En janvier 1993, Sanofi annonce publiquement la fusion-absorption ayant pour cible Yves Saint Laurent. L’opération menée par Sanofi est critiquée à plusieurs égards et elle demeure encore aujourd’hui un cas d’école en termes de destruction de valeur.
Des motivations douteuses et un prix exorbitant
Plusieurs facteurs entrent en compte dans l’échec de de cette opération.
Tout d’abord son coût : Yves Saint Laurent est valorisé à hauteur de 3,6 milliards de francs. Cette somme représente trente fois les bénéfices de Sanofi en 1992 et apparaît désormais comme démesurée. La fusion créé 3,45 millions de nouvelles actions Sanofi remodelant la détention du capital social : post-opération, les actionnaires d’Yves Saint Laurent détenaient 15% du groupe.
Puis ses motivations douteuses : Loïk Le Floch-Prigent, DG de Sanofi et proche de François Mitterrand à l’instar de Pierre Bergé, donne le feu vert au rachat de Yves Saint Laurent suscitant d’emblée des soupçons de « deal politico-économique ». Suspicions confirmées lorsque la Commission des opérations de Bourse rend un rapport au parquet de Paris en 1993 dans lequel elle affirme que Pierre Bergé et Yves Saint Laurent n’avaient pas le droit de vendre de gré à gré un nombre aussi important d’actions, d’autant plus qu’ils étaient informés de la « mauvaise santé de leur entreprise ». Cette opération leur vaudra une amende d’un million de francs pour délit d’initié.
Outre ces éléments et des résultats économiques décevants, la rupture s’explique principalement par des cultures d’entreprise opposées non-appréhendées lors de la phase d’intégration.
Des cultures diamétralement opposées
« Le groupe Sanofi a voulu faire dans la Beauté ce qu’il réalise dans la Santé, jouer de l’effet de taille pour dégager très vite des synergies devant faire exploser les bénéfices. » Christophe Girard, directeur général d’Yves Saint Laurent
Dès l’opération de rachat, le président de Sanofi Beauté, Claude Saujet cherche à fondre les parfums Yves Saint Laurent au sein de la branche Beauté. Pour ce faire, il met en commun la promotion et les cahiers des charges publicitaires. Cette stratégie est accueillie avec froideur par les équipes d’Yves Saint Laurent, habituées aux modes de promotion du secteur luxe. Pierre Bergé et Yves Saint Laurent s’inquiètent d’une détérioration de l’image de marque et obtiennent le départ de Claude Saujet fin 1994.
Les méthodes managériales, axées sur la recherche d’économies, ont du mal à trouver des adeptes au sein de la maison Yves Saint Laurent. La stratégie d’intégration est mal vécue d’autant plus qu’elle s’accompagne d’importantes restructurations. En voulant intégrer Yves Saint Laurent dans Sanofi Beauté sans aucune distinction des autres marques, on a retiré le caractère unique et haut de gamme des parfums de la maison de couture parisienne.
En 1999, Sanofi Beauté est cédée au groupe Gucci pour 1 milliard de dollars, la fusion aura seulement duré six ans. Dès lors, l’acquisition d’Yves Saint Laurent par Gucci, qui sera ensuite partie intégrante du groupe Kering est plus logique : le groupe italien bénéficie d’un positionnement intéressant dans le secteur du luxe et partageait avec la maison de couture française une culture d’entreprise similaire.
Cet article est le dernier d’une série de trois ayant pour thématique les opérations de croissance externe et leur phase d’intégration.