Voici un nouvel épisode de notre série d’entretiens sur le sujet de la santé connectée, initiée il y a quelques mois (les deux premiers articles sont disponibles ici et ici). Cette fois-ci j’ai pu échanger avec le Docteur Laurent Schmoll, entrepreneur et fondateur de la startup i-Nside qui apporte une solution innovante pour faciliter la pratique quotidienne des médecins !

 présentation i-Nside

i-Nside intègre les technologies numériques aux appareils médicaux pour connecter le praticien et l’aider dans son diagnostic

Bonjour Docteur Schmoll, pouvez-vous nous parler du produit que vous avez développé chez i-Nside ?

En 2011, dans ma pratique quotidienne de médecin ORL, j’utilisais régulièrement, en consultation, une colonne de vidéo-endoscopie pour photographier les tympans de mes patients. Cette colonne était extrêmement encombrante et je cherchais une alternative pour gagner, de la place, du temps et de l’efficacité au cours de mes consultations. En 2012, observant les images produites par la caméra d’un iPhone j’ai eu l’idée de créer un dispositif multi-lentilles (le Smart Scope) permettant de relier deux mondes qui ne se connaissaient pas, le téléphone et l’endoscope.

L’objectif initial était de rendre communiquant l’endoscope via une connexion au smartphone. Aujourd’hui les caméras des smartphones réalisent des images de qualité comparable voire supérieure à celle des appareils médicaux. La caméra de la colonne vidéo-endoscopique est toujours très volumineuse, filaire alors que le smartphone est mobile, ergonomique et permet une communication simple et efficace via le wifi. On peut, ainsi, envoyer un grand nombre d’informations (photos et vidéos), de manière quasi instantanée, à l’autre bout de la planète. Bref, l’aspect communicant de cet outil change complètement la donne. Cette synthèse se trouve encore confortée grâce aux technologies de pointe, et aux applications intégrées aux smartphones.

Notre produit est commercialisé depuis un an et demi par le fabricant allemand, Karl Storz, qui conçoit du matériel chirurgical de pointe et des endoscopes pour le secteur médical, vétérinaire et l’industrie. Notre innovation se positionne donc comme une innovation de rupture. Notre solution procure des images endoscopiques en temps réel, la qualité est comparable voire meilleure, et le médecin bénéficie de plus d’un aspect communiquant. Enfin les applications des smartphones ouvrent d’incroyables perspectives tout cela pour un coût divisé par un facteur 15, tous ces aspects permettent de qualifier qu’il s’agit bien d’une « disruption » !

photo de la solution i-Nside, l'endoscope et le smartphone

Solution i-Nside

 

Quelles sont les perspectives d’avenir pour i-Nside ?

Nous sommes en train d’expérimenter la deuxième partie de notre solution qui a pour ambition de développer un service de télémédecine assistant le diagnostic du médecin. Il ne s’agit pas de remplacer le médecin mais de l’aider ou de le conforter dans son diagnostic. En effet, nous nous sommes associés avec un partenaire américain spécialiste de l’intelligence artificielle qui a conçu des algorithmes qui ont appris à reconnaître des milliers d’images que j’ai photographiées, grâce au système décrit plus haut. Une application smartphone adresse une photo de tympan, grâce à une connexion, aux algorithmes lesquels restituent en quelques secondes à peine un diagnostic, qualifié d’un taux de certitude diagnostic. Avec l’accord de l’ARS du Grand Est, nous testons cette solution au sein du Groupe Hospitalier Saint-Vincent (présentation du test dans cette vidéo ou celle-ci). La preuve de concept est concluante et nous préparons désormais la certification de la solution. Par extension nous préparons actuellement une plateforme de diagnostic assisté afin d’aider le praticien dans son diagnostic.

Très récemment, nous avons amélioré, avec notre partenaire, la vélocité du système d’assistance diagnostic, la base d’images de références et les algorithmes ont été intégrés au code de l’application afin de permettre un diagnostic dans les zones dépourvues de connexion. A termes, nous pensons que ce service de télémédecine permettra aux ONG de procurer à chacun un accès au soin dans les zones de désert médical ou de pénurie de spécialistes à travers le monde. Sur le même principe, nous nous orientons dans la voie de la chirurgie intelligente (ici « l’endoscopie intelligente ») afin de faire du médecin, un « médecin augmenté » par l’intelligence artificielle, ce que j’appelle un « augmented doctor ».

Notre logique de développement s’est donc progressivement imposée comme naturelle : d’abord le hardware simple d’utilisation, puis le software intégrant du « deep learning » et désormais un élargissement de l’intelligence artificielle à la chirurgie endoscopique. Pour mener ces étapes, il nous a fallu des partenaires importants tels que Karl Storz et d’autres, devenus partenaires, depuis qu’un prix nous a été décerné à l’occasion de Viva Technology. Enfin, nous prévoyons de faire une levée de fonds : l’intelligence embarquée c’est l’avenir mais son développement est onéreux !

utilisation i-Nside pour la chirurgie

Opération des cordes vocales avec l’utilisation de la solution i-Nside

 

L’intelligence artificielle sera très probablement la grande transformation du secteur de la santé

Comment pensez-vous que votre profession et le secteur de la santé vont évoluer avec les nouvelles technologies ?

C’est une certitude, la santé accentue son développement dans le numérique ! Je ne vois pas d’argument pour s’y opposer ; la qualité de nos mesures et de nos diagnostics est bien supérieure grâce aux nouvelles technologies. Tout va changer pour le bien de tout monde. Mais l’adoption va être lente : le seul frein est la difficulté d’obtenir des moyens financiers rapidement quand une start-up se lance dans la santé connectée car le ROI (Retour sur Investissement) est lointain, le processus de certification médicale est long et couteux (2 à 5 ans) et d’autant plus complexe avec des technologies de pointes tel l’AI.

Quoi qu’il en soit, en tant que médecin je suis convaincu que nous allons assister à des changements forts et impactant en médecine. Pour les patients, c’est une chance extraordinaire de vivre dans le siècle actuel ; en effet, le potentiel fabuleux de l’intelligence artificielle associé à l’intelligence humaine du médecin, vont apporter un véritable bénéfice dans le traitement et suivi de la santé de tous.

Justement, quel est le niveau d’adhésion de vos pairs et des patients quant à l’intrusion du numérique dans un secteur médical encore un peu loin de ces considérations digitales ?

Du côté des patients les réactions sont positives et l’adoption du système mis au point par i-Nside est excellente ! Par exemple, les patients sont satisfaits de voir la photo de leur tympan et adhèrent d’autant mieux au traitement proposé.

Quant à la population de médecins, la progression est lente mais positive. Il y a quelques semaines, lors du congrès annuel de la Société Française des ORL à Paris, j’ai présenté la solution i-Nside lors de plusieurs ateliers et tables rondes. Alors que ces professionnels sont parfois critiques vis-à-vis des évolutions de leur métier, ils semblent avoir parfaitement adhéré ! Pourquoi ? Car il n’y a rien de concurrentiel, de négatif pour leur pratique dans ce que nous proposons mais au contraire notre solution est simple et élégante, et permet de gagner en efficacité dans la capture des images endoscopiques, et finalement d’améliorer la relation avec le patient. Ce qui freine, parfois, l’adoption du système, c’est une problématique purement logistique car il faut acheter un nouveau matériel alors que les médecins ont déjà une colonne endoscopique, certes, obsolète mais présente. En revanche il est certain que lorsqu’il faudra renouveler cet outil ils opteront pour la mobilité et la connexion.

Quel est la place des institutions et de l’Etat dans le développement de ce nouveau secteur d’activité selon vous ?

L’Etat français a tendance à accepter parfaitement ces nouvelles technologies mais il est également très lent à adapter l’arsenal législatif nécessaire ! Ce n’est pas un frein en soi, mais nous prenons juste du retard. L’état est bien conscient de la nécessité de garder « les cerveaux » en terme d’ingénierie, de big data, de deep learning… mais parallèlement il ne favorise pas le financement des start-ups et certaines procédures de certification ralentissent la mise sur le marché de leurs solutions médicales.

Les actes de télémédecines ne sont pas encore pris en charge par la sécurité sociale sauf pour les personnes en ALD et en EHPAD. La télémédecine ne peut être que bénéfique pour l’Etat car le coût de transport d’une personne âgée devant subir des examens préventifs sur les pathologies auditives est très élevé ; la télémédecine a toute sa place mais l’Etat a peur d’ouvrir trop rapidement les vannes. Beaucoup de diagnostics sont réalisables à distances, les médecins en sont tout à fait conscients et si on passait à 10-20% de consultations en télémédecine cela générera d’énormes économies !

 

Merci au Docteur Schmoll de m’avoir accordé du temps pour cette interview.
N’hésitez pas à consulter le site de i-Nside (http://www.i-nside.com/) pour plus d’informations et à visionner les vidéos suivantes : une opération des cordes vocales avec la solution i-Nside et la présentation de i-Nside au HackingHealthCamp2016 de Strasbourg en mars 2016.