Dans le cadre de nos rencontres avec des entrepreneurs, nous avons eu la chance de rencontrer Sophie Comte, co-fondatrice de Chut, magazine papier et en ligne qui vise à éclairer la transition sociétale à l’ère du numérique. Sophie partage pour ISLEAN le parcours de l’aventure entrepreneuriale et son expérience, au travers de la création d’un magazine, « Chut ! ».

Chut ! au digital, l’aventure entrepreneuriale par Sophie Comte

Quel est le problème à résoudre qui a lancé Chut ! ?

Le problème nous est apparu progressivement : nous avons d’abord créé une agence digitale et progressivement, nous avons été confrontées à une forme de manichéisme vis-à-vis du numérique : le discours ambiant se fait essentiellement entre les technophiles et les technophobes, avec peu de nuances et de façon très clivée. Nous avons donc eu envie de prendre la parole de façon plus humaine sur le sujet de la transformation digitale, sans rejeter ni aduler les technologies, mais plutôt en proposant d’ouvrir la réflexion sur un bon usage, responsable, éthique et conscientisé.

Nous sommes convaincues par ailleurs que numérique amène des enjeux majeurs de transformation, pour tout le monde, qui vont au-delà de la sphère professionnelle ; cela nous impacte dans notre vie quotidienne. Vous pouvez trouver de nombreux magazines qui comparent des produits (ex : ordinateurs, téléphones), ou des médias spécialisés entre professionnels. Il nous paraissait manquer un média qui parle des aspects sociétaux des technologies, de façon plus large qu’entre professionnels.

Femme numérique

Nous voulions également développer une approche de neutralité technologique. Il y a ceux qui ne parlent que de la startup nation, et d’autres qui ont peur des fakenews, des écrans pour les enfants… Nous avons souhaité dire « Chut ! » à tout ce bruit sur le numérique. Et aussi rappeler que malgré l’injonction d’immédiateté avec le web, l’on peut aussi prendre le temps avec les technologies. C’est pour cela qu’on a à la fois une version papier trimestrielle et un média en ligne.

Comment avez-vous lancé le projet ?

Après l’agence initiale, nous avons lancé le média en parallèle. Dans le paysage médiatique actuel, on observe plutôt la démarche inverse : ce sont des médias qui créent une agence, pour diversifier leur modèle économique, qui historiquement reposait sur les revenus publicitaires. Pour nous, cela a été difficile de faire co-exister les deux : nous sommes alors entrées en résidence – avec Aurore Bisicchia, co-fondatrice, ndlr – dans des incubateurs (Paris & co, puis Creatis) : ces étapes nous ont aidé à nous transformer complètement en média, et à mettre au deuxième plan l’agence (qui nous faisait vivre au départ). Cette phase d’incubation nous a aussi permis de renforcer notre vision sur le média et notre intention éditoriale.

De manière générale, les médias sont créés par des journalistes. Nous avons dû nous familiariser avec ce monde et ses règles, également créer une structure conforme. Nous avons donc « renversé » notre activité en positionnant le média en tête, avec une palette d’activités connexes (dont celle de notre agence).

Chut ! aujourd’hui ?

Notre site existe depuis 2 ans, et le premier magazine papier a été publié en novembre 2019.

Nous avons donc une offre double pour Chut ! Magazine : en ligne avec une version papier, trimestrielle de 100 pages illustrées.

Le marché de la presse est clairement devenu compliqué, mais je suis convaincue qu’il y a toujours une vraie place à prendre pour les magazines papier. C’est devenu très difficile de créer un hebdomadaire, voire un quotidien : on a tous accès au contenu tout le temps. Nous misons donc sur une version papier Premium, autour d’un bel objet : en beau papier, de type livre et avec beaucoup d’illustrations. Nous voyons autour de nous émerger une nouvelle génération de magazines papier, avec une nouvelle expérience de lecture « forte » : l’objet est devenu important en tant que tel et doit se distinguer du contenu consommable en ligne.

Notre magazine fonctionne via des abonnements pour les particuliers et nous en avons maintenant près de 1 000. Par ailleurs, nous tirons notre magazine à 15 000 exemplaires chaque trimestre. En ligne, nos contenus sont consultés sur internet, avec 40 000 pages vues par mois.

En complément, les entreprises nous demandent de les nourrir en contenu : nous avons donc une offre de conférences et tables rondes en lien avec la ligne éditoriale (ex : militantisme 2.0, avec la MAIF qui est très engagée sur ces sujets-là, ou consommation engagée sur les réseaux sociaux…). Notre premier magazine était sur la place des femmes dans le numérique, ce qui a également fait l’objet d’interventions en entreprise sur ce sujet précis, pour accompagner les entreprises qui souhaitent recruter des talents, a fortiori des femmes.

Nous en sommes à la 3ème édition du magazine papier, intitulé « Va, vis et apprends », un numéro qui interroge le savoir avec les technologies.

En tant que média, nous sommes dorénavant reconnus en tant qu’organisme de presse : après la phase de beaux formulaires à remplir, nous avons maintenant le droit à des subventions de la profession, qui contribuent à financer dans la durée le développement, tout en développant l’audience.

La qualité du contenu est pour nous très importante, aussi nous travaillons avec des journalistes que nous essayons de payer correctement, ainsi que de nombreux illustrateurs… Pour chaque numéro de Chut ! nous sommes une vingtaine de personne. Pour le moment, les journalistes qui travaillent avec nous sont sous contrat de pige, avec des droits d’auteurs et une protection.

Chut

Les suites du développement ?

Un média ne se développe pas au même rythme qu’une startup avec de l’hyper-croissance.

A court terme, l’enjeu est de bien développer le magazine papier, de toucher le grand public sur ce sujet nouveau du numérique ou a minima avec notre approche différente. Cela se met en place progressivement, et pour cela, nous développons l’offre d’abonnements et nos partenariats avec les entreprises.

A moyen terme, il nous faut pérenniser le média. Notre prochain projet est de développer les podcasts en « articles sonores » : c’est un format qui ressemble plus à du livre audio, agrémenté d’un environnement sonore qui donne plus d’accessibilité et de confort de lecture à tous nos contenus. A terme, on aimerait que tous nos articles soient disponibles sur les deux supports.

Enfin, nous avons également envie aussi d’avoir une équipe interne de journalistes.

Quels enseignements pour Sophie ?

Essentiellement l’équilibre entre la patience et l’action. Au départ, on a rien et il faut apprendre à le construire un peu plus chaque jour. Il est donc très difficile de se faire confiance au début. Puis, en faisant, dans l’action, on crée, on gagne en confiance et les premières victoires arrivent ! Mais c’est là que la patience est clé afin de s’éviter les montagnes russes émotionnelles : et pour ma part, c’était vraiment ce qui me manquait, je m’emballais très vite ! J’apprends maintenant à accepter les bonnes nouvelles pour en faire des collines, et les crevasses sont plus douces en vallées 😊

Je reste une fervente militante de l’action, c’est en faisant qu’on apprend, comme les enfants, on fait des erreurs, on recommence et on finit par comprendre quelques rouages. Avec acharnement et détermination, on arrive forcément à des résultats.

Femme face à un paysage

Le passage par des incubateurs a été très important : cela nous a aidé à nous construire sur notre vision, notre « Why ». Les entrepreneurs peuvent, facilement, trouver des expertises et des compétences pour les aider dans leur création, j’estime que nous avons beaucoup de chance d’avoir aujourd’hui en France toute cette offre d’incubateurs et d’accélérateurs, c’est un vrai soutien.

Enfin, j’ai la chance d’avoir trouvé l’associée qu’il me fallait. Je n’avais pas identifié au départ l’importance de la complémentarité avec Aurore, et cela marche bien !

Quelques conseils pour ceux qui voudraient se lancer ?

Simplement essayer, on n’est pas obligé de créer une société tout de suite. On peut tout à fait avancer par étapes. D’abord en parler autour de soi, rencontrer ceux qui ont déjà de l’expérience ; l’important est d’aller un peu plus loin à chaque fois. Ne pas trop réfléchir non plus, car cela ne sera pas parfait, ou en tout cas, cela ne sera pas comme on l’a imaginé. Mieux peut-être ? A vous de faire 😉