Les mouvements d’externalisation sont nés avec la mondialisation, il y a plusieurs dizaines d’années. Ils étaient tirés par une volonté d’optimiser les coûts en profitant du différentiel de salaires, notamment sur les emplois peu qualifiés, mais aussi une volonté de conquérir les marchés émergents. Mais de nouveaux phénomènes viennent brouiller la frontière entre le dedans et le dehors de l’entreprise.

Les frontières floues de l’entreprise : du « Make or buy » à la plateforme

Délocalisations et relocalisations

Les mouvements de délocalisation restent nombreux mais la nouvelle donne économique conduit également à un mouvement de « relocalisations. » D’après le rapport datant de 2013 du Pôle Interministériel de Prospective et d’Anticipation des Mutations Economiques, et intitulé « Relocalisations d’activités industrielles en France », ce mouvement n’a pas encore le caractère massif des délocalisations mais il est qualifié de prometteur. Ce rapport identifie 5 logiques économiques conduisant aux relocalisations :

  • Des logiques d’optimisations de la production dans le cadre de nouveaux projets (malheureusement pas les plus fréquentes en France)
  • Des logiques de repositionnement dans la chaîne de valeur, de révision de la « chaîne de réactivité » qui font écho aux nouvelles pratiques que nous évoquons de la Révolution Industrielle Numérique : moindre taille des séries, capacité à personnaliser les produits ou services, délais d’approvisionnement, temps de réaction et réassort, traitement des incidents et imprévus, etc.
  • Des logiques corollaires de sécurisation d’un écosystème local de partenaires ou sous-traitants à haute valeur ajoutée.
  • Des logiques de valorisation et de communication : recherche d’une qualification « made in France » ou inscription dans des valeurs écoresponsables favorisant les circuits courts.
  • Des logiques de coûts : le rattrapage salarial des pays émergeant, les mouvements monétaires, les coûts cachés liés à la délocalisation peuvent conduire à rapatrier l’appareil productif

Il est courant désormais que des entreprises décident de réinternaliser des compétences jugées clés (notamment dans le domaine des nouvelles technologies) pour développer leur avantage concurrentiel et gagner en réactivité.

Dans le cadre de notre étude sur la Révolution Industrielle Numérique, nous avons donc interrogé les salariés de notre panel sur ces questions. Nous leur avons tout d’abord demandé si leur entreprise délocalise une partie de ses activités ou métiers. La réponse est positive pour 37% des salariés interrogés

  • La proportion est plus forte dans les secteurs de l’information et des communications (57%), ou de l’industrie (46%) et dans les entreprises de plus de 1000 salariés
  • La proportion est moins forte dans les services (33%), l’administration publique (19%) et dans les PME de moins de 100 salariés (27% tout de même)

Nous leur avons ensuite demandé s’ils pensent qu’il y aura plus de délocalisations ou de relocalisations dans les années à venir. Il est très intéressant de constater que dans leur perception, les relocalisations vont l’emporter sur les délocalisations, y compris au niveau de leur propre entreprise :

Perception des délocalisations et relocalisations

Remise en question du salariat

Au-delà de la mondialisation et de la crise, d’autres phénomènes viennent battre en brèche la culture du travail à vie dans l’entreprise. Notamment, le CDI n’est plus le modèle indépassable de relation entre une entreprise et ses collaborateurs. Pour effectuer l’ensemble des activités de leur chaîne de valeur, les entreprises ont pris l’habitude de sous-traiter certaines activités, d’en confier d’autres à des intérimaires ou à des collaborateurs en CDD. Parce que les processus se reconfigurent plus souvent et plus rapidement, ces formes plus souples se sont développées. Et le phénomène majeur est la montée en puissance des travailleurs indépendants. Ce phénomène est très marqué aux Etats-Unis, avec déjà plus du tiers de la force de travail qui est sous ce statut. En Europe, la moyenne ne se situe encore qu’à 15% selon une étude INSEE de 2015 (et 8% pour la France). Mais depuis l’an 2000, le nombre d’indépendants a quasiment doublé dans notre pays, l’une des plus fortes progressions du continent (en partie aidée il est vrai par le statut d’autoentrepreneur).

Personne n’imagine une disparition totale des emplois salariés tels que nous les connaissons aujourd’hui. En revanche, on peut prédire une répartition plus équilibrée des différents types de travailleurs. Et les nouveaux emplois seront majoritairement créés dans des structures de petite taille.

Entreprise étendue et plateforme

Le brouillage entre la frontière du dedans et du dehors de l’entreprise dépasse la notion de salariat ou de sous-traitance. On parle de plus en plus d’entreprises étendues pour rendre compte de l’idée que les projets menés, les services rendus aux clients, sont de plus en plus mis en œuvre avec des partenaires, dans un mode collaboratif qui n’est plus nécessairement une relation client-fournisseur.

La notion de coopétition montre que la coopération peut même parfois s’établir entre concurrents. On peut citer par exemple Sony et Samsung qui s’étaient alliés en 2003 pour la conquête du marché du téléviseur LCD, ou Renault et Daimler qui offrent une architecture commune pour la Smart et la Twingo.

Comprenant que les meilleures idées innovantes ne viennent pas nécessairement de leur organisation interne, de nombreuses entreprises se tournent vers des processus d’innovation ouverte (« open innovation »), tout comme le monde académique. Ce terme désigne un mode d’innovation s’appuyant sur le partage, la collaboration entre différentes parties prenantes (partenaires, fournisseurs, clients,…). Elle s’accompagne souvent de l’ouverture des données et des licences pour créer les conditions de démultiplication des innovations. On voit de plus en plus d’entreprises organiser des « hackatons » pour résoudre des problèmes de constructions d’applications.

Les démarches de Crowdsourcing se font plus nombreuses. L’exemple de Lego et désormais célèbre. Passée près de la faillite à la fin des années 1990, l’entreprise a su se réinventer et rebondir, notamment en s’appuyant sur ses clients : création d’un réseau social dédié aux enfants et aux briques LEGO, ciblage de jeunes adultes avec la gamme LEGO Mindstorms, équipés d’un ensemble de capteurs, programmable par ordinateur. Ceux-ci se sont fait hacker par des utilisateurs avertis désireux de customiser leurs jouets. L’entreprise a laissé faire, profitant ainsi d’une forme de Crowdsourcing innovant. Allant plus loin, elle a mis à disposition le logiciel LEGO Factory permettant au client de designer son propre « jouet » puis de le commander.

Une stratégie de conquête peut consister à se positionner comme une plateforme. Dans leur livre « l’âge de la multitude », MM. Colin & Verdier parlent d’organiser la sur-traitance, désignant comme sur-traitants les acteurs qui « s’emparent des ressources mises à disposition par une plateforme pour refaire le service qu’elle rend, et, le cas échéant, le combiner à d’autres. » L’exemple le plus parlant est l’invention par Apple de l’Appstore qui a permis aux développeurs du monde entier d’inventer des applications pour l’I-Phone et a contribué ainsi à populariser les Smartphones.

En synthèse

  • Les nouveaux modèles de valeur ont tendance à favoriser les petites séries et les circuits courts, ce qui rend plus crédible des scénarios d’écosystèmes de production locaux, et interconnectés
  • L’analyse stratégique classique reste un bon outil pour déterminer, dans ces nouveaux contextes, les fonctions à internaliser ou à externaliser
  • Les paradigmes stratégiques classiques restent vrais : il faut internaliser les compétences clés correspondant à la proposition de valeur de l’entreprise et recourir aux savoir-faire externes pour le reste, sachant que les possibilités d’accès et d’interaction avec l’écosystème sont démultipliées

 

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