Le numérique rééquilibre l’accès à l’information entre tous au sein de l’entreprise. En cela, il fait évoluer le rapport entre le corps social de l’entreprise et son management et facilite la délégation de tâches par les managers.
Le manque de délégation se matérialise de manière différente en fonction du contexte de l’entreprise
Dans les grandes entreprises, les managers intermédiaires et responsables d’unités d’affaire assistent généralement à la grande majorité des réunions qui relèvent de leur périmètre fonctionnel. Il s’agit majoritairement de réunions d’information au cours desquelles il n’y a pas de prise de décision majeure. Leur présence est toutefois nécessaire car ils sont les seuls à avoir accès aux informations contextuelles permettant de comprendre les enjeux.
Dans les PME, les membres du comité de direction centralisent généralement un nombre important de tâches techniques, opérationnelles et support.
Les situations qui en résultent peuvent surprendre. En voici quelques-une tirées de notre expérience :
- un Directeur des Systèmes d’Information qui organise lui même la reprise des téléphones portables défaillants des commerciaux ;
- un Directeur Général qui évalue les stocks de matière première et passe lui-même les commandes aux fournisseurs ;
- un Responsable des Systèmes d’Information qui développe l’outil informatique de suivi des commandes car il est le seul à maîtriser le langage informatique.
En plus de consommer du temps, le manque de délégation renforce la solitude du dirigeant d’entreprise. Dans les PME, il n’est pas rare que les membres du comité de direction aient chacun leur domaine de compétences à l’exclusion du reste de l’entreprise. Ils se retrouvent ainsi souvent seuls au moment de décider.
Pour les fondateurs de startups, un des enjeux de la croissance est de passer du focus sur le développement produit à une posture de chef d’entreprise qui nécessite une vision globale. Les fondateurs assument souvent seuls le développement de la première version du produit. Lorsque la startup a trouvé son marché, l’équipe s’élargit et les fondateurs doivent évoluer vers un rôle de management plus transversal. Ce passage s’avère souvent difficile, au point de mettre les startups en danger. L’une des raisons souvent évoquées est la difficulté rencontrée par les fondateurs dans la délégation du développement produit.
Dans toutes ces entreprises, en plus des risques psychosociaux engendrés par le manque de délégation managériale, le management se retrouve accaparé par des tâches à court-terme là où il devrait allouer du temps à la vision à moyen ou long-terme (quelles sont les transformations à anticiper ? Comment innover dans les produits et les processus ? Comment évoluent les besoins des clients ? etc.)
L’impact du numérique
Un des freins à la délégation est le temps conséquent à consacrer à la formation initiale sur la tâche à transmettre (le temps d’expliquer comment faire, j’aurai déjà fini). Ce temps de transmission important est lié à la méconnaissance du sujet par le subordonné. Le manager doit alors endosser un rôle de formateur avant de pouvoir espérer déléguer la tâche.
C’est cette formation qui consomme un temps important au manager et donne l’impression qu’il ne sera pas possible de transmettre la tâche.
L’accès pour tous à la connaissance (qu’il s’agisse d’acquisition des compétences ou de d’accès aux données internes ou externes nécessaires à la compréhension d’un contexte) permet aujourd’hui à chacun de prétendre à de nouvelles tâches.
La transmission à une ressource ayant déjà acquis par elle-même des connaissances générales sur un sujet donné ne présente plus la même difficulté. Le manager peut alors se concentrer sur les spécificités liées au contexte de l’entreprise.
Cet accès à la connaissance si fastidieux hier, devient beaucoup plus simple avec le numérique :
- Internet permet en quelques clics de trouver un tutoriel permettant d’intégrer les notions de base sur la grande majorité des sujets ;
- les MOOCs donnent accès à l’enseignement des meilleures écoles et universités mondiales pour développer des compétences techniques de pointe sur un sujet précis ;
- les outils de Knowledge Management permettent le partage des compétences spécifiques développées à l’intérieur de l’entreprise ;
- enfin les outils collaboratifs permettent de partager instantanément avec les acteurs impliqués les données nécessaires à la compréhension du contexte.
Le second frein évoqué est la crainte d’effet tunnel et le temps plus important que risque de prendre la complétion de la tâche déléguée. Le manager craint de perdre de la visibilité et doute de la qualité du travail fourni (ca ne sera jamais aussi bien fait que si je m’en occupais moi-même). Les outils collaboratifs permettent au manager d’avoir une vision temps réel de l’avancement des travaux en cours. Il peut ainsi avoir une vision de l’avancement et de la qualité du travail à tout moment.
Quelle évolution pour le manager ?
En déléguant une partie de ses tâches opérationnelles, le manager évolue vers un rôle de contrôle et de validation du travail effectué qui consomme moins de temps. Il se recentre sur les tâches stratégiques et sur l’évolution de l’entreprise à moyen ou long terme (stratégie de développement, budget, accompagnement humain et social, recrutement, transformation de l’entreprise, innovation, veille, etc.)
Une plus grande délégation permet également au dirigeant de recevoir plusieurs avis avant de prendre une décision. Cela permet d’utiliser l’intelligence collective pour bien décider, tout en ayant la vertu d’associer le corps social de l’entreprise à la prise de décision.
Quelle évolution pour les ressources de l’entreprise ?
Une plus grande délégation de tâches permet aux ressources de l’entreprise d’envisager leur travail sous un nouvel angle. Le passage d’une activité rythmée par un nombre réduit de tâches à un travail intégrant des activités transverses permet d’acquérir une vision plus globale de l’entreprise et d’interagir avec des interlocuteurs plus variés. Les ressources deviennent alors des acteurs à part entière du développement de l’entreprise et s’y identifient de manière plus forte.
L’appropriation par tous du projet de l’entreprise permet de faire évoluer celle-ci vers un modèle holomorphe, dans lequel chacun est porteur de l’image de l’entreprise.
Ces nouvelles tâches permettent également aux ressources de développer leur champ de compétences. Le capital connaissance de l’entreprise s’enrichit et la dépendance à quelques sachants diminue.
Quel impact sur la gouvernance des entreprises ?
En déléguant les tâches et les responsabilités, les managers et dirigeants d’entreprise font naturellement évoluer la structure de gouvernance de l’entreprise.
Il n’est en effet pas obligatoire de déléguer une tâche à un subordonné direct. Un manager peut ainsi travailler sur un sujet donné avec une ou plusieurs ressources dont il n’est pas le supérieur hiérarchique, favorisant ainsi les affinités avec le sujet et permettant un éclairage croisé.
L’organisation taylorienne de l’entreprise est donc remise en question. Le modèle de gouvernance hiérarchique unique est remplacé par des structures de gouvernances indépendantes en fonction des sujets.
Un exemple éprouvé de délégation croisée est la présence de relais de la DSI dans les différents métiers de l’entreprise. En parallèle de leur fonction opérationnelle, ces interlocuteurs jouent le rôle de premier support en cas de difficulté d’utilisation d’un outil informatique par un collaborateur. Ils remontent ces sujets directement à la DSI et non à leur responsable hiérarchique direct.
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