L’actualité récente nous apprend que Captain Train a été acquis pour quelques centaines de millions d’euros par des Anglais, et que Withings passera bientôt sous pavillon finlandais pour le même ordre de grandeur. Les entrepreneurs Français sont-ils condamnés à se vendre à des capitaux non-français ?

Mi-mars j’apprenais que la très belle société Captain Train était rachetée par Trainline (cf. par exemple cet article). Je suivais cette société depuis 2012, et j’étais devenu un client assidu car acheter et gérer un billet de train avec ce service, que ce soit sur mobile ou sur laptop, était un plaisir pour moi qui aime les ergonomies à la fois essentielles, épurées mais complètes.

Hier, j’apprends que Withings, autre fleuron de l’économie de l’Internet d’origine française, dont la balance connectée m’a aidé à perdre 13 kg, va devenir la branche santé connectée de Nokia.

Je rapproche ces événements de la vente à Fujitsu, en 2013, de la société, RunMyProcess, créée par un ami. Il y a sûrement des dizaines d’exemples comparables ces dix dernières années.

Les enjeux sont les suivants : quand les actionnaires changent de nationalité, les décisions de haut niveau sont prises par une autre culture et cela entraine des changements radicaux, avant même que les personnes clés ne finissent par quitter leur création qu’ils ne reconnaissent plus, avec un chèque plus ou moins substantiel, plus ou moins considérablement érodé par la CSG/CRDS et les impôts. D’une société libre de faire ses choix et sa roadmap produit, cette société doit maintenant plus ou moins s’inscrire dans une logique groupe, chercher des synergies, des clients internes, devenir fer de lance ou fournisseur d’autres lignes de services.

Parfois, des centres majeurs entiers changent de géographie : des centres de production, ou, pour les cas cités, des centres de recherche et développement de produit.

Cela peut être vu comme une formidable opportunité d’accélération de croissance et d’ouverture d’horizons pour les fondateurs et les acteurs de ces entreprises. Pour le territoire français, c’est la perte à plus ou moins long terme de valeur ajoutée produite sur place et qui ne profitera plus au pays.

Je ne connais pas de manière proche les équipes dirigeantes de Captain Train et de Withings. Je connais bien le fondateur de RunMyProcess.

Je me demande si les mécanismes qui ont conduit à ce que ces sociétés deviennent des société où les choses se décideront désormais depuis ailleurs qu’en France sont les mêmes.

Car le problème de ces start-up est qu’elles ont besoin de cash pour se développer et passer à l’échelle, alors qu’elles n’ont pas forcément encore démontré l’ampleur de leur business model.

Et ce cash, de 100 k€ à quelques M€, qu’elles ont déjà eu beaucoup de difficulté à trouver pour passer de l’indignation initiale qui a généré la création, au premier euro de chiffre d’affaires, une fois qu’elles ont commencé à convaincre des clients, il leur en faut bien plus pour devenir un acteur industriel, délivrant en masse pour pas cher des produits ou services de qualité stable : quelques dizaines à quelques centaines de M€.

Et le constat est qu’en France, il n’y a pas de structure pour répondre à ce besoin massif d’investissement, capable d’avoir à la fois la capacité financière et la culture du risque maitrisé pour accompagner ces start-up.

Les structures privées (CAC 40) ont de l’argent, mais ne s’en servent pas pour ça. Elles font de l’incrémental, et c’est normal (cf. Clay Christensen ou Ph. Silberzahn qui expliquent cela très bien). Pour ce qui concerne les structures publiques, je ne sais pas si investir dans des start-up doit faire partie de leurs missions. Ou de leur capacité.

Les investisseurs privés n’ont pas d’argent ou pas la culture du risque.

Les business angels, une fois les charges sociales payées, ainsi que les diverses taxes, les impôts et la CSG, n’ont plus de ressources financières suffisamment disponibles pour prendre des risques.

Un business angel est souvent un entrepreneur qui a réussi. Les entrepreneurs qui ont vendu leur société sont lourdement imposés sur leur plus value, à 60% avant le mouvement des pigeons (somme de la CSG/CRDS et de l’IRPP l’année de la vente), un peu moins aujourd’hui sous réserve de durée de détention.

A tel point qu’un entrepreneur peut se retrouver dans la situation suivante :

– scénario 1 : je suis salarié payé environ 100 k€ dans une grande entreprise, avec de grandes chances que cela dure si je ne prends pas de risque. J’ai bien fait mon boulot, mais pas forcément créé du neuf et embauché des gens

– scénario 2 : j’ai envie de créer, j’ai un projet, je me lance, ne me paie presque rien pendant 3 à 4 ans le temps que ça décolle, et SI ÇA MARCHE (soit un cas sur 10) alors je peux espérer valoriser ma création à quelques millions d’euros. J’ai embauché du monde, j’ai créé de la valeur puisque des clients achètent mes produits, j’ai fait tourner l’économie. Et on me prend entre 20 et 50% de la richesse que j’ai créée du fait des impôts. Et ensuite, je paie l’ISF car j’ai quand même réussi à constituer un patrimoine.

Bilan : quel scénario choisissez-vous ? Sachant que le scénario 2 a 9 chances sur 10 de se terminer à la case plus-d’argent-plus-de-job ? Et que même si vous réussissez, en faisant le bilan sur 5 à 10 ans, vous n’avez pas significativement gagné mieux votre vie que si vous étiez resté salarié ?

Cela peut paraître un problème de riche, mais non. Car le choix de la sécurité du scénario 1 vers lequel notre système nous pousse en souhaitant nous protéger, nous appauvrit en fait, à long terme et de manière indirecte. Car ceux qui tirent les marrons du feu sont ceux qui ont du capital accumulé, à l’étranger (USA, Chine, Qatar…), et pas nous.

Souhaitons-nous continuer à être, en France, les boute-en-train-entrepreneurs qui font tout le boulot difficile et risqué au profit d’étalons-investisseurs étrangers qui sont in fine les seuls qui tirent leur coup ?