Décharger les soignants des tâches administratives et offrir une solution simple de suivi : voici Semeia !
Aujourd’hui je vous propose de rencontrer Pierre Hornus, le cofondateur de Semeia, solution de télésurveillance des patients.
Pierre Hornus, co-fondateur de Semeia
Quel est le concept développé par Semeia ?
Avec Semeia nous offrons une solution de télésurveillance des patients pour les professionnels de santé.
Nous avons fait le double constat suivant : les malades sont de plus en plus nombreux, en particulier avec le développement de maladies chroniques, alors que le nombre de médecins et infimiers/ères est constant voire en diminution. Il y a mécaniquement moins de médecin par patient et donc moins de disponibilité pour assurer un suivi au long cours. Un autre effet vient s’ajouter, la médecine est devenue de plus en plus pointue, avec des normes, la gestion des données, etc. Les soignants n’ont pas le temps de réaliser les tâches administratives tel que la saisie de données dans les systèmes de suivi.
Nous avons donc voulu répondre à cet enjeu : comment offrir une solution de suivi des patients non chronophage pour les soignants ?
Concrètement, comment fonctionne Semeia ?
Semeia permet de récupérer les données de manière automatique et structurée. Nous développons des algorithmes, parfois complexes, pour lever des alertes, identifier des patients à risque, etc. Nous visons à limiter les travaux administratifs et les saisies par les médecins ou patients.
Actuellement, notre solution est opérationnelle pour un périmètre bien défini de patients :
- Greffes de rein ou poumon où le suivi est primordial du fait de risque important sur le greffon,
- Cancer du sein où l’adhésion au traitement est critique pour éviter toute rechute ou récidive,
- Le suivi des personnes bipolaires,
- La rhumatologie.
Nous travaillons à faire évoluer notre solution pour toucher un plus large panel de patients.
Ecrans de l’application semeia pour le suivi patient
D’où viennent les données sur les patients et comment sont-elles traitées ?
La principale difficulté à surmonter est la recherche et la structuration de la donnée. Les données exploitées par notre solution viennent de deux sources principales.
D’une part, la carte vitale des patients regroupe un ensemble des données très riche qui sont destinées en premier lieu au remboursement mais qui peuvent aussi être exploitées pour en tirer des informations médicales utiles aux soignants. On retraite et on structure ce flux pour en extraire des données médicales utiles à la mise en place de suivi personnalisé. Par exemple, on peut extraire les données sur les derniers rendez-vous chez un radiologue qui nous donne l’information sur le type d’acte opéré (par exemple une mammographie) que nous allons traduire dans un langage médical. Puis une ordonnance prescrite par un médecin généraliste va nous permettre de créer une alerte de suivi sur les effets indésirables ou des interactions entre les deux traitements prescrits par le radiologue et le généraliste. En gros, on « remédicalise » l’information fournie par la sécurité sociale. Ce sont des données fiables et robustes car elles sont liées à la facturation des actes médicaux.
La deuxième source principale de données est issue des analyses biologiques réalisées en laboratoire. Ce sont des fichiers textes envoyés au médecin prescripteur que nous normalisons et structurons dans une base de données.
Sur ces deux sources, nous appliquons des règles de gestion afin d’identifier les traitements et les actions de suivi.
Enfin, seules les infirmiers/ières intégrés à notre réseau sont autorisés à accéder aux données de santé. Pour les data scientistes, nous donnons accès aux données anonymisées, dans une « bulle sécurisée » ou toutes leurs actions sont enregistrées et tracées. Ainsi, nos équipes ne peuvent pas croiser des données qui permettraient d’identifier les patients. Nous avons développé un serveur agréé par la CNIL, ce qui fut long et coûteux mais nous permet maintenant de créer des modèles pertinents en toute sécurité.
Quel est l’historique du projet ?
De formation actuaire, j’ai commencé ma carrière dans le conseil ; j’ai réalisé beaucoup de missions pour l’assurance maladie. C’est comme cela que j’ai découvert l’importance du sujet des données dans la santé. Aussi, mes parents sont médecins, ce qui m’a permis d’être très tôt sensibilisé aux questions de santé.
L’idée m’est donc venue de travailler sur les données de la sécurité sociale pour y exploiter les informations utiles au suivi. Nous avons créé le projet au cours d’un hackathon organisé par la sécurité sociale sur le sujet du bon usage des données de prescription. Je me suis associé avec mon colocataire de l’époque ayant un profil ingénieur et avec un troisième collaborateur au profil commercial. Nous avons démarré le projet en 2017.
Quel bilan à date et quelles perspectives d’évolution ?
Aujourd’hui, nous sommes 30 personnes, réparties entre Toulouse et Paris. Nous accompagnons 20 hôpitaux et environ 1 000 patients.
Nous souhaitons élargir notre périmètre d’intervention à d’autres pathologies ; par exemple, le suivi pour les greffes de poumon date d’octobre 2021 et pour le cancer du sein de juin 2021. Dans un hôpital, l’organisation se fait par services selon les pathologies. Ce qui implique que chaque service se dote d’un outil adapté à ses besoins, ce qui démultiplie les outils au sein de l’hôpital. Ceci explique que le marché soit très fragmenté, avec des entreprises en concurrence et spécialisées par pathologie. Les médecins échangent entre eux et diffusent la connaissance sur les différentes solutions à disposition selon les besoins.
A plus ou moins court terme, nous souhaitons aussi ouvrir notre service aux professionnels de santé de ville. Pour cela, nous allons passer par les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) financées par les ARS (agences régionales de santé), les CPAM (Caisses Primaires d’Assurance Maladie) et les collectivités territoriales et qui visent à structurer l’organisation et les outils à disposition des professionnels de santé d’une région.
Enfin, nous avons aussi comme projet de travailler en étroite collaboration avec les Ehpad afin de permettre aux personnes âgées dépendantes qui souhaitent restées chez elles d’être accompagnées « hors les murs » de l’Ehpad.

L’équipe Semeia
Comment voyez-vous l’accompagnement du pouvoir public dans la Medtech ?
Au sein de Semeia nous avons la Banque des Territoires comme actionnaire. Cela nous semble important et sain d’être sur un investissement social et un financement avec des fonds publics.
On remarque depuis la crise du covid, une nouvelle prise de conscience assez forte de la part des médecins et de la sphère publique sur la télémédecine et la télé-surveillance. Chez Semeia, nous pensons qu’il faut mettre en place les garde-fous nécessaires : la télémédecine pourra se développer si on donne suffisamment de garanties aux patients sur leurs données.
Le traitement des données de santé est spécifique aux pays, du fait de systèmes différents et de cultures de la donnée différentes. Par exemple, nous travaillons actuellement sur les maladies mentales pour anticiper des crises bipolaires et faire des prédictions. En France, nous ne pouvons avoir accès qu’à un ensemble de données limité sur les téléphones : seulement les métadonnées et pas de données de contenu. Par exemple, les données d’ouverture de téléphone peuvent prédire un épisode maniaque. Mais nous n’aurons pas accès aux données sur les photos par exemple qui peuvent donner des informations pertinentes selon leur contraste. Une étude similaire menée aux USA donnerait donc davantage de résultats du fait de données plus précises.
Quel est le niveau d’adhésion des patients et des médecins à votre solution ?
Côté patient, il y a très peu de refus car ce sont les médecins qui proposent le suivi à leurs patients ce qui favorise leur confiance. De plus, ce sont des patients aux pathologies lourdes et chroniques qui connaissent l’importance du suivi pour le traitement de leur pathologie. La plateforme pour le patient reste limitée pour l’instant (messagerie instantanée). Nous menons actuellement un projet d’étude avec des chercheurs en sociologie et psychologie pour cibler ce qui intéresserait les patients en termes de fonctionnalités sur la solution.
Côté professionnels de santé, ils sont convaincus par l’aspect automatique de la solution qui ne leur crée pas de tâches supplémentaires. En termes d’adhésion au numérique, le panel est large : des « geeks » très enthousiastes, des adhérents sans conviction, des réfractaires, etc. Ce qui est indéniable c’est que la crise du covid a fait infuser l’utilité du suivi à distance et a montré que cela était possible.
Pour conclure, la e-santé c’est quoi pour vous ?
En France, la e-santé est en pleine effervescence avec de nombreux projets en développement. Le covid a mis au grand jour les besoins là-dessus. Cependant, elle reste fractionnée et manque de structuration. Il faut désormais amorcer une phase de maturité pour structurer les initiatives.
Aussi, la FrenchTech de manière générale doit surmonter un enjeu de taille : attirer et conserver ses talents ! Ce n’est pas évident de s’aligner avec les Facebook, Google et autres géants de la tech. Les jeunes embauchés sont friands de sujets éco-responsables et RSE, ce que nous essayons de développer au maximum au sein de Semeia. L’avenir de la Tech française passe par la recherche du sens et de l’impact social. Il y a donc un changement de paradigme, dans la medtech, on cherche autre chose qu’un travail.
Au sein de Semeia, nous nous attachons à comprendre les attentes de nos employés, capter leur feedback ; nous mettons aussi l’accent sur la transparence en affichant la rémunération des dirigeants par exemple. Nous allons aussi chercher à obtenir le label B corp certifiant les entreprises répondant à des exigences sociétales et environnementales, de gouvernance ainsi que de transparence envers le public.
Merci à Pierre pour cet échange 🙂 Retrouvez plus d’information sur le site de semeia.