L’Ecole de Paris du management tenait un séminaire des « Transformations Numériques » le 15 février 2016. Le sujet : « Des « start-up d’État » pour transformer en souplesse l’Administration
par Pierre PEZZIARDI, Henri VERDIER »

Data.gouv.fr, Marchés Publics simplifiés, le Taxi, Mes Aides.fr, La Bonne Boite… vous connaissez peut-être ces services, ou pas. Ils ont un point commun, ils sont nés à partir de 2013 à la DISIC, dans ce qui allait devenir un incubateur de start-up d’Etat, grâce à Pierre Pezziardi, Jacques Marzin et Henri Verdier.

Nous avions à l’époque été appelés par Jacques Marzin pour porter la première initiative : la refonte de data.gouv.fr. Nous avions, par le passé, eu des contacts avec Pierre Pezziardi, et, à la faveur d’un marché que nous avions à l’époque avec la DISIC, nous avons démarré cette première start-up en juin 2013.

La recette ? Comme le raconte bien Pierre, « Trouver un indigné, quelqu’un qui veut résoudre un problème ». On ne cherche pas une innovation, on cherche un innovateur.

Puis le reste va vite. Assister ce porteur du problème, au coeur d’un métier, d’un coach agile, de deux développeurs passionnés, leur donner 6 mois en itérations courtes pour trouver un marché. Et surtout, surtout, leur donner un peu de moyens financiers, pas trop, et de la liberté d’action, aussi abondante que possible, tant que le produit n’a pas rencontré son marché. Et on itère, on incrémente le produit, l’innovateur exprime, les développeurs fabriquent, l’innovateur voit, réagit, ajuste, enrichit. Au bout de 5 à 10 cycles, le produit commence à être de très haut niveau.

Les contraintes, légitimes et indispensables, de connexion à l’existant, de sécurité, de confidentialité, de documentation, d’organisation de production industrielle du produit stabilisé, seront traitées une fois que le marché aura été trouvé.

Un indigné, 2 développeur + 1 coach, peu de moyens, beaucoup de liberté, 6 mois.

Et ça marche. Les liens ci-dessus ne sont pas des vitrines, ou des pyramides dans le désert, jolis objets conceptuels mais sans utilisateurs.

Certes, la connexion avec l’existant est d’autant plus difficile que ce dernier est lourd et existe depuis longtemps, avec des pratiques efficaces installées de longue date. Des gens ont leur raison d’être dans l’existant. Qui a vocation à perdurer, à muter ou à disparaître, et ce n’est pas de leur faute. C’est le jeu de l’apparition et de l’adoption, inexorable, des nouvelles technologies. Il n’y a pas les gentils innovateurs, et les méchants immobilistes. Ce n’est pas aussi simple.

Et puis il ne s’agit pas, comme trop souvent avec le numérique, de « faire du vieux avec du neuf » ; la transformation numérique n’est pas la dématérialisation d’activités existantes. C’est repenser profondément la manière explicite et implicite de faire les choses. Sinon on retrouve dans les écrans le papier millimétré, les papiers calques, les crayons, les gommes…

Les technologies de l’internet, depuis 2005, sont devenues extrêmement puissantes et accessibles : 100 fois mieux, 100 fois moins cher. A tel point qu’en Californie ou à Las Vegas, à titre de boutade, on vous dit « venez avec un problème, il suffit de 30 minutes pour apporter une solution technologique ».

Mais on ne peut pas faire éclore une nouveauté dans un champ de contraintes trop fortes. Le fardier de Cugnot, ancêtre de l’automobile, roulait mal, pas vite, n’était pas confortable. Les véhicules électriques, même à 130 000 €, ne sont pas à parité avec les véhicules à essence qui bénéficient de dizaines d’années d’améliorations de milliers d’années x homme d’ingénieurs et de designers.

Paradoxalement, la frugalité des moyens est favorable voire indispensable. Data.gouv V1 coûtait 1 M€ / an et avait coûté 2 à 5 fois plus cher à construire. Data.gouv. V2 a coûté 400 k€ en six mois.

Plusieurs règles implicites ont été enfreintes : il n’y a pas eu de cahiers des charges, pas de spécifications, mais des post-it sur un mur, avec les besoins ; pas de processus d’approbation a priori des données, mais a posteriori, avec modération par la multitude. L’architecture a été validée a posteriori.

Il faut aussi tolérer que le produit final soit différent de ce qu’on avait commencé à imaginer au début.

Et il faut donner du sens au projet (« Trouvez les entreprises qui vont recruter près de chez vous »), qu’amène le porteur, mais aussi les développeurs, qui pour beaucoup sont passionnés par leur ouvrage, et sont fiers du produit qu’ils ont créé. Ils sont fiers de pouvoir en parler à leur famille, leur entourage : « on ne fabrique pas de logiciels, on résout des problèmes ».

Il y a dans ces projets, une revalorisation de l’action, de l’oeuvre et de l’ouvrier. Les deux gouvernements US et UK ont créé chacun une équipe dans un incubateur et leur devise est : « the strategy is delivery ».

L’avenir est aux rêveurs et aux faiseurs.

Tous Zèbres ?