La startup Akoustic Arts a développé une enceinte de son directionnel pour le marché BtoB. Cela signifie concrètement que la personne entend le son lorsqu’elle est dans la bulle de son mais lorsqu’elle est juste à côté, elle n’entend rien. Fondée en 2010, Akoustic Arts est l’entreprise qui maitrise le mieux cette technologie au monde. Les cas d’usage de cette enceinte directionnelle sont nombreux, pour les grandes enseignes notamment. Nous avons réalisé un entretien avec le fondateur et CEO Ilan Kaddouch, dans les locaux au Cargo dans le 19ème arrondissement de Paris.
D’où est venue votre idée ?
Au départ du fait de ma formation et mes activités, j’étais compositeur-musicien, pianiste classique jazz musique contemporaine et je travaillais sur des installations sonores. Dans ce contexte, il y a souvent des problématiques qui se posent : est-ce qu’on peut diffuser des contenus sonores différents dans la même pièce pour pouvoir designer une expérience sonore plus spatiale ?
Parallèlement, vers 2006, j’ai découvert en lisant des revues scientifiques le principe de son directionnel. Avec ces 2 éléments, je me suis passionné pour le principe de canalisation de la propagation du son dans l’espace. Concrètement, c’est un tunnel ou un faisceau de son qui se crée et lorsqu’on sort de cette bulle de son, on n’entend plus rien. J’ai donc commencé à m’intéresser à ce sujet. En 2006, j’ai 26 ans et je suis musicien.
Au départ, vers 2008, je suis donc allé voir quelques jours un docteur en acoustique au MIT à Boston, pour parler de ces questions. Le chercheur avait développé une première enceinte à son directionnel. J’ai pu tester le produit, poser des questions. Ce premier produit était vraiment impressionnant, tout d’abord car je découvrais le principe en grandeur nature. J’ai aussi découvert toutes les limites car c’étaient les premières versions, des produits pas aboutis qui faisaient des gazouillis dans l’air. C’était très loin d’être optimal et la machine était de grosse taille.
A la suite de cette rencontre, j’ai continué mes investigations en France. J’ai montré un produit que j’avais ramené des Etats-Unis à des chercheurs qui faisaient de l’acoustique à l’Institut Langevin à Paris pour qu’ils me donnent leur avis. Ils trouvaient que le son était ultra faible, quasiment pas audible. Malgré tous ces problèmes, je me disais que c’était intéressant pour faire des installations aventureuses, pour créer des environnements sonores complexes avec des zones de son.
Une des premières expériences que j’ai faites étaient un parcours sonore entièrement dans le noir où l’on se dirigeait grâce aux différents faisceaux de son.
A quel moment avez-vous voulu monter votre entreprise ?
Je me dis que personne ne connait cette technologie et qu’en l’état c’était compliqué à utiliser car le concept n’était pas abouti. Ce n’était donc pas encore possible de le développer dans l’espace public pour réaliser des installations plus fonctionnelles. Il y avait donc quelque chose à faire, à tenter.

L’enceinte produite depuis 2019 est un carré et la zone d’émission du son, un hexagone.
Je crée la boite et lance le projet en 2010. Au départ, je n’ai pas d’expérience dans le commerce, je dois apprendre les rudiments de ce qu’est une entreprise. Je recrute des ingénieurs et docteurs pour travailler sur le sujet, on est 4 au début. Le début n’est pas simple, on tâtonne car la technologie est très complexe. Dans les recherches, on a découvert de nombreux problèmes en acoustique et en électronique notamment. On a réalisé beaucoup de prototypes jusqu’en 2017.
Côté finance, on était aidé par la Banque publique d’investissement (BPI) et on réalisait aussi beaucoup de prestations de service pour des départements R&D de grands groupes sur de multiples sujets comme le traitement de signal.
En 2017, on pense que nos prototypes sont assez aboutis et on produit plusieurs centaines de pièces avec des entreprises d’Île-de-France. L’objectif était de se confronter à l’industrialisation et au marché. A cette époque, j’imagine déjà le marché des espaces publics parce que le besoin est simple. Quand je parle d’espace public, nous identifions 3 lieux différents : point de vente, point de transport, point d’attente. C’est un espace ouvert où on ne peut pas diffuser du son sinon on pollue tout l’espace. La conséquence est que le son des écrans est muet, il n’y a pas de retour sonore. Développer un faisceau sonore comporte donc un fort intérêt.
On a vendu cette première production en 2017 assez facilement. Le prototype répondait au besoin sur pas mal de points. Le niveau sonore était plus fort que les 2 premiers prototypes développés par les Américains, l’appareil était 4 à 5 fois plus petit en taille. On a aussi identifié ce qui n’allait pas.
Au même moment, on travaillait beaucoup avec le secteur de l’automobile. Le secteur était intéressé pour diffuser des sons différents pour les personnes d’une même voiture.
Où en est l’entreprise actuellement ?
En 2018, on a voulu réaliser une levée de fond pour développer un produit plus abouti et adresser nos marchés : les espaces publics et l’industrie automobile.
On a réalisé une levée de fond en juillet 2018 en faisant rentrer 2 actionnaires :
Newfund : le fond d’investissement était la garantie d’avoir une vision généraliste
Le groupe Renault (via son véhicule d’investissement). En parallèle de l’investissement de Renault, on a signé avec eux un contrat commercial qui définit le mode de fonctionnement sur le marché automobile. Pour nous c’est un avantage important car le marché automobile est très complexe. Je ne me voyais développer un produit automobile tout seul et le sortir de manière autonome. On est donc en train de travailler sur l’adaptation de notre technologie au marché automobile
A la suite de cette levée, plusieurs enjeux se sont posés :
- Un enjeu de recrutement : on était 6 en juillet 2018 puis une vingtaine 4 mois après
- Un enjeu sur le produit : en faisant entrer de nouvelles connaissances, on a réalisé des changements et amélioré le produit notamment au niveau électronique (partie hardware et software). Concernant la partie acoustique, on a développé des outils de simulation, de prédiction, de modélisation et des outils qui permettent de traiter le signal pour qu’il soit bien adapté au produit. A présent, nous sommes l’entreprise au monde qui maitrisons le mieux le sujet aujourd’hui
Après une année de travail avec cette équipe, nous avons sorti en 2019 un produit à l’usage du marché BtoB pour les espaces publics et avec comme cible principale les points de vente, car le modèle est réplicable dans tous les magasins. Il n’y a pas de vente directe, on a choisi un modèle de vente indirecte par réseau de distribution.
Quels sont les cas d’usage que vous avez développés ?
On peut citer plusieurs exemples :
Plusieurs concepts ont été développés avec une agence dans des points de vente chez Orange où les premiers retours sont concluants :
- Une expérience immersive dans une zone sport avec un vélo avec un écran où il est possible de choisir le son d’ambiance (plage, montagne…). Le client est en immersion sans déranger les autres personnes
- L’espace d’attente a aussi été sonorisé avec des podcasts d’actualité
Pour les fêtes de fin d’année, à Gare de Lyon, une installation Samsung a été déployée sur la gamme de produit Galaxy quelques jours : une bulle de son géante a été créée et quand les usagers passaient sous la bulle, ils entendaient le son de la vidéo en plus de l’image
Dans les transports à un arrêt de métro à Lyon (Charpennes) : le faisceau de son permet de répondre à des problématiques de sécurité. Une barrière de son est créée sur le bord du quai. Lorsque le métro arrive, si une personne s’avance trop, elle entre dans la barrière de son qui lui dit qu’il faut qu’elle recule. Seule cette personne entend le son, ce qui permet de ne pas affoler les autres personnes qui sont sur le quai.
Quelles sont les prochaines étapes envisagées ?
On souhaite installer le produit dans notre marché et trouver le cas d’usage le plus répétable. Ce développement commercial est réalisé en collaboration avec une dizaine de distributeurs dans plusieurs pays européens en plus de la France : Royaume-Uni, Allemagne, Belgique et Espagne.
En parallèle, on continue à développer la technologie pour l’adapter au marché automobile pour sortir un produit le plus tôt possible.
Quel apport personnel et partage d’expérience en tirez-vous ?
C’est un sujet qui me passionnait et l’idée de l’entreprise est venue après. L’apport personnel est la base du projet, je voulais aller plus loin dans cette technologie, la découvrir en profondeur. J’étais intéressé par la dimension technique comme creuser la dimension acoustique et aussi trouver des applications utiles pour les introduire sur le marché. Ce qui me plait également beaucoup est de trouver des fonctions autres qu’artistiques au son.
Quels conseils donnez-vous à ceux qui ont envie de se lancer dans l’entrepreneuriat ?
Je n’ai sûrement pas de conseil à donner, l’entreprenariat est l’expérience de chacun. Tous les business sont différents, toutes les histoires de personnes sont différentes, on ne recherche pas les mêmes choses dans une expérience entrepreneuriale. Certains sont là pour une expérience technique, d’autres plus business.