Dans cette première partie inspirée par la conférence « L’entreprise sans managers » donnée par Alexandre Gérard le 27 janvier 2015 à l’école MINES ParisTech, nous proposons d’évoquer de nouveaux modes d’organisation d’entreprise, qui sont en fait un nouveau paradigme, ainsi que les conditions nécessaires à leur émergence : pouvoir, vouloir et savoir non plus entre les mains des chefs, mais entre les mains de tous ceux prêts, capables et volontaires de vivre dans ce paradigme.
Depuis le XIXème siècle, notre monde riche d’énergie abondante a crû et est devenu complexe. Ni déterministe, ni maîtrisable : chaotique.
Au début de la révolution industrielle, la puissance de la machine à vapeur à rendu possible l’industrie de masse. Mais au XVIII siècle, il n’y avait que des manœuvres issus des campagnes, non instruits voire illettrés. Et la gestion de l’information reposait sur des textes écrits sur du papier, transportés physiquement à pied ou par la poste.
Tout ceci a poussé vers une division élémentaire du travail, pour le rendre accessible à des personnes faiblement instruites, grâce à des procédures écrites ou transmises oralement. Avec des « chefs » qui savent et qui décident, et des « subordonnés » qui écoutent et qui ont toute « liberté » de faire comme ils veulent, du moment que c’est comme le chef le leur a dit.
Ce modèle d’organisation pyramidale avec ses étages de chefs et de subordonnés, plus tard appelée tayloriste, a conduit à 200 ans de prospérité industrielle, à une élévation, sans égale dans l’histoire, du confort matériel des sociétés humaines.
Mais ce modèle est arrivé au bout du rouleau. Au lieu d’utiliser l’intelligence de tous, il la nie en pérennisant des organisations conçues pour des manoeuvres illettrés. Une étude Gallup nous apprend que 9% des salariés Français sont heureux dans leur travail et qualifiés « d’engagés » ; 65% sont « désengagés », ce qui fait dire à un patron de PME qu’« ils viennent pour partir ». Ils font le minimum syndical pour toucher leur salaire. Enfin, il en reste 26%, qu’on appelle « activement désengagés » : ils sont malheureux et viennent pour le montrer et pour le faire payer à l’entreprise qui les a rendus ainsi.
Aujourd’hui, ce modèle d’organisation ne survit plus que par habitude, par inertie. Grâce à l’énergie cinétique qu’il lui reste.
Sur la base de ces constats désastreux, des personnes de bonne volonté font émerger un nouveau modèle d’organisation.
Ce nouveau modèle tire parti de ce qui a causé la mort des organisation pyramidales : la richesse, qui mène à la complexité ingérable et permet l’élévation du savoir moyens des sociétés humaines.
Le savoir des Hommes permet, dans certaines organisations bien particulières, de gérer la complexité qui a rendu les organisations pyramidales inefficientes.
Lors de la conférence organisée avec le Club Mines Stratégie, Alexandre Gérard nous présente une de ces entreprises suivant ce nouveau modèle d’organisation : Chronoflex et le groupe inov-On, qu’Alexandre a fondés.

Pour simplifier la suite de l’exposé, j’appellerai ce nouveau modèle d’organisation « libéré », comme dans le livre d’Isaac Getz, « Liberté & Cie ».
Quelles sont les caractéristiques de ce modèle ?
D’abord, le « Pourquoi ».
« Pourquoi » j’en fais partie, « pourquoi » je me lève le matin, « pourquoi » je me couche tard le soir, et « pourquoi » j’y suis le week-end si c’est nécessaire.
Impulsé par le ou les chefs, ou plutôt accouché par eux avec les équipes, ce « pourquoi » est extrêmement puissant. Parce qu’il permet à chacun, partout, tout le temps, de prendre les bonnes décisions, celles qui vont dans le sens du collectif qui adhère à ce « Pourquoi ».
Ce pourquoi est souvent appelé « Rêve partagé » dans les organisations libérées.
À Chronoflex, ce « Rêve partagé » tient en deux propositions : « La performance par le bonheur » et « Cultiver l’amour du client ».
Ensuite il y a des « Comment ».
Des « Comment » de haut niveau. Par haut niveau, j’entends que ce sont des principes directeurs. Ce qu’on s’autorise à faire, et ce qu’on s’interdit. D’aucuns appellent cela des « Valeurs ».
À Chronoflex, ces valeurs sont : « Equipe respectueuse et responsable » et « Ouverture d’esprit et esprit d’ouverture ».
Ces éléments ont remplacé TOUTES les notes de services, qui s’étaient empilées pour gérer les exceptions, et qui s’imposaient à tous. A l’intérieur de ce terrain de jeu, les acteurs de Chronoflex sont libres et responsables de leurs actions.
Voici à Nordstrom, chaine de grands magasins aux Etats-Unis, à quoi cela peut ressembler (Source : Isaac Getz) :

Le livret d’accueil des employés de Nordstrom – recto

Le livret d’accueil des employés de Nordstrom – verso
Pouvoir.
Cela ne suffit pas à assurer un fonctionnement : la liberté est exigeante, il faut avoir la capacité à l’assumer.
Tout le monde n’est pas capable de prospérer dans un espace de liberté, la contrepartie en étant la responsabilité et l’absence de sécurité.
Pour prospérer dans un espace de liberté, il faut pouvoir le faire, et pour cela être formé. Un chaton passe les premières semaines de sa vie à être instruit par sa mère : comment chasser, comment masquer ses déjections pour réduire le risque d’être repéré par des prédateurs. Les chatons séparés de leur mère dès la naissances, arrivés à l’âge adulte, ont très peu de chances de survivre si on les lâche dans la nature.
Cet apprentissage prends du temps, car il nécessite d’itérer entre apprentissages théoriques, indispensables, et vécu en situation, seul à même d’ancrer les savoir par de l’expérience et de l’émotion associée.
Plusieurs groupes de travail thématiques ont échoué à Chronoflex, faute de compétence et d’expérience de leur membres.
Les échecs sont importants car ils sont plus formateurs que les réussites, à condition de sortir de la culture de la sanction des erreurs pour entrer dans une culture bienveillante de retour d’expérience bénéficiant à tous.
« A chaque fois qu’une équipe qui s’est lancée dans une action responsable a fait une c… j’ouvre une bouteille de champagne » nous dit Alexandre Gérard.
Vouloir.
Il a ensuite fallu obtenir l’adhésion des équipes pour aller en ce sens : c’est le vouloir, deuxième condition nécessaire après le savoir pour parvenir à une entreprise libérée.
Pour que les équipes veuillent s’engager, il faut faire disparaître les signes de pouvoir, qui marquent de manière visible qu’on accorde une considération plus importante à certains que d’autres. Et qui fait que ces autres se désengagent ou cherchent à tout prix à devenir eux aussi des gens considérables. Qui à leur tour feront sentir à leurs « subordonnés » ces différences.
Plus de places de parking pour la direction et les cadres, plus de salle de restaurant privée, plus de bureau attitré, plus d’épaisseur de moquette ou de gamme de mobilier en fonction de la classification dans la convention collective, Comités de direction ouvert à tous…
Savoir.
Autre élément nécessaire, être informé, connaître les informations et données nécessaires à la prise de décision : prix de vente, marge directe, rapports financiers, correspondances et accords avec les clients et les fournisseurs…
Avec les données nécessaires à la décision, il y a aussi les données nécessaires pour tuer les procès d’intention : actionnariat, rémunérations fixes et variables…
Comme par miracle, ces actions mises en oeuvre ont poussé la performance de l’entreprise : +20% de chiffre d’affaires.
à suivre : Partie 2 : les détails de la mise en oeuvre
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