Uber, AirBnB, Tesla…il y a 10 ans ces noms n’existaient pas, aujourd’hui ils font partie de notre quotidien. Ce sont des entreprises du numérique. Elles sont les symboles d’une transition fondamentale de l’économie, à laquelle certains essaient vainement de s’opposer. Comment se caractérise cette transformation ? Comment distingue-t-on une entreprise du numérique ? Au sein de ces entreprises, comment les fonctions classiques se réinventent-elles ?
Après une première saison consacrée à la disruption des différents secteurs d’activité et une deuxième à la disruption des politiques publiques, l’équipe de TheFamily, investisseur dans les startups, revient sur le devant de la scène avec une nouvelle saison. Elle est consacrée aux impacts de la révolution numérique sur les grandes fonctions de l’entreprise. ISlean consulting, impliqué dans le monde des startups et toujours en recherche de nouvelles pratiques managériales participe à ces conférences. Lors de la conférence du 23 mars, Nicolas Colin, cofondateur de The Family, compare la finance d’entreprise dans diverses composantes entre les entreprises dites traditionnelles et les entreprises du numérique.
Rappelons rapidement les critères définis par The Family pour qualifier une entreprise du numérique :
- Elle propose une expérience utilisateur exceptionnelle
- Elle a mis en place un suivi régulier et systématique de l’activité des utilisateurs dans l’usage qu’ils ont des applications qu’elle met à leur disposition
- Elle a un modèle d’affaires avec des rendements croissants
Quelles différences dans le cycle de financement ?
Les étapes, de la naissance à la maturité, ne sont pas les mêmes entre une entreprise traditionnelle et une entreprise du numérique, tant au plan métier que dans le financement.
Les étapes « métier » d’une entreprise traditionnelle :
- Développement du produit
- Validité du produit
- Lancement du produit sur le marché
- Rencontre de la demande
- Dépenses de marketing pour conquérir le marché et arriver à une position dominante
Les étapes de financement classiques qui les accompagnent sont les suivantes :
- Investisseurs en amorçage
- Private equity
- Introduction en bourse
- Autofinancement
Le vrai risque technologique n’existe qu’au démarrage pour une entreprise traditionnelle, rapidement remplacé par le risque marketing et de distribution. Une fois en position dominante, il est nécessaire de recommencer à innover mais dans un confort relatif lié à la présence de barrières à l’entrée (législatives, d’infrastructure…).
Les étapes d’une entreprise du numérique :
- Création d’un MVP (minimum viable product)
- Recherche du product market fit (itératif)
- Croissance exponentielle
- Domination du marché
Les business angels financent les deux premières étapes puis les capitaux risqueurs prennent le relais jusqu’à l’arrivée des rendements croissants (domination du marché).
Si les startups ne subissent généralement pas de risque technologique (elles ne font qu’utiliser intelligemment des technologies existantes), elles n’érigent pas de barrières à l’entrée et doivent continuer à innover pour maintenir leur positionnement de leader, ce qui explique des levées de fonds toujours plus impressionnantes.
Les 3 tueurs d’innovations dans les entreprises traditionnelles
L’innovation, parlons-en. Pour quelles raisons les entreprises traditionnelles ont-elles autant de mal à innover ?
Nicolas Colin cite Clayton Christensen qui, dans un article de 2008, expose trois pratiques qui vont à l’encontre de l’innovation :
- L’obsession du cours de bourse : vision court-termiste qui vise à prévenir les OPA et à rassurer des investisseurs en recherche de dividendes
- La (mauvaise) utilisation de l’actualisation des cash-flows pour faire des arbitrages financiers : l’exercice est biaisé de par ses nombreuses approximations et surtout parce qu’il considère le scénario « zéro » (sans investissement) comme une situation stable sans décroissance à terme (donc sans tenir compte du risque de ne pas investir)
- La valorisation des actifs hérités (legacy) : tandis qu’un nouvel entrant n’aura d’autre choix que d’investir, l’entreprise déjà installée aura des difficultés à « jeter à la poubelle » un actif qui a demandé des investissements par le passé (mais qui est pourtant obsolète !)
Acquisitions ou investissements ?
Nicolas Colin cite Jack Welch, ancien dirigeant de General Electric : « nous n’innovons pas mais nous rachetons ».
Cette pratique n’est selon l’orateur désormais plus possible car les entreprises du numérique, qui innovent, sont à rendements croissants. De ce fait, pour un entreprise investisseur, les start-ups peuvent être dans deux états :
- L’état pré-point d’inflexion : il est alors difficile de repérer la bonne start-up parmi des milliers et d’évaluer son potentiel
- L’état post-point d’inflexion : la start-up n’est alors pas toujours intéressée par un rachat (ndlr : snapchat a refusé une offre de rachat de facebook de 3 milliards de dollars) et il est souvent difficile pour l’entreprise et la start-up de se mettre d’accord sur le prix car les méthodes de valorisation de ne sont pas compatibles (par exemple des multiples d’ebitda contre un nombre d’utilisateurs) De plus, les modèles d’affaires à rendements croissants relèvent d’une logique différente de celles auxquelles sont habitués les banquiers d’affaires.
Ce qui fait que jusqu’à aujourd’hui, seules des entreprises du numérique sont parvenues à racheter des entreprises du numérique. Nicolas Colin a alors présenté le modèle d’affaires de Uber, tel qu’il le lui avait été dessiné :
ndlr : j’ai un avis mitigé sur l’étape « less driver downtime » : ni l’extension géographique, ni la concentration de chauffeurs à périmètre géographique constant n’entraînent automatiquement un taux de charge des véhicules plus élevé. Quant aux prix toujours plus bas, ils sont imposés par Uber (et financés par les levées de fonds, voir plus bas) pour mettre la concurrence à genoux.
Les rendements croissants expliquent également pourquoi les entreprises du numérique communiquent sur leurs levées de fonds : elles sont le symbole d’une croissance continue, reflet de la qualité de service que l’entreprise offre à ses clients.
ndlr : à quoi servent les levées de fond record de Uber ? Dans de nombreux pays, Uber fait face à une concurrence féroce, notamment chinoise (Didi Chuxing), contre laquelle l’entreprise de Travis Kalanick se bat en subventionnant les courses et en réalisant d’importantes dépenses de marketing et de lobbying. C’est un marché « winner takes all » où les parts de marché sont plus importantes que les profits : Uber gagne peu d’argent mais élimine la concurrence en offrant le meilleur rapport prestations / prix et en décourageant les investisseurs d’aller miser sur un concurrent plus petit.