Le 4 mai, Claude Malhuret – sénateur de l’Allier – s’exprimait devant le sénat dans le cadre du débat sur le plan de déconfinement proposé par le gouvernement d’Edouard Philippe. En introduction de son discours, il s’étonne de la récente explosion du nombre d’experts en épidémiologie dans notre pays : des “grands experts très assurés”, “des petits experts qui manquent d’expérience sur zoom”, “des sois-disant experts”, “des faux experts”. Il ponctue enfin son introduction par un axiome de son cru et qui, pour ma part , traduit avec simplicité un sentiment que vous partagez peut-être avec moi : “Plus il y a d’experts moins on comprend”. Nous vivons une période critique : un enjeu majeur est de la comprendre. D’où vient donc cette cacophonie de voix dissonantes qui affirment et réfutent avec un aplomb tel qu’elles achèvent parfois de vider nos têtes de leur plomb ? Des éléments de réponse dans l’effet Dunning Kruger.
« Plus il y a d’experts, moins on comprend »
L’effet Dunning Kruger
L’effet Dunning Krunger est un biais cognitif qui pousse les moins compétents dans un domaine à se surestimer. L’expérience a montré qu’il touchait particulièrement les occidentaux. Voici plutôt à quoi ressemble cet effet :
Ce biais cognitif dont nous sommes tous victimes est particulièrement dangereux lorsque nous baignons dans la “supériorité illusoire” car à ce moment :
- nous avons confiance en notre niveau de compétence, pourtant bas
- nous ne nous doutons pas de l’ampleur de notre incompétence
- nous demeurons incapables de reconnaître la compétence de nos pairs plus qualifiés
Ces effets collatéraux sont d’autant plus dommageables que – à moins d’une claque intellectuelle (attention à la dissonance cognitive !) ou d’un effort redoutable contre nous-mêmes – ils tendent à nous maintenir dans nos certitudes bien infondées : on s’informe en surface, on s’estime légitime, on ne doute pas, on cesse de s’informer, on ne gagne plus en compétence.
Applications de l’effet de surconfiance
Le problème de l’incompétence n’en est pas vraiment un dans l’effet Dunning Kruger car après tout, je ne me risquerai pas à reprocher aux divers éditorialistes, aux multiples twittos ou autres responsables politiques leur manque de compétence dans un domaine aussi pointu que celui de l’épidémiologie (pour l’exemple). Non, le problème de ce biais cognitif est bien celui du trop plein de confiance ; on nomme par ailleurs l’effet Dunning Kruger l’effet de surconfiance. Maintenant, ajoutez à cet effet la nécessité de limiter sa pensée à 280 signes, ou à un edito pas plus long qu’une Vine et vous obtiendrez le résultat que nous observons trop souvent : une foultitude d’avis péremptoires ; si péremptoires qu’ils ne peuvent que contenir une certaine vérité non..? Ainsi, plus il y a d’experts moins on comprend.
Dans votre métier et le notre à ISLEAN, nous nous devons de connaître ces effets et de les combattre, d’autant que sur le marché du travail l’obsolescence des compétences s’accélère ; nous serons donc de plus en plus souvent confrontés à la nécessité de gagner en compétences dans de nouveaux domaines. Le métier du conseil illustre par ailleurs bien les risques cités plus hauts : nos missions nous mènent à aborder très régulièrement de nouvelles problématiques, de nouveaux métiers et à la faveur de notre posture de conseil, il serait facile de céder à l’impératif d’exprimer rapidement un avis assuré et départi de doute. Pour lutter contre ce biais cognitif qui nous imprègne tous, nous avons recours à des méthodes et outils qui ne sont pas seulement l’apanage des consultants : l’écoute active et la connaissance de ces biais cognitifs notamment.
Place au doute !
Nous venons de voir quelques pistes pour lutter contre son propre effet de surconfiance (partagez d’autres idées de pistes en commentaire !). Mais comment faire pour ne pas succomber à celui des autres ? Comment se prémunir contre l’essor des experts auto-proclamés dont les arguments frôlent parfois l’ésotérisme ou le complotisme ? La tâche est d’autant plus difficile que nous sommes parfois pressés de nous faire un avis dans des domaines où notre niveau de compétence est désespérément bas (l’épidémiologie par exemple ?). Il s’agit alors d’opérer un tri dans la cacophonie d’avis divergents parmi un orchestre d’experts plus ou moins experts. Nous en venons donc bien souvent à croire plutôt qu’à penser, à opposer et peser des arguments, à fact checker. Pourtant l’alternative au manque de compétence/d’information sur un sujet n’est pas nécessairement la croyance : rien ne nous force à croire lorsque nous pouvons douter, demeurer sceptiques, affirmer qu’on ne sait pas… d’ici qu’on sache.
Je vous laisse en chanson en compagnie de Jean Gabin !