Le numérique envahit tous les aspects de notre vie, même les plus intimes et personnels, comme notre santé. Ainsi, on a voulu creuser un peu le sujet auprès des personnes qui participent à cette révolution technologique du secteur médical. On lance donc une série d’entretiens d’entrepreneurs et d’innovateurs du secteur de la santé.

  • Comment les nouvelles technologies, les innovations, le numérique changent la donne dans le secteur médical ?
  • Gadget ou réelle évolution… révolution ?
  • Et les médecins, les patients, ils en pensent quoi ?

On initie le feuilleton avec la startup Lifeaz (à prononcer « laïfizzz ») et l’entretien de son co-fondateur et COO, Timothée Soubise.

Timothée Soubise, co-fondateur de Lifeaz

Lifeaz, qu’est-ce que c’est ?

Bonjour Timothée, peux-tu nous parler du concept développé par Lifeaz ?

Le concept est double. Nous concevons et mettons à disposition à la fois un produit, le défibrillateur, et un service de mise en relation des personnes, visant à créer ce qu’on appelle une « communauté ».

Concernant le produit d’abord, Lifeaz a pour ambition de construire un défibrillateur connecté conçu pour le domicile des particuliers. Pourquoi connecté ? Car notre produit effectue régulièrement ce qu’on appelle des « autotests » c’est-à-dire des rapports hebdomadaires de diagnostic que nous suivons à distance afin de garantir à tout instant le bon état de fonctionnement du défibrillateur. En effet, il est primordial que le défibrillateur puisse fonctionner le jour où on en a réellement besoin ! Ensuite, nous proposons une offre supplémentaire consistant à créer une communauté de citoyens qui vont être capable d’intervenir le plus vite possible en cas d’urgence en attendant l’arrivée des secours.

Explique-nous pourquoi Lifeaz s’intéresse au domicile des particuliers.

Aujourd’hui le taux de survie des victimes d’arrêts cardiaques est très faible, de l’ordre de 5%… pourtant la technologie pour sauver ses vies existe depuis plus de 30 ans. Et les résultats sont sans appel : le taux de survie atteint 70% si on utilise un défibrillateur pour réanimer la victime. Avec mes associés, Johann et Martial, nous voulions faire avancer les choses et donner un coup de pied dans la fourmilière en plaçant le défibrillateur là où on en a le plus besoin : au domicile des particuliers, car c’est là que 80% des arrêts cardiaques ont lieu.

Dans de plus en plus de pays la législation évolue en faveur de l’utilisation généralisée du défibrillateur ; en 2007, la France passe une loi autorisant les citoyens à utiliser un défibrillateur en cas d’urgence alors que jusque-là seuls les professionnels de la santé étaient qualifiés. Maintenant, les défibrillateurs sont déployés dans les lieux publics, ce qui est une belle avancée… mais encore insuffisant.

En plaçant le défibrillateur à domicile, on protège toute la famille à l’endroit où elle passe le plus de temps. Et surtout, nous sensibilisons les familles et entourages des patients à l’utilisation de cet outil… et contrairement à ce qu’on peut imaginer, c’est un jeu d’enfant ! Il suffit de placer les électrodes, et le défibrillateur prend le relais, car il est automatisé. C’est lui qui réalise le diagnostic et prend la décision de choquer ou non la victime. Tu l’auras compris, la sensibilisation et formation aux premiers secours est un sujet qui nous tient à cœur tout autant que la technologie que nous développons ; nous avons même conçu un « serious game » pour enseigner ces gestes qui sauvent des vies. Toutes les personnes que nous aurons sensibilisées seront aptes à réagir partout, chez eux bien sûr, mais aussi dans les lieux publics. En touchant un maximum de personnes, on aura un impact significatif sur la survie des victimes d’arrêt cardiaque.

Aujourd’hui, quel bilan peux-tu déjà faire de Lifeaz ? Et quelles sont les prochaines étapes pour 2017 ?

Le projet est né en avril 2015, et nous avons officiellement créé Lifeaz  en octobre 2015, date de notre entrée à l’incubateur des Arts-et-Métiers. Depuis nous nous sommes bien agrandis : nous avons une super équipe de 7, tous très motivés par le projet et partageant les mêmes valeurs. Notre premier prototype a été validé et testé auprès du grand public au cours de nombreux évènements comme le salon des seniors qui se tenait en avril au parc des expositions, ou lors de notre soirée de crowdfunding en mai dernier (https://fr.ulule.com/lifeaz-defibrillateur/). Cette campagne nous permet maintenant de financer notre prototype préindustriel. Je peux déjà te dire que nous sommes en train de sélectionner notre assembleur et qu’il sera basé en France, et que nous sommes en relation avec plusieurs acteurs des mutuelles, assurances, grandes entreprises et ONG afin de distribuer notre produit. Pour la fin de l’année, nous préparons une levée de fonds qui nous permettra entre autres de certifier notre solution auprès des laboratoires agréés pour une mise sur le marché.

 Le défibrillateur connecté de Lifeaz

L’e-santé, on y vient ?

Comment vois-tu l’évolution du secteur de la santé avec l’arrivée des nouvelles technologies, du numérique ?

L’e-santé est un secteur en plein boom, encore un peu fermé par les aspects légaux (par exemple, la télémédecine est encore très réglementée) mais les entrepreneurs sont là et la technologie se développe. La e-santé ce n’est pas remplacer le médecin par les nouvelles technologies, mais c’est lui apporter de nouveaux outils pour suivre les patients de manière plus efficace, en confrontant davantage de données pour réaliser le diagnostic au mieux.

Pour le patient c’est aussi une opportunité extraordinaire. Par exemple, grâce au big data, on sera capable de diagnostiquer des maladies bien en amont de leur apparition et ainsi prendre en charge plus vite et plus efficacement le patient.

En 3 mots, l’e-santé c’est quoi pour toi ? 

Pour moi, il s’agit d’outils et technologies pour construire et entretenir un lien plus fort et régulier entre les patients et les professionnels de la santé. Et au-delà de la technologie, l’e-santé prend tout son sens dans la mise en relation des personnes pour un meilleur accompagnement des patients.

Tu côtoie des médecins et autres professionnels de la santé dans le cadre de ton activité ; ils en pensent quoi ?

Nous sommes accompagnés par trois cardiologues de l’hôpital Jacques Cartier à Massy. Ils soutiennent avec conviction notre projet et sont persuadés que c’est au domicile des patients que nous aurons un réel impact. Ils voient donc l’e-santé comme une réelle opportunité de suivre beaucoup plus efficacement leurs patients. Mais le monde médical est compliqué et contradictoire : les avis sont mitigés et variables sur le sujet.

Et les patients, comment vivent-ils l’intrusion du numérique dans un contexte médical souvent perçu comme intime, encore loin de ces considérations digitales ?

Le principal frein aujourd’hui concerne la sécurisation des données de santé selon moi. Beaucoup d’entreprises gravitent autour de ce sujet et des lois sont promulguées pour protéger les patients, et entre autres interdire l’exploitation commerciale de leurs données.  Une fois ce tabou levé et les données sécurisées, les choses iront surement plus vite en e-santé. En ce qui concerne notre produit, ce n’est pas un problème car aucune donnée médicale n’est diffusée, le défibrillateur ne contenant pas de données de santé sur son propriétaire ; c’est exactement comme ta box pour la télévision, elle « ne sait rien » de toi !

 L'équipe de Lifeaz lors de la soirée de crowdfunding, le 13 mai dernier

La vie d’entrepreneur 

Qu’est-ce qui est le plus difficile / fun dans ta vie d’entrepreneur ?

Commençons par le fun ! Ce qui est excitant c’est de lancer son propre projet, de voir naître l’embryon d’idée, de le voir grandir, évoluer et devenir mature. C’est un monde de passionnés,  et c’est génial de former une équipe pour partager ensemble la même aventure. Ce qui me plait chez Lifeaz c’est que nous avons à cœur de développer une forte culture d’entreprise ; par exemple, chaque semaine on se réunit pour partager les nouvelles de la semaine et voir comment on pourrait encore améliorer notre environnement de travail, la vie quotidienne chez Lifeaz.

Quant au plus difficile, certes le rythme de travail est plus soutenu et généralement le niveau de vie d’un entrepreneur est plus bas qu’un salarié d’une entreprise « normale », mais c’est pour un projet qui te passionne, où tu apprends beaucoup de choses en très peu de temps… alors quand on aime, on ne compte pas ! Pour moi le plus difficile finalement ce fut de franchir le cap, de sortir de ma zone de confort, et notamment de quitter mon ancienne entreprise dans laquelle j’aimais mon travail et où l’ambiance était excellente également.

Quelles sont les erreurs que tu as faites et que tu ne referas plus ?

Au début de l’aventure Lifeaz  j’ai dû travailler à mi-temps quelques mois, c’était le compromis que j’ai trouvé avec mon ancien employeur pour me libérer du temps pour mon projet. Ce fut une période difficile, car je cumulais deux emplois plutôt exigeants. C’était fatiguant et j’avais l’impression d’être à 30/30 et non à 50/50 : donc il aurait mieux fallu tout couper et se lancer à fond !

Quels conseils donnerais-tu à de jeunes entrepreneurs ?

Allez-y à fond ! Il faut oser se lancer, vivre ses rêves mais toujours garder à l’esprit qu’une startup ce n’est pas juste une bonne idée, c’est un réel projet ; cela implique beaucoup de travail, une équipe, quelques sacrifices. Confrontez-vous à votre entourage, soumettez vos idées, surtout testez ! Et ne restez pas seuls, faites-vous accompagner au maximum par les organismes, des mentors…

 

Merci à Timothée de m’avoir accordé du temps pour cette interview.
N’hésitez pas à consulter le site de Lifeaz (http://lifeaz.fr/) pour plus d’informations.