Entre coopération et compétition, il est souvent difficile de se positionner lors d’une négociation. J’utilise ici le dilemme du prisonnier pour mettre en lumière des biais bloquants et des techniques pour pousser la négociation vers la coopération.
Le dilemme du prisonnier ou comment empêcher notre intérêt personnel de nous tirer une balle dans le pied
Le dilemme du prisonnier, késako ?
Enoncé en 1950 par le mathématicien Albert W. Tucker à Princeton, le dilemme du prisonnier présente deux complices (d’un crime) détenus dans deux cellules séparées sans communication possible. Leurs options sont :
- S’entre-dénoncer et écoper de 5 ans de prison chacun
- Se taire et faire la peine minimale de 6 mois faute d’éléments de dossier
- Dénoncer l’autre qui se tait et ainsi le laisser passer seul 10 ans en prison
Cela donne la matrice suivante :
Une issue courue d’avance ?
Si on regarde les choses d’un point de vue personnel, on se rend vite compte que notre intérêt est d’avouer quel que soit le choix de notre complice. En effet, si notre complice avoue également on n’aura que 5 ans de prison à effectuer au lieu de 10. Et si notre complice n’avoue pas, nous ressortirions libre contre 6 mois si nous décidions de nous taire.
Le hic ? L’intérêt de notre complice est le même que le notre ce qui implique qu’il a également intérêt à parler. Sans communication possible avec notre complice, la tentation d’éviter la prison et la peur que notre complice nous trahisse et donc d’écoper de la peine maximale nous pousseront logiquement vers l’aveu. Il est donc grandement probable que l’on se retrouve dans la première case de notre matrice : 5 ans de prison chacun. Cette issue est pourtant loin de l’optimum que l’on pourrait atteindre en se taisant tous les deux.
Maintenant, regardons les choses du point de vue de l’organisation criminelle a laquelle nous appartenons avec notre complice. Son intérêt est de minimiser les pertes, donc que l’on se taise tous les deux. (D’où l’omerta, règle qui finalement permet d’éviter représailles et condamnations.)
L’appartenance à une organisation commune partageant les mêmes intérêts et garantissant l’application des règles établies est ainsi une première piste permettant la coopération lors d’une négociation.
Et si on itérait ?
En répétant cette situation un nombre indéfini de fois, la donne change. En effet, il ne s’agit plus ici de s’en sortir une fois aussi bien que possible mais de construire une relation gagnant-gagnant sur le long terme. Le raisonnement change complètement puisque la menace de revanche de la part du complice dépasse la tentation de maximiser ses gains. L’itération de cette expérience pousse notre décisionnel vers la coopération pour maximiser nos gains long terme (et ne pas rester coincé dans une guéguerre de je te dénonce-tu me dénonces qui dessine un horizon perdant-perdant). Notre intérêt se déplace donc vers la nécessité d’installer une relation stable avec son complice et donc de se taire.
La coopération prend également un autre sens puisqu’en répétant le dilemme on peut établir une stratégie basée sur l’analyse des décisions de l’autre : avoue-t-il en permanence ? a-t-il plus tendance à se taire et à se venger si trahi ? Cela nous permet alors d’établir une stratégie qui nous permettra à termes d’arriver logiquement à l’optimum de groupe.
Optimiser sa stratégie dans ce cas passe par :
- Respecter le donnant-donnant ou le principe simple de si on ne donne rien, on n’a rien
- Rendre les coups données
- Mesurer sa vengeance : un coup pour un coup et pas dix coups pour un
- Avoir une stratégie aisément compréhensible par le complice pour instaurer une communication
Cette stratégie est qualifiée d’œil pour œil avec pardon puisqu’elle cherche à équilibrer les trahisons puis à passer à autre chose afin d’optimiser les gains globaux et de tendre vers la solution 6 mois chacun.
In fine, plutôt coopération ou compétition ?
Lorsque nous cherchons à obtenir quelque chose, nous souhaitons tous que la partie adverse coopère. Cependant, comme dans le dilemme du prisonnier, nous sommes confrontés au choix de coopérer et ainsi potentiellement se faire avoir par la partie adverse ou de compétiter ce qui risque de léser la relation future.
Finalement, il semble que la meilleure solution soit d’initier de la coopération et d’attendre la réaction de la partie adverse. Si celle ci coopère aussi, vous pourrez alors poursuivre tranquillement les échanges jusqu’à atteindre la situation optimale pour les deux parties. Si celle ci se montre au contraire agressive et cherche à dominer les échanges, vous devez vous placer dans la même posture pour lui faire comprendre qu’il ne parviendra pas à ses fins de cette manière et le pousser ainsi à changer d’attitude. Dans cette situation, soit vous parviendrez à provoquer un revirement ouvrant une négociation constructive, soit vous resterez bloqués dans une situation impossible où tous campent sur leurs positions. Si c’est le cas, ne perdez pas de temps : mettez la partie adverse face à ses contradictions en lui disant « Je n’ai pas l’impression que vous œuvriez pour nos intérêts communs mais plutôt dans vos intérêts » et attendez sa réponse. Cela mettra soit fin à la négociation soit relancera le débat de manière constructive.
Pour s’assurer de la coopération de la partie adverse, on peut également faire varier les gains/pertes découlant des différentes options. En effet, considérons qu’on n’a pas intérêt à trahir même dans le cas où la partie adverse nous trahirait. Notre raisonnement change alors complètement et notre intérêt à trahir s’amoindrit.
Prendre en compte l’autre et définir des intérêts communs sont la clé pour atteindre ses objectifs.
Très jolie analyse des relations entre organisations et individus y participant. Raisonnement assez peu suivi dans les cénacles occidentaux soi-disant performants, et très pratiqué en revanche dans le monde oriental.