L’appel d’offres spécifie ce que le client attend de son futur fournisseur. Si le client n’est pas transparent sur ses attentes y compris en termes de risques à assumer, il risque de faire un choix qui ne lui conviendra pas.

Pour se procurer des produits et services, les entreprises procèdent généralement par appel d’offres. Elles décrivent leurs besoins dans dossier de consultation et soit rendent ce cahier des charges public, afin que le plus grand nombre possible de fournisseurs proposent leur prestation et leurs tarifs, soit le transmettent à des fournisseurs qu’elles ont déjà identifiés afin d’obtenir des propositions détaillées.

Le dossier de consultation lui-même comprend toujours un règlement de consultation, c’est-à-dire la description du processus aboutissant au futur contrat, et un cahier des charges, qui décrit les attentes du client tant sur l’objet du contrat – les produits, les services – que sur les conditions d’exécution : les engagements, les garanties, les modalités de rémunération, la communication entre le client et son fournisseur.

Nous avons vu des entreprises acheteuses se comporter en cherchant à en dire le moins possible sur leur contexte et sur leur critère de choix, arguant d’une part que le fournisseur n’a pas à connaître certaines choses de son client, d’autre part qu’elle veulent choisir en toute liberté. Cette posture peut se comprendre pour des achats de biens et services courants n’ayant pas d’impact stratégique sur l’entreprise, par exemple l’achat de fournitures de bureau dans des entreprises industrielles ou de main d’œuvre. Mais dès que l’acheteur recherche une prestation qui contribue de manière stratégique à sa valeur ajoutée, il est contraint à une certaine transparence sur ses attendus et ses critères de choix, au risque de nuire à ses propres intérêts stratégiques.

Chercher non seulement une prestation, mais surtout un partenaire

Une offre de prestation peut être qualifiée de complexe dès lors qu’elle concerne le cœur de métier de l’entreprise. Le papier n’est pas essentiel à une entreprise du bâtiment, mais l’est pour un imprimeur ou une entreprise de presse. Dans une prestation simple, seule la fourniture est recherchée. On définit la qualité souhaitée et on recherche le meilleur prix. Dans une prestation complexe, le fournisseur a une importance cruciale. La fourniture pourra elle-même évoluer d’une manière difficilement prévisible dans le cahier des charges. En revanche il est attendu du fournisseur qu’il accompagne les virages stratégiques de son client.

Or, les entreprises cherchant une prestation complexe ont souvent tendance à se focaliser sur les spécifications du produit ou du service recherché, masquant leurs attentes réelles voire leur besoin stratégique. Il est bien inutile pour une entreprise de presse de s’attarder sur le grammage ou la texture du papier si elle ne spécifie pas à son fournisseur les engagements de continuité de fourniture, le respect des horaires, les modalités de livraison. Cette sur-spécification du quoi par rapport au comment peut conduire le client à choisir un prestataire qui livre en retard, ou par quantités excessives, un papier de qualité trop haute par rapport à son besoin et qu’il paie trop cher, tout en étant empêché de diffuser à temps ses journaux.

Abaisser le risque de prestation pour mieux faire face au risque d’entreprise

Une prestation complexe implique des risques pour le client comme pour le fournisseur. Le client peut, par un choix malheureux, se trouver contraint d’assumer des charges qu’il n’avait pas prévues. Le fournisseur peut lui aussi se trouver contraint d’apporter des éléments non initialement prévus dans son offre, amoindrissant le rendement du contrat. Dans une posture vicieuse, le client peut chercher à transférer du risque sur le fournisseur, après avoir obtenu un prix intéressant pour une prestation réputée sans risque. Symétriquement, le fournisseur peut, consciemment ou non, fournir une prestation insuffisante à son client et générant un risque.

Or la bonne gestion de la prestation consiste à amener les deux parties non pas à se défendre chacune contre les risques que cherche à faire peser sur soi la partie adverse, mais à assumer de manière efficace les risques d’entreprise que conduit le fournisseur dans sa mission. Pour ce faire, le client doit à son fournisseur un grand niveau de transparence vis-à-vis de l’évolution de son besoin. Cette transparence peut consister à dire qu’il ne connaît pas la marge d’incertitude sur son besoin au-delà d’un certain horizon. Ainsi prévenu, le prestataire peut mettre en place le dispositif le plus adapté à la connaissance qu’il a du marché. Dans un climat de confiance, c’est-à-dire de faible risque sur la qualité des informations échangées entre le client et le fournisseur, ce dernier peut rendre plus efficients les moyens dédiés à son client, grâce à quoi il pourra lui accorder de meilleurs prix en diminuant la rémunération du risque.

Rechercher l’offre stratégiquement la plus intéressante

En tout premier lieu, l’acheteur doit se faire une idée précise du produit ou de la prestation recherchée, mais aussi des modalités de prestations, de l’offre disponible, de la constitution des principaux fournisseurs et de leurs offres. De nombreux articles disent que l’on sous-traite bien ce que l’on maîtrise. Il ne s’agit pas tant d’une maîtrise technique – car à la limite on pourrait se demander quelle bonne raison on pourrait avoir de confier à l’extérieur quelque chose que l’on se doit de bien connaître en interne – que de la maîtrise de l’offre disponible, des conditions de fournitures, des modèles économiques possibles.

L’acheteur doit se demander dans quelle mesure et à quelle hauteur le fournisseur peut contribuer à la formation de valeur ajoutée et à la maîtrise du risque d’entreprise. De cette réflexion résulte non seulement la définition de l’attente – par exemple a-t-on besoin d’un terminal de point de vente ou d’un service permettant le paiement par carte sans interruption aux heures ouvrées – mais aussi la spécification du risque auquel il faut faire face – qui peut s’énoncer en termes de niveau d’indisponibilité supportable, mais aussi de valeur perdue par incident etc.

L’acheteur doit choisir le mode de recherche de prestataire. L’appel d’offres ouvert est pertinent pour des fournitures et prestations courantes sur catalogue, le dialogue compétitif permet de construire, dans une compétition restreinte, des propositions répondant à une expression de besoin ne préjugeant pas de l’objet et des modalités de prestations. Le processus de négociation, qui ne doit pas être confondu avec le dialogue compétitif, a pour objet de préciser avec un fournisseur déjà identifié les modalités de prestations et bien entendu les prix et pénalités.

L’explicitation des critères de choix permet aux prestataires d’exprimer leur meilleure offre. L’on voit des acheteurs déclarer qu’ils choisiront en toute liberté. Cette posture ne permet ni d’identifier les prestataires les plus pertinents pour une offre, ni de donner à ceux-ci l’occasion de faire une offre adaptée. Les textes relatifs à la commande publique recommandent de favoriser l’offre « économiquement la plus intéressante », dans un contexte général de bon usage des deniers publics. Souvent les acheteurs traduisent ce critère en prix le plus bas, faisant fi des contraintes de coûts internes, d’indisponibilités etc. Les entreprises privées sont plutôt à rechercher l’offre « stratégiquement la plus intéressante », celle qui leur assure le meilleur positionnement dans l’avenir. Sans dévoiler son plan stratégique, l’entreprise acheteuse doit faire connaître les leviers dont elle a besoin pour assurer sa pérennité.

La description du produit ou des services attendus est bien entendu importante, mais elle devrait n’être qu’un point de départ. La contractualisation doit permettre une évolution concertée des prestations, tirant parti du progrès technique et s’adaptant à l’environnement stratégique du client.

Sur la base d’une expression stratégique des besoins, un fournisseur ayant vocation à devenir partenaire saura construire le bouquet de prestation, d’engagement et de prix susceptible de contribuer à la stratégie de l’acheteur en assumant sa part de risque, et pourquoi pas à partager les fruits de la réussite.