Des décisions, nous en prenons tous les jours. Que ce soit pour notre loisir par le choix d’un séjour en vacances, ou jusque dans un cadre beaucoup plus conséquent, comme le choix d’un candidat aux présidentielles ou encore un nouvel investissement de votre entreprise. Mais qui dit décision dit prise et évaluation des risques. Et c’est que rigueur et rationnel sont rarement au rendez-vous… Éclairage sur quelques-uns des nombreux biais cognitifs qui déroutent nos raisonnements et nous amènent souvent à des conclusions bien débattables.
Les mines cachées dans les données
Souvent en survolant un article, nos yeux sont très vite attirés par les graphiques et autres dataviz, et nous ne prenons pas le temps – ou la peine – de lire le reste des détails. Cependant, les mêmes chiffres, mis en forme différemment, peuvent parfois servir à démontrer une chose et son contraire.
Le fond
Souvent, les données obtenues sont faiblement sourcées. Il ne s’agit pas là de simplement citer, à titre d’exemple, l’organisme de recensement qui a fourni les données, mais plutôt le cadre qui a permis l’émission de celles-ci : quelles étaient les hypothèses émises pour simplifier le jeu initial de données ? Quelles étaient les conditions de l’expérience ? L’échantillon étudié était-il représentatif ? L’étude était-elle une étude rétrospective ou prospective ?
Les réponses à ces questions peuvent radicalement changer votre conclusion à l’égard de ces données. Essayez par exemple de comparer le bilan carbone de 2 entreprises lorsque l’une a pris en compte les émissions dues à la construction et à l’entretien de ses locaux tandis que l’autre s’est arrêté à l’analyse cradle-to-grave des produits qu’elles fournit, ou alors de comparer différentes courbes de rémissions de cas de Covid sans que ne soit précisé l’âge moyen des patients dans chacun des cas.
“Il y a trois sortes de mensonges : les mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques.” Mark Twain
La forme
Bien qu’il puisse s’agir parfois d’un manque de rigueur de la part de l’auteur du graphique en question, certains biais peuvent parfois être volontairement induits pour vous amener à tirer certaines conclusions plus facilement que d’autres. Par exemple, si le but de l’article est de vous montrer une très forte augmentation de la variable X au cours du temps, rien de mieux que de représenter les valeurs prises par X dans un histogramme et de tronquer l’axe des ordonnées. L’augmentation en question apparaît alors bien plus marquante qu’elle ne l’est en réalité, si l’on rend aux barres de l’histogramme leurs proportions réelles.
Cette déformation de notre perception des données est très bien décrite dans un de nos articles précédents que je vous invite fortement à lire sur la manipulation des données dans différents types de graphismes, et dont est tiré le graphe ci-haut.
Les erreurs de raisonnement
Une fois que vous avez écarté au mieux les sources de biais liés à la mise en forme des données ou encore à un mauvais sourçage, il faut savoir lire ce que les données ont vraiment à dire, si tant est qu’elles soient concluantes. Il se peut en effet qu’elles ne soient tout simplement pas suffisamment polarisées pour déboucher sur une conclusion rigoureuse. Dans ce cas, pas de conclusion est une bonne conclusion, a priori plus véridique que si vous poussiez l’interprétation là où il n’y en a pas.
Et de fait, il n’est pas rare d’être face à des données qui sont corrélées, mais qui ne sont aucunement liées par une relation de cause à effet. Nous avons cependant tendance à sauter aux conclusions, notamment si cela nous permettrait de confirmer et consolider une opinion préalable que nous avions en tête (c’est ce qu’on appelle le biais de confirmation). Un graphe vous aidant à marquer un point lors d’un débat houleux, vous n’allez probablement pas cracher dans la soupe, même lorsque le graphe ressemble à ça …
Source : Spurious correlation
L’autre grave erreur qui serait commise à cette occasion, outre le biais de confirmation, serait la confusion entre corrélation et causalité. En effet, l’âge de Miss America paraît clairement corrélé au nombre de meurtres commis par ébouillantage… Corrélation ? Cet exemple peut vous paraître exagéré, mais nous ne sommes pas à l’abri de cette très fréquente erreur de raisonnement, et nombreux sont les exemples qui s’offrent à nous dans la presse (notamment durant l’épidémie) et où nous courons aux conclusions.
A cela s’ajoute souvent l’existence de ce qu’on appelle un facteur de confusion, à savoir un élément, que l’on n’explicite pas forcément, et qui est à l’origine des deux phénomènes étudiés sur une courbe. Rien ne vaut dans ce cas votre présence d’esprit pour bien voir que les 2 courbes sont le résultat d’un troisième facteur non-dit, et non pas que l’une des courbes peut s’expliquer par l’autre.
Par exemple, si l’on cherche à comparer les effets de tel ou tel nouveau médicament, et qu’on observe que pour le médicament A, le taux de mortalité est plus élevé que pour le médicament B, l’erreur serait de conclure immédiatement sur le côté néfaste du médicament A. Car en remettant l’étude (totalement fictive et inventée pour l’article) dans son contexte, le A étant plus efficace pour les stades avancés de la maladie, il était administré en majorité à des patients en phase avancée qui, de ce fait, avaient statistiquement moins de chance de survie que les patients soumis au médicament B. Le facteur de confusion étant ici l’avancée de la maladie chez le patient, il influe à la fois sur le choix du traitement ainsi que sur les résultats de mortalité.
“[…] savoir si on peut penser autrement qu’on ne pense et percevoir autrement qu’on ne voit est indispensable pour continuer à regarder ou à réfléchir”, Michel Foucault
Nos mécanismes. On y peut rien… ou presque !
Enfin, un troisième barrage se dresse entre nous et la rationalité : nos biais cognitifs inconscients. Notre cerveau possède bien des mécanismes dont nous nous rendons rarement compte. Pourtant, ces schémas sont souvent des faiblesses, notamment lorsqu’il s’agit de prendre des décisions ou d’évaluer certains risques.
Focalisons-nous, à titre indicatif, sur des situations où nous devons choisir d’investir ou non dans un projet. Répondez spontanément. Vous avez investi 1000 K il y a deux ans dans le développement d’un nouveau produit innovant, soit les ⅔ du budget total fixé pour ce produit. Cependant, avant votre dernier paiement, votre concurrent vous prend de cours et met sur le marché un produit répondant au même cahier des charges mais plus performant que le vôtre. Choisissez-vous de continuer quand-même à investir dans votre produit, du moins une partie ?
Si vous avez répondu oui, c’est normal. Mais pas rationnel. Ce biais, dit des coûts irrécupérables (« the psychology of sunk cost »), fait qu’on a tendance à se sentir contraints de rentabiliser coûte que coûte des coûts déjà investis (en argent comme en travail, en temps et en équipe) même lorsque cela implique d’investir encore plus dans quelque chose qui s’est déjà révélé être un mauvais investissement.
Conclusion
Nous sommes sujets en toutes situations à des fonctionnements de penser et à des biais cognitifs. En bon décideur, il s’agit d’en prendre conscience pour tenter de gagner en rationalité sur les futures décisions que vous prendrez, et les opinions que vous vous forgerez. A l’air de la data, ce ne sont pas les données qui manquent, mais bien leur analyse. Bonne réflexion !