La crise environnementale a inspiré plusieurs auteurs dont les récits dessinent un futur incertain pour l’humanité. Ravage (1943) du français René Barjavel (1911-1985) est un récit apocalyptique spectaculaire qui parle de la peur qu’inspire aux hommes leur propre puissance. Une ode à la décroissance ?

Ravage (Barjavel, 1943), la décroissance après l’apocalypse ?

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Une description haletante de la lutte d’un groupe de survivants pour leur survie

« Vous ne savez pas ce qui est arrivé ? Tous les moteurs d’avions se sont arrêtés hier à la même heure, juste au moment où le courant flanchait partout. Tous ceux qui s’étaient mis en descente pour atterrir sur la terrasse sont tombés comme une grêle. Vous n’avez rien entendu, là-dessous ? Moi, dans mon petit appartement près du garage, c’est bien un miracle si je n’ai pas été aplati. Quand le bus de la ligne 2 est tombé, j’ai sauté au plafond comme une crêpe… Allez donc jeter un coup d’œil dehors, vous verrez le beau travail !»

Dès sa publication en 1943, Ravage étonne par le réalisme et le caractère sensationnel de son intrigue : en quatre parties organisées en chapitres courts, Barjavel dresse le portrait d’un Paris tentaculaire envahi par la technologie. Les habitants sont soudain confrontés à une panne d’électricité générale. Paris s’écroule et meurt. C’est l’apocalypse, une crise environnementale majeure. L’homme et sa toute puissance ne peut rien y faire.

« Le vent se lève. Un grand remous rabat au sol un nuage de fumée ardente peuplée de langues rouges. Une terreur folle secoue la multitude. C’est l’enfer, ce sont les démons. Il faut fuir. »

Un groupe de survivants tentent de survivre dans cet univers brûlant ravagé par les flammes. La longue route qui attend ce petit groupe est parsemée d’embûches. Alors les réflexes humains les plus primitifs remontent à la surface. La barbarie est de retour et touche tout le monde. François, leur chef, parvient à les mener en Provence.

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La mise en place d’une société atechnologique

François a conduit son groupe de survivants à un petit village de Provence dont il est originaire. Il devient une sorte de sage, de gourou, craint et respecté. Son autorité s’étend dans tout le sud de la France. Il prône une décroissance totale, le retour à la terre et aux valeurs paysannes. Les machines sont rejetées, les livres responsables du malheur des hommes sont autodafés. Seule une élite pourra bénéficier de l’apprentissage de la lecture.

« Une des premières mesures qu’il leur fit adopter fut la destruction des livres. Il a organisé des équipes de recherches, qui fouillent les ruines tout au long de l’année. Les livres trouvés pendant les douze mois sont brûlés solennellement au soir du dernier jour du printemps, sur les places des villages. A la lueur des flammes, les chefs de village expliquent aux jeunes gens rassemblés qu’ils brûlent là l’esprit même du mal. »

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L’inexorable retour du progrès

Un jeune homme, Denis, a créé une machine à moteur et vient la présenter à François. Mais cela rappela au héros sa dépendance aux machines du passé. François est alors devenu fou et a décidé d’éliminer le mal dès la racine en exécutant l’inventeur.

« Insensé ! crie le vieillard. Le cataclysme qui faillit faire périr le monde est-il déja si lointain qu’un homme de ton âge ait pu en oublier la leçon ? Ne sais-tu pas, ne vous l’ai-je pas appris à tous, que les hommes se perdirent justement parce qu’ils avaient voulu épargner leur peine ? Ils avaient fabriqué mille et mille et mille sortes de machines. Chacune d’elles remplaçait un de leurs geste, un de leurs efforts. Elles travaillaient, marchaient, regardaient, écoutaient, pour eux. Ils ne savaient plus faire d’effort, plus voir, plus entendre. »

Un livre manifeste pour la décroissance ?

Je ne vais pas m’attarder dans cet article sur les nombreuses analyses historiques et politiques de cet ouvrage. Le lien entre le livre et le pétainisme (retour à la terre, culte du chef, misogynie) a souvent été établi.

Ce qui m’intéresse, c’est la morale à tirer de « Ravage ». Un conte moral est une histoire imaginaire qui transmet une morale : sa conclusion est présentée comme une vérité générale, un exemple à suivre, un modèle à garder en mémoire. Il s’adresse à la communauté et vise à instruire le lecteur, en lui indiquant le bien et le mal. Barjavel présente ici une dystopie, c’est-à-dire un récit de fiction décrivant une société imaginaire dans laquelle, à l’inverse d’une utopie, tout contribue à rendre l’homme malheureux. Comme toute dystopie, il s’agit avant tout d’une critique de la société, et principalement des nouvelles technologies et des progrès scientifiques.

C’est comme cela que j’avais interprété l’histoire de ce livre lorsque je l’ai lu la première fois, une ode à la décroissance.

Et puis je l’ai relu et je ne suis plus aussi sûr…

Lorsque le Patriarche s’attaque à Denis, inventeur talentueux, le jeune homme riposte et tue François, alors plus que centenaire. Comme si le progrès ne peut être arrêté. La digue construite pour le contenir ne peut résister. Comme si l’esprit humain est toujours à la conquête d’inventions qui amélioreront son sort. Et il est vain de s’y opposer. Que ce n’est pas dans la décroissance, le dénuement intellectuel et matériel que l’homme va retrouver des valeurs originelles, comme le respect de la Terre.

Je pense donc que Barjavel (ce n’est que mon interprétation !) cherche à démontrer que le progrès ne doit pas se faire au détriment de certaines valeurs. L’homme trouve dans cette écoapocalypse une invitation à s’humaniser davantage. Cela ne fait pas de l’auteur un personnage récalcitrant au progrès.

Chez ISLEAN, notre motivation est de « créer demain, maintenant », d’accompagner et de promouvoir le progrès, en créant de la valeur responsable. Lire à ce sujet l’article de Philippe Kalousdian « Entreprise libérée : des Businessmen, pas des Bisounours ».

Pour finir, un dernier point, sous forme de point d’interrogation.

Juste après la disparation du Patriarche, Barjavel écrit :

« Toute la nuit, Blanche avait veillé, attendu le retour de son père et de son époux. Quand elle entendit la rumeur, elle s’en fut ouvrir la grille. En passant près des rosiers, elle cueillit une rose et la mit dans ses cheveux. »

C’est la fin du livre. Quel sens donner à ce geste ?

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