Philippe Kalousdian, associé fondateur d’ISlean consulting nous livre son point de vue sur les relations entre DSI et SSII :
Ayant récemment démarré la lecture du livre de John Gray que vous aurez reconnu « les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus », en même temps que j’interviens en audit et redressement de contrats d’outsourcing informatique, je me suis dit que de nombreux parallèles pouvaient être tracés.
Comme entre les hommes et les femmes, un abime d’incompréhension sépare les SSII et les DSI.
Cet abime est à mon avis principalement fait de différences d’objectifs, de différences d’horizons de temps et de différences de culture.
Les différences d’objectifs :
- Une DSI doit réaliser le grand écart entre la fourniture d’une énergie informatique (faire fonctionner les applications métiers de l’entreprise, et leurs interfaces homme-machine, que ce soit un PC, un laptop, un PDA, un Smartphone) et l’alignement des systèmes d’information aux métiers de l’entreprise (projets d’évolution ou de construction d’applications métiers).
- Une SSII doit d’abord faire du chiffre d’affaires rentable, puis durable.
Réussir à faire converger ces objectifs durablement, nécessite de la part des DSI de mener des appels d’offres auxquels le marché est capable de répondre avec maturité, en soignant la définition du périmètre, le choix des sociétés consultées, et en faisant une estimation ex ante rigoureuse du budget qui permettra d’avoir des offres de qualité adéquate.
Les différences d’horizon de temps :
- Les DSI s’inscrivent dans des horizons de temps de l’ordre de leur survie en poste, soit 3 à 5 ans, en moyenne. Horizon en général compatible avec le lancement, voire l’aboutissement partiel d’un programme de transformation des SI de l’entreprise.
- Les SSII s’inscrivent d’abord dans un horizon boursier de l’année fiscale, voire le trimestre. Certaines, et en général, pas les plus grandes, ont un soucis de la qualité dans la durée, mais qui n’est pas reconnu dans les modes de promotion des managers, dont l’horizon de promotion ou de mise au placard est de l’ordre de 1 à 3 ans.
Nous constatons donc là encore deux mondes qui structurellement ne peuvent pas construire dans la durée, à moins de bâtir des relations interpersonnelles de dirigeant à dirigeant, loin au-dessus des DSI et autres Client Engagement Executives.
La différence culturelle :
- Une DSI bien constituée a d’abord une culture métier et fonctionnelle : quel système pour automatiser tel ou tel processus métier, pour quel gain d’efficacité ou de productivité ?
- Une SSII a surtout une culture technique (certaines DSI aussi parfois, malheureusement au détriment des enjeux métiers). Les ingénieurs sont d’abord là pour développer des expertises sur des technologies ou des savoir-faire de management de projet
Là encore, comment réussir à faire se comprendre le voyageur qui veut découvrir du pays et le mécanicien qui veut fabriquer des beaux moteurs ? Comment parvenir à une synergie alors que leurs inclinations culturelles tendent à stériliser par nature même toute relation ?
Une DSI a d’abord besoin de solutions à plus ou moins forte valeur ajoutée, une SSII a besoin d’affecter le plus de ressources possible.
Les relations entre SSII et DSI m’ont souvent fait penser à ce jeu d’enfants de premier âge, où il faut faire pénétrer des formes dans les trous correspondant : carrés, disques, étoiles, triangles… Et où on est témoin de l’acharnement de certains à essayer de faire entrer à toute force un carré dans un rond !
D’autres paramètres, en général de second ordre par rapport aux précédents, peuvent ça et là avoir tout de même un rôle significatif :
- L’état du marché, entre l’euphorie et la dépression, peut significativement changer la capacité de mobilisation d’une SSII
- La taille des acteurs. De nouveaux acteurs émergents vont avoir une capacité à se mobiliser pour un client nettement plus forte qu’une SSII historique qui a pignon sur rue. Capacité de mobilisation parfois inversement proportionnelle à leur capacité à tenir les promesses.
- L’état interne de la SSII : fusions, changement d’actionnaire, départ de dirigeant fondateur ou charismatique, entrainant à plus ou moins brève échéance une fuite des talents, il est majeur de se tenir informé de l’état du marché. Et ce pour éviter de miser sur ce qu’on croit être un point fort pérenne, alors que c’est un point en pleine déliquescence.
Comment avec tout cela encore espérer pouvoir s’en sortir ?
Je ne prétends pas détenir la vérité, et les expériences passées me forcent à l’humilité.
Cependant, quelques facteurs clés de réussite émergent :
- Bien se connaître et bien connaître les SSII. Ne pas croire que le marché sait faire des miracles, et pourra répondre à tous vos problèmes, et à fortiori aux problèmes que vous n’êtes même pas capables d’exprimer
- Se professionnaliser en matière de gestion de contrat ; faire preuve de rigueur ; ne pas exiger plus des autres que de soi-même. Etre exigeant mais juste.
- Faire preuve de souplesse. Ne pas s’abriter derrière un contrat perdant pour une des parties, qui finira soit par jeter l’éponge, soit par se refaire par ailleurs. Co-construire en avançant, contractualiser léger au démarrage, quitte à enrichir le contrat ex post, avec des éléments éprouvés par la pratique. Faire le constat de manière adulte, qu’on a parfois pu faire fausse route et qu’il faut réajuster le tir.
- Favoriser la présence dans les DSI d’anciens bid managers de SSII, et dans les SSII d’anciens acheteurs de DSI. Tout ce qui permet de rapprocher les bords du gouffre est bon à prendre.
Quelques deals peuvent ainsi vivre un état de grâce pendant un temps plus ou moins long.
Par analogie avec ce que disait A. Lincoln « You can fool some of the people all of the time, and all of the people some of the time, but you can not fool all of the people all of the time. », il est très difficile, sinon impossible, de réussir à bâtir une relation idyllique entre une DSI et une SSII sur une longue durée, de par le caractère éphémère même des facteurs de réussite.
Cela ne doit pas nous rendre pessimiste. Cela doit nous rendre exigeants et rigoureux, pour réussir à réunir durablement les facteurs de réussite.
Philippe Kalousdian
Sur le même thème, consultez notre article « Manager un engagement de résultat ou un engagement de moyen ? ».
Point de vue très intéressant, qui sent le vécu, et contenant quelques facteurs clés de succès précieux.
Un point m’intrigue : « Tout ce qui permet de rapprocher les bords du gouffre est bon à prendre. »
Quand on parle de « favoriser » la mobilité entre SSII et DSI, 2 questions me viennent :
1/ Y a t-il actuellement des barrières qui empêchent un Manager de DSI de devenir consultant et vice versa ? Si oui, lesquelles ?
2/ Comment favoriser cet échange ?
Si par « consultant » on entend chef de projet ou bid manager, il n’y a pas de barrière autre que le désir ou l’opportunité de bouger.
Si par « consultant » on entend consultant en stratégie et management de la fonction système d’information, la barrière est celle de l’apprentissage du métier, qui ne se pratique bien qu’après 2 à 3 ans, et ne se maîtrise qu’après 5 à 7 ans.
Venir d’une DSI permet de connaître le fond, mais pas les méthodes de travail, d’animation, de communication, d’étude technico-économique, et tout le reste.
L’autre barrière, dans le sens conseil – DSI est… salariale. Le marché est ainsi que les salaires dans les cabinets de conseil sont 30 à 50% supérieurs à ceux d’une DSI, en général.
Comment favoriser les échanges ? être conscient de la richesse de cet échange, et recruter de vrais professionnels des services industriels, non de simples chefs de projet ou techniciens.
Entrer dans une SSII venant d’une DSI offre un regard client, une empathie, précieuses aux yeux des clients et permettant de dénouer nombre de malentendus.
Je suis tombé par hasard sur cet échange que je trouve très riche.
Je suis un ancien responsable achat de prestations et j’ai un peu tout vu sur la relation client/fournisseur du bien et du moins bien.
Les clefs de réussite vous les avez bien identifé et vous avez également bien souligné les difficultés pour les mettre en oeuvre.
Comment concilier relation durable et durée éphémère d’un décideur si tanté que de réel décideurs existent dans le poste !
Je vis aujourd’hui cette difficulté car j’ai fondé une société de conseil il y a peu pour changer certaines pratiques et professionnaliser plus les relations, mais force est de constater que la confiance ingrédient de base d’une relation durable est diffcile à mettre à l’ordre du jour. Quand vous êtes un jeune entrepreneur vous n’avez pas non plus le temps pour construire cette relation de confiance si importante et c’est à mon avis la raison pour laquelle certains retournent en temps que salarié. Nous sommes tous en peu responsables de cette situation et nous devons revoir nos priorités. Je suis entrain de me poser la question par rapport à mon discours commercial auprès des clients car, confiance, compétence, étique, service, tout cela pour le client n’est que discours .. Allez visitez tous les sites des SSII voir même ceux de leurs clients grands groupes 🙂 ils tiennent le même discours. Pour être en mesure de démontrer que pour vous ce n’est pas un simple discours, il faut que quelq’un prenne sur lui et vous donne votre chance, en france c’est quasi impossible et c’est la raison pour laquelle le business se développe toujours entre le même et que les pratiques ne sont pas prêtes de changer.
Bonjour monsieur Mrani
Je suis d’accord, la confiance se bâtit difficilement, et peut se détruire instantanément
C’est très difficile de monter une structure en tant qu’indépendant, surtout si on est seul.
Le secret pour durer c’est soit d’être un gourou reconnu, soit d’être bon et d’avoir un large réseau
Et cette reconnaissance se bâtit au fil des missions, des rencontres, des propositions. C’est long et difficile, et beaucoup n’y arrivent pas
Je serais intéressé de poursuivre cette discussion avec vous. Comment puis-je vous contacter ? Vous pouvez m’écrire au mail « contact arobase islean-consulting.com »
Bien à vous
[…] Kalousdian illustrait dans son billet les SSII viennent de mars, les DSI viennent de Vénus, toute la difficulté d'une relation pérenne entre prestataire et […]
[…] Kalousdian illustrait dans son billet les SSII viennent de mars, les DSI viennent de Vénus, toute la difficulté d'une relation pérenne fructueuse entre prestataire et […]
Bel exercice de style.
Sur le fond, la distinction entre SSII et DSI s’estompe de plus en plus avec le Cloud Computing.
Mais l’histoire pré Cloud montre que des DSI peuvent devenir des SSII (ou des opérateurs de services SI) (GIE, Joint Venture,…) ou le contraire, des SSII devenir des DSI (par rachats capitalistique.
Bon, pour l’analogie homme femme…
Décalé : Pour aller dans le même sens et s’amuser un peu, il serait intéressant de réaliser l’exercice avec le mariage de la carpe et du lapin…
[…] Sur le même thème, notre article "Les SSII viennent de Mars, les DSI viennent de Vénus". […]