction face au droit :

  • Ils le jugent inintéressant et obsolète par nature (NDLR : probablement car il est structurellement privateur de liberté)
  • Ils stoppent les innovations dès qu’une norme juridique leur bloque le chemin

Une majorité des entrepreneurs opèrent en dehors des limites du droit car ils sont là où leurs utilisateurs les attendent et où ils sont en capacité de lever des fonds. Face à ces situations, le cabinet 11.100.34 s’est fixé 3 règles :

  • Ne jamais dire non à un client mais trouver des solutions pour qu’ils puissent opérer dans le cadre des contraintes légales, si besoin en faisant évoluer très légèrement le modèle économique (NDLR : dommage, aucun exemple de ce type n’a été donné par Clarisse Berrebi)
  • Travailler la norme supérieure : utiliser les règles européennes ou la constitution (en utilisant les Questions Prioritaires de Constitutionnalité) pour challenger le bien fondé de lois qui brident les activités de leurs clients
  • Chercher à co-créer la réglementation car le droit gagne en souplesse (par exemple la loi El Khomri qui inverse la hiérarchie des normes)

(NDLR : si des signes positifs de souplesse se font jour, comme la loi Travail, le système juridique français est encore fortement contraint par ses rigidités intrinsèques et le poids politique des acteurs économiques établis. Gardons espoir, lentement mais sûrement, la France évolue)