Les femmes, éternelles littéraires ? Et les hommes des scientifiques dans l’âme ayant la bosse des maths ? À première vue les chiffres corroborent ce genre d’idées reçues lorsque l’on regarde la répartition des étudiants par filière. Nous vous proposons de décrypter cette tendance sociétale et de creuser ces préjugés pour mieux leur « tordre le cou ».
Et si on arrêtait de croire que le numérique est un métier de bonhomme ?
Dans un de nos récents articles, nous posions le constat que les femmes étaient sous-représentées dans les métiers du numérique. En 2017, le secteur numérique employait seulement 33% de femmes. Comment décrypter cette tendance ?
D’autant qu’il existe une persistance de préjugés naturalistes sur les performances cognitives et comportementales entre hommes et femmes – autrement dit, les hommes sont bons en maths, les femmes sont des littéraires – héritage de la théorie dix-neuviémiste de Paul Broca, et de celle “des deux cerveaux” .
Existe-il une explication objective et scientifique à la sous représentation des femmes dans le secteur numérique ; qu’en pensent les neuro scientifiques ?
Non messieurs, vous n’avez pas de prédispositions cérébrales pour le numérique et les femmes pour la littérature !
Catherine Vidal – neurobiologiste, explique dans sa conférence “Le cerveau a-t-il un sexe ?” que mise à part les fonctions reproductrices bien distinctes, il n’y a pas de différence entre les sexes dans le développement des aptitudes d’une façon générale. Si l’on prend l’exemple des mathématiques, le premier stade de développement s’effectue entre les 3 mois et 5 ans chez les filles comme chez les garçons – sans différence aucune. Passé 5 ans, les stéréotypes et le formatage entrent en scène et viennent brouiller les cartes.
Par exemple, Catherine Vidal explique que si l’on fait passer un test de rotation mentale en 3D à des filles et des garçons de 8 ans : les garçons obtiennent de meilleurs résultats que les filles. Or, comme elle l’explique, les garçons sont plus familiers des jeux mécaniques ou techniques (voire des jeux vidéos) – qui favorise le développement des représentations mentales – que les filles et disposent donc d’un entraînement qu’elles n’ont pas forcément.Toutefois si on demande aux filles de jouer à des jeux vidéos Tetris pendant 10h, les différences de résultats sont éliminées.
Cela met en évidence le concept de plasticité du cerveau qui est, d’après Catherine Vidal, l’élément capital à mettre en avant lorsque l’on s’intéresse au cerveau : c’est à dire qu’en fonction des activités régulières d’un individu, certaines zones du cortex cérébral sont plus ou moins développées, mais rien n’est figé dans le temps, tout dépendra de la pratique de l’individu.
Catherine Vidal explique également, qu’outre le formatage qui joue en la faveur des garçons dans certaines disciplines, la charge émotionnelle induite par la menace du stéréotype peut aussi impacter les prestations des filles.Par exemple lors d’un test de calcul mental, si le message adressé aux filles juste avant, est positif, il y a 28% d’erreurs. En revanche, s’il est négatif (du type : “c’est plutôt une épreuve pour les garçons”), il y a en moyenne, 42% d’erreurs. Cet exemple met en évidence le poids du conditionnement et le rôle de l’environnement. On en revient toujours à la notion de plasticité cérébrale…
Cela n’empêche pas certains chercheurs de continuer à produire des études censées démontrer des différences structurelles cérébrales homme / femme – l’étude Ingalhalikar produite en 2014 utilise des clichés cérébraux pris par IRM, pour mettre en évidence des différences d’aptitudes, en fonction des zones ressortant comme les plus actives. Or, une image IRM est prise à un instant T et n’est représentative ni du passé de l’individu, ni de son avenir, elle n’a donc pas de rôle prédictif et ne peut alors pas servir à généraliser un comportement ou définir un caractère. Et pourtant, ces clichés de cerveaux, peuvent avoir un impact énorme sur le crédit que l’on accordera aux résultats d’une étude – cette manipulation des images a même donné naissance à une nouvelle discipline : la neuroéthique.
Ce qu’il faut retenir : c’est qu’en matière d’étude des capacités cognitives d’un individu, on ne peut pas dissocier l’inné de l’acquis, en ce sens où l’on ne peut pas les quantifier. Il n’ y a bel et bien pas de différence entre les hommes et les femmes en matière de capacité cognitive. Les différences se situent entre les individus, indépendamment du sexe, et l’environnement joue un rôle fondamental – l’intelligence n’est par ailleurs pas héréditaire.
Maintenant que nous avons balayé les stéréotypes de déterminisme biologique, tournons nous vers les sciences sociales pour comprendre cette sous représentation féminine dans le numérique. En effet, les écoles d’ingénieurs ne comptent que 27% de filles, comment l’expliquer ? Peut-on le justifier par une simple question de goûts et d’intérêts ? Ou peut-on trouver des causes sociologiques plus profondes ?
Mesdames lorsque vous pensez choisir librement, vous validez les normes inhérentes à votre sexe et votre statut socio-démographique
Ce constat est bien entendu aussi valable pour vous messieurs. En effet, les métiers mixtes sont une denrée rare : seulement 17%. Autrement dit, il y a soit une majorité de femmes, soit une majorité d’hommes.
Il est bon de rappeler quelques notions sociologiques afin de bien comprendre ce qui suit. Le genre n’est pas le sexe. Simple, non ? Précisons un peu : le genre est un concept, il définit un système de normes hiérarchisées à une époque donnée sur des territoires donnés de ce que représente la féminité et la masculinité. Le sexe est une variable sociologique. Les genres définissent les rôles de sexe, c’est-à-dire ce que représentent des hommes et des femmes, leurs comportements et leurs qualités. Enfin, les stéréotypes de sexes (caractéristiques attribuées à toute une catégorie de personnes) naturalisent et légitiment les rôles de sexe et entretiennent la prévalence de choix pour certaines filières en fonction du genre. Ces stéréotypes de genres trouvent leur ancrage dans les croyances embrassant le déterminisme biologique. Par exemple : les femmes doivent faire des métiers de la petite enfance (rôle de sexe) car elles sont plus douces (stéréotype).
Lorsque vous choisissez une voie estudiantine, puis professionnelle vous avez naturellement tendance à valider les normes s’appliquant à votre sexe, à votre milieu. Vous avez une forte tendance à valider les normes, car vous avez intériorisé du social et le processus de socialisation produit, ce que Pierre Bourdieu appelait un habitus. Cet habitus consiste en un certain nombres de dispositions profondément enracinées, qui orienteront et façonneront vos goûts et vos choix tout au long de votre existence. Le fait de déroger à ces normes peut mettre en péril votre appartenance à un groupe social ainsi que votre reconnaissance et cela peut s’avérer très violent : rejet du cercle socio-familial, voire mise au banc de la société. Même si a priori, choisir une filière scientifique ne fera pas de vous mesdames, des parias de la société, vous tendez naturellement vers des choix validant votre système de normes, car vous êtes des individus socialisés.
Si l’homme constitue la société, la société façonne l’homme -si on adopte un point de vue durkheimien. Donc au delà du sexisme plus ou moins latent, encore en vigueur dans les filières considérées comme masculines, le formatage découlant des processus de socialisation pèse sur les choix des femmes.
Et à ce stade, vous rétorquez que même si formatage il y a, vous choisissez vraiment en fonction de vos goûts et de vos intérêts !
Certes, mais l’individu a plutôt tendance à diriger ses centres d’intérêts vers quoi il se sent capable. Cela rejoint la théorie de Bandura lorsqu’il parle de sentiment d’efficacité personnelle : si vous vous considérez comme particulièrement capable dans un domaine, cela affectera la manière dont vous appréhenderez une tâche, vous aurez particulièrement confiance en vous et l’impact sera positif sur votre performance. Donc si vous avez été formatées pour vous sentir plus à l’aise dans les disciplines “littéraires”, vous les aborderez avec plus de sérénité et de confiance et inversement avec les disciplines “scientifiques” et cela affectera vos performances et affinités. Cela peut expliquer la désertion des femmes des filières scientifiques – ainsi il n’y a que 30 % de femmes qui travaillent dans le secteur de l’ingénierie…
Pour conjurer ces effets et aboutir à plus de mixité au sein des différents corps de métiers, il faut miser sur l’éducation -la grande fabrique à inégalité, toujours dans une optique bourdieusienne. En effet, tout se joue à l’école où le choix d’orientation se base sur la reconnaissance mutuelle (considération sociale et familiale) qui se confronte à la conformité des normes. En gommant les normes nous pouvons espérer renverser la tendance des choix scolaires (à moyenne égale en mathématiques, les femmes vont être seulement 27% à demander une orientation en terminale S pour 41,5% pour les hommes).
Françoise Vouillot explique qu’il faut viser un objectif d’égalité à l’école pour espérer atteindre de la mixité dans le monde du travail. En effet, 60% de la division sexuée entre les métiers et au sein même d’un métier prend racine à l’école et dans les choix d’orientation ; les 40% restant viennent du marché du travail via le processus de recrutement.
Même si les normes sociales sont constitutives de notre mode organisationnel, on peut vivre en société en dépassant les stéréotypes de genre et de sexe. L’idée n’est au demeurant pas neuve, Christine de Pizan en 1405 dans La Cité des Dames, argumentait déjà pour une égalité d’éducation entre hommes et femmes.
Notre héritage est donc aussi porteur d’espoir en matière d’égalité – même si nous continuons à payer le prix de thèses extrêmement misogynes en matière d’éducation – il se pourrait que les femmes regagnent leur rôle de pionnière en matière de numérique. En attendant qu’un vrai bouleversement du système éducatif ait lieu, nous pouvons toujours compter sur les initiatives d’acteurs tels que Femmes@numérique.
Bonjour,
Comment analyser le paradoxe Norvégien alors ? L’une des sociétés les plus égalitaires et qui fait tout pour effacer les normes et lutter contre les stéréotypes voit la répartition des gens dans les métiers stéréotypés s’accroître… Elle révèle donc les vraies tendances naturelles ?
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