Dans le cadre de nos interview entrepreneurs, nous avons rencontré Christophe Le Houédec co-fondateur en 2017, avec François Misslin, de la startup Ayolab. Cette solution SaaS BtoB fournit des données, des retail analytics, à des marques dans différents secteurs : beauté, mode, automobile… La startup est hébergée dans l’espace L’Oréal de Station F depuis janvier 2020. La proposition de valeur est d’utiliser une combinaison de données publiques et d’algorithmes propriétaires pour que les marques améliorent leurs ventes et distribution en ligne.
Ayolab : fournir de la donnée aux marques pour améliorer leurs ventes en ligne
Au départ, comment as-tu identifié la problématique d’améliorer les ventes en ligne des marques ?
Je ne l’ai pas identifiée au départ. Je suis parti avec une idée différente qui n’était pas la bonne. Je sortais d’Amazon, je cherchais ce que j’allais faire. J’ai eu une idée de startup en 2017 : fournir des benchmarks à des acteurs du e-commerce. J’en parle avec des personnes autour de moi, ils me disent si vous voulez développer ce service, nous, on achète. Je démarre avec deux clients internationaux pour faire des benchmarks robotisés.
Je rencontre alors François Misslin, maintenant le CTO d’Ayolab, il revenait de San Francisco et était disponible pour développer un prototype. Comme on avait déjà des clients, la banque est d’accord pour nous suivre. On mène un premier pilote sur le marché en février 2018 et je me rends compte très vite qu’il n’y a pas de marché. Certes, j’ai deux clients mais il n’y en a pas d’autres intéressés.
Je suis dans une situation où je me suis endetté, je n’ai plus de boulot et je n’ai pas de marché, donc ce n’est pas terrible. Une personne de mon entourage que je connais depuis plus de 20 ans, directeur financier d’un grand groupe de cosmétique, me dit : « On a un problème ce sont les ventes non-autorisées sur le web, c’est-à-dire comprendre les canaux de distribution. » On se rend compte avec François que l’on peut recycler la technologie mise en place pour le premier pilote pour faire un outil de suivi de qui vend quoi sur le web.
On comprend qu’il y a beaucoup plus d’intérêt et on signe un premier contrat avec Coty (cosmétique), puis avec d’autres acteurs. On remarque une attraction et c’est comme cela que la boite a démarré. La première version de ce que l’on fait existe depuis mi-2018.
Si je reviens à la question de départ et si je devais exagérer, je dirais que je n’ai pas eu l’idée, je n’ai pas eu de technologie (c’est François qui l’a développée). Je veux mettre à mal l’idée du créateur d’entreprise qui arrive avec une vision, qui sait ce qu’il veut faire et comment le faire. Ce n’est pas notre histoire.
Comment fonctionne le service ?
On réalise du scraping. Au fil du temps, on est sur une approche make and buy :
- “Make” : on collecte des données nous-mêmes avec des robots
- “Buy” : il y a de plus en plus de données non-structurées que l’on achète
Dans certains cas, cela fait sens de développer notre robot de scraping mais pas tout le temps. On est agnostique par rapport à la source de données. Même si on achète de la donnée, on l’enrichit pour pouvoir l’exploiter.
Quels sont les cas d’usage ?
Pour donner un exemple : les pièces de rechange dans l’automobile en Russie. A partir de données, l’équipe technique a développé une approche algorithmique pour retrouver toutes les pièces techniquement compatibles. On a pu démontrer à notre client que le marché était chamboulé par un océan de pièces techniquement compatibles. Donc la compétition n’existe pas uniquement avec les pièces d’une certaine marque de constructeur, mais avec un ensemble beaucoup plus vaste de les pièces substituables. Cela montre une vision du segment de marché complètement différente. Cette donnée est importante pour un constructeur automobile pour qu’il puisse savoir dans quel environnement concurrentiel il se situe.
Pour d’autres grands groupes comme dans le secteur du cosmétique, le cas d’usage est différent. Ils signent des accords commerciaux avec des géants du e-commerce comme Amazon. Dans ces accords commerciaux, il y a des contreparties commerciales (confidentielles). On va s’assurer que ces contreparties sont respectées avec la technologie. Par exemple, on va vérifier la bonne allocation des investissements publicitaires. En effet, la marque va investir de la publicité dans certaines pages Amazon, on va vérifier que ces dépenses publicitaires sont au bon endroit.
En général, les entreprises se demandent :
- Comment piloter les canaux de distribution ?
- Avec qui je négocie des accords commerciaux ?
- Qui, où et comment j’autorise à vendre mes produits ?
A partir d’une idée de départ, on a développé différents cas d’usage. On s’adapte aux besoins des marques. On a une boite à outils générale et on se sert de certains en fonction du client, du secteur.
Où en est l’entreprise aujourd’hui dans un contexte actuel compliqué ?
Les marques ont de plus en plus besoin d’aller sur le net, comme le démontre la crise de la Covid, avec des problématiques d’accords commerciaux avec les retailers comme Amazon. Ce phénomène est porteur pour nous car on peut utiliser notre technologie pour aider des marques à traiter ces problématiques. Elles augmentent alors leur vente en ligne.
Aujourd’hui, on travaille avec de multiples secteurs : le cosmétique (Coty, L’Oréal), la mode (Balenciaga, Lacoste) le bricolage (Leroy Merlin), l’automobile (Renault). Les problématiques sont au-delà du secteur du luxe. On a des contrats à l’échelle internationale : Allemagne, Royaume-Uni, Etats-Unis, Espagne, Italie, Scandinavie, Russie, Inde, Chine. On accède à nos clients presque exclusivement par notre réseau.
Dans la société, actuellement, on est 11 à Paris, et une quinzaine avec nos prestataires en Arménie, en Ukraine et au Chili avec qui nos relations sont très bonnes depuis 3 ans. Pour nous, c’est important d’avoir des relations dans la durée.
La première augmentation de capital date de mars 2019 via un business angel avec Romain Nicoli, un ancien des Mines et co-fondateurs de Criteo. La BPI a alors complété avec un prêt. Le fond d’investissement Kima de Xaviel Niel a aussi investi. Même si le contexte est très volatile, je reste optimiste.
Depuis janvier 2020, on est hébergé dans l’espace L’Oréal de Station F. En juin 2019, on a participé à un événement dans l’accélérateur Lafayette Plug and Play. J’ai présenté ce qu’on l’on sait faire à des membres de L’Oréal. Dans l’immédiat on n’est pas recontacté. Cependant, près de 6 mois après, en novembre, L’Oréal m’appelle pour nous dire qu’ils veulent faire un pilote. Trois semaines après, on présentait le pilote au patron de L’Oréal France. Le pilote a été concluant, ils nous ont demandé de postuler au programme mondial d’accélération de startup et on a pu avoir notre place à Station F en janvier 2020. Avec la crise de la Covid, la durée de l’hébergement gratuit à été étendue de 6 à 12 mois jusqu’à décembre 2020.

STATION F ©Patrick TOURNEBOEUF/TENDANCE FLOUE
Les suites du développement ?
Notre enjeu à présent est de faire entrer de nouveaux investisseurs même si le contexte est hostile avec la crise de la Covid. Néanmoins, en France, on a beaucoup de chance d’avoir un soutien important avec la BPI, le PGE. Il y a un écosystème très présent pour des structures comme la nôtre. On a pu garder l’effectif inchangé et continuer à innover dans la R&D.
On souhaite également obtenir davantage de contrats récurrents par rapport à des contrats courts en capitalisant sur nos services et notre connaissance du marché.
On a aussi appris une bonne nouvelle récemment, on a été retenu dans le top 30 des startups sur les 1000 de Station F. A partir de janvier 2021, on a donc le droit de rester en payant un loyer relativement modique de 350€/poste/mois.
Quel apport personnel et partage d’expérience tires-tu de cette aventure ?
D’une part, je ne le fais pas pour l’argent. Si on veut devenir riche, il faut mieux faire autre chose car la probabilité de réussir est très incertaine. Je l’ai fait pour donner vie à un projet, créer une technologie, créer un service, être confronté à des idées d’actualité dans un secteur qui m’intéresse depuis longtemps en étant au contact des grandes entreprises comme L’Oréal ou Leroy Merlin. Être au coeur de la turbine me plaît.
Créer une équipe, recruter des personnes, créer un collectif sont aussi des éléments importants pour moi. Il y a d’ailleurs quelque chose que je veux mettre en avant. Chez nous, tous les salariés sont actionnaires : à l’embauche, ils ont l’équivalent de stock-options qui leur permettent d’acquérir sur une période de 3 ans, des actions à prix préférentiel. C’est un moyen pour les salariés de faire grandir leur patrimoine à travers la valeur de l’entreprise. Il y a beaucoup de transparence dans l’entreprise sur tous les sujets technologiques, commerciaux, financiers…avec une réunion réunissant toute l’équipe chaque jeudi matin.
Un autre apport personnel de cette aventure est le fait d’être en contact des investisseurs de bons niveaux. C’est exigeant mais c’est en se confrontant à une réalité économique qu’on apprend. Par rapport à ma vie de salarié chez Amazon, cette notion de financement est nouvelle et riche.
Au début, je ne voulais pas forcément créer une boite mais je voulais rester dans le domaine du e-commerce et je me suis rendu compte que si je restais salarié, j’allais reprendre des boulots similaires à ce que je faisais avant. Ce sont des postes très prenants, avec une forte amplitude horaire. J’avais 45 ans, je venais d’être papa, je voulais être davantage maître de mon emploi du temps.
Je gagne beaucoup moins d’argent qu’avant, j’ai une dette mais c’est un choix assumé qui me va bien.
Quels conseils donnes-tu à ceux qui ont envie de se lancer dans l’entrepreneuriat ?
Le conseil est de bien réfléchir aux conséquences et de le faire pour de bonnes raisons. Si la personne est motivée par de l’argent facile sur une durée courte, il ne faut pas le faire. Une expérience entrepreneuriale, c’est incertain, c’est long. On existe depuis 3 ans, et on est encore loin de pouvoir revendre l’entreprise et s’enrichir. Il faut plutôt se demander pourquoi on le fait et qu’est ce qu’on en attend. Il faut aussi parfois savoir renoncer lorsque le produit ne trouve pas son public et passer à autre chose. Il ne faut pas en faire une affaire d’ego.