Dans notre étude sur la Révolution Industrielle Numérique, nous avions posé quelques hypothèses sur les conséquences de la quête d’agilité des entreprises d’aujourd’hui et les avions testées auprès de notre panel de salarié. Toutes les idées reçues ne résistent pas à l’étude.

Radioscopie en 5 points clés des caractéristiques « agiles » de nos entreprises

1. La technologie, comme la philosophie managériale dominante, poussent à la collaboration.

La culture agile, et les possibilités offertes par les nouvelles technologies tendent à « casser les silos, » à favoriser le partage d’information, la transparence, les interconnexions. Sans trop de surprises, même si les freins culturels ne sont pas à négliger, notre étude fait ressortir que la collaboration entre services s’améliore pour une majorité d’entreprises :

graph tendance collaboration

2. On ne va pas nécessairement vers des unités opérationnelles de plus petite taille

On pourrait poser l’hypothèse que des entités de plus petites tailles sont plus efficaces ou plus agiles. Nous avons donc demandé aux salariés de notre étude la tendance d’évolution de la taille des entités opérationnelles de leurs entreprises. En réalité, il ne ressort pas de résultat probant sur ce thème : les augmentations sont en nombre comparable aux diminutions, et la majorité n’évolue pas.

3. Les couches hiérarchiques n’ont pas majoritairement tendance à diminuer

Les fonctionnements plus « Lean » ou plus « agiles » ont tendance à « aplatir les pyramides ». Cela ne signifie pas la disparition du middle-management, mais, en théorie, la diminution du nombre de couches entre la Direction et les équipes opérationnelles, et la diminution des fonctions de contrôle, au profit de l’auto-organisation et de la connexion entre unités opérationnelles. Malheureusement, la tendance actuelle ne va pas a priori dans ce sens pour les salariés français :

graph couches hierarchiques

Ce résultat peut par hypothèse s’expliquer par le voyage unitaire que vit chaque entreprise et qu’observent donc ses salariés :

  • En phase d’émergence du marché, l’entreprise « start-up » est par définition très ramassée
  • En phase de croissance, de nouveaux besoins émergent, l’entreprise s’agrandit, des besoins nouveaux de coordination, des nouvelles fonctions apparaissent et des strates se rajoutent
  • En phase de maturité, l’optimum peut être atteint. Mais dans cette phase, la tendance des actionnaires est plutôt à la mise sous contrôle de l’appareil productif. Selon la vision des dirigeants, cela peut se faire en rajoutant des fonctions centrales de contrôle ou en bien en re-diminuant la voilure

Ainsi, pour les entreprises qui naissent aujourd’hui, la question des surcouches ne se poserait pas encore car elles naissent maigres. Mais pour celles qui atteignent leur première crise de croissance, ou celles qui sont historiquement régies par une culture plus taylorisée, le sentiment d’inflation de la « technostructure » peut prédominer.

Sur ce sujet, attention à deux pièges symétriques :

  • Penser qu’il suffit d’enlever des chefs pour que tout aille mieux est par trop simpliste
  • Mais à l’inverse, rajouter un échelon à l’apparition des difficultés est un réflexe courant mais dangereux : souvent le chef supplémentaire rajoute plus de complexité qu’il n’en enlève, et son arrivée ne règle pas nécessairement les causes profondes des problèmes

4. Qu’on le veuille ou non, nos entreprises aiment les chiffres

71% des salariés considèrent que leur entreprise crée de plus en plus d’indicateurs de mesure et de pilotage de l’activité. Et parmi ceux-ci, les managers concernées considèrent à 74% que c’est une bonne chose !

Notre hypothèse par rapport à ces résultats est double :

  • D’une part, il peut y avoir un sentiment de maîtrise faussement rassurant à disposer d’une batterie de chiffres, sentiment dont les managers devraient se méfier (tous les descendants de Deming savent que le management uniquement par objectifs chiffrés est contre-productif)
  • Mais d’autre part, les instruments de mesure offrent aujourd’hui des capacités d’identification de problèmes et d’analyse de leurs causes profondes qui étaient sans équivalent jusqu’ici, et qui peuvent alimenter une dynamique d’amélioration continue

En synthèse, le monde actuel ne prend pas le chemin d’une « dé-quantification » mais plutôt d’une hyper-quantification. La capacité à maîtriser les indicateurs et leurs limites, et à prendre le recul nécessaire par rapport aux chiffres est donc de plus en plus importante. Et la capacité à oublier les chiffres deux minutes pour parler les yeux dans les yeux avec un collaborateur aussi !

5. Les systèmes de rémunération privilégient plutôt les réflexes collectifs

De nombreuses entreprises introduisent une part variable dans la rémunération de leurs salariés. Et plus les outils de mesure disponibles sont sophistiqués, plus la tentation est grande de les utiliser pour asseoir une partie de la rémunération des collaborateurs dessus. Sans remonter une fois encore jusqu’à Deming, il existe pourtant une littérature abondante sur les effets pervers potentiels des mécanismes incitatifs mis en place par les entreprises. La meilleure synthèse est peut-être celle de Maya Beauvallet dans son livre Les stratégies absurdes, paru au Seuil en 2009.

Notre hypothèse était que la volonté majoritaire des entreprises à « casser les silos » et encourager la collaboration entre les individus et les services devait se retrouver dans les modèles de rémunérations mis en place. Il nous semblait qu’au moins une partie de la rémunération variable (lorsqu’il en existe une) devait s’appuyer sur la performance collective de l’entreprise ou de l’équipe.

Nous avons donc interrogé notre panel de salariés sur leur modèle de rémunération et nous avons constaté que les systèmes qui s’appuient sur la seule performance individuelle sont effectivement très minoritaires.

graph remuneration

A noter, sans surprise, que les cadres sont proportionnellement plus nombreux à disposer d’un mécanisme de valorisation de la performance en général, et de valorisation de la performance individuelle en particulier.

Sur ce sujet, à retenir :

  • On ne peut pas réformer le modèle de fonctionnement d’une entreprise sans réinterroger son modèle RH
  • Les mécanismes d’incitations (qu’ils soient individuels ou collectifs) ne sont pas systématiquement néfastes, mais il est indispensable de prendre conscience de leurs effets pervers potentiels et de les manier avec précautions
  • Toutes les études psychologiques montrent en effet que la « motivation intrinsèque » (celle qui s’appuie sur les valeurs et motivations profondes de la personne) est toujours plus efficace que la « motivation extrinsèque » (celle qui découle des mécanismes de récompense ou de punition) mais qu’elle peut diminuer avec la mise en place de mécanismes incitatifs