Dans le cadre de nos entretiens avec des innovateurs et entrepreneurs, nous avons rencontré Léonore de Roquefeuil, co-fondatrice de Voxe.org, une organisation de la CivicTech fondée en 2012. Léonore revient pour ISlean consulting sur son parcours et sur les grandes étapes de l’aventure Voxe.org.

 Quel est le « problème à résoudre », celui qui a lancé le projet ?

Les niveaux de défiance envers la politique atteignent des niveaux record ! Qui rend lisible le débat public et permet à tous de mieux s’engager ?

Les jeunes sont perdus face à la politique :

  • les médias traditionnels ont du mal à faire un travail de pédagogie qui rendrait le débat accessible à tous ;
  • au moment des élections, les programmes politiques sont longs, techniques et font souvent référence à des notions peu ou pas mise en contexte.

Et pourtant notre génération 18-35 est profondément politique, mais elle s’implique différemment, elle ne se retrouve plus dans les élections, les partis ou les syndicats.

Lors de l’élection présidentielle de 2012, une dizaine d’entrepreneurs (parmi lesquels Edouard Schlumberger,  Charlotte Richard ,Thibault Geffroy, Pierre Valade, Kat Borlongan, Julia Bijaoui et Benjamin Lan Sun Luk) veulent répondre à ce problème – qui est d’abord le leur – des jeunes perdus face à la politique. Cette équipe lance alors une association et un outil de comparaison des programmes des candidats à l’élection présidentielle. Avec 1,7 millions de visiteurs, cet outil montre qu’il y a un espace pour informer différemment les jeunes et les aider à s’engager dans la vie de la cité.

Après ce premier succès en 2012, l’aventure était lancée ?

Pas complètement. Malgré le succès du comparateur, l’association n’avait à l’époque aucun moyen. Seule l’énergie des bénévoles a permis de faire vivre le comparateur de programme pour les élections européennes et régionales entre 2014 et 2015 et de l’exporter à l’étranger – plus de 19 pays aujourd’hui-. Toutefois, l’équipe gardait la conviction de l’intérêt de l’outil répondant au problème d’information et d’engagement pour les jeunes.

Equipe de Voxe.org

Un premier rayon de soleil apparaît fin 2013, quand l’équipe gagne un prix dans le concours de 101 projets. C’est une reconnaissance par d’autres entrepreneurs de la pertinence et de l’utilité du comparateur. Et aussi la première source de financement pour le projet. Même si le montant reste modeste, c’est un signal et un vrai encouragement.

C’est à ce moment que vous rejoignez l’aventure ?

Effectivement, je rejoins le projet à cette époque où encore tellement de choses restent ouvertes. Voxe.org, à l’époque, c’est une équipe opérationnelle d’une personne (moi !) dans un incubateur d’innovation sociale (SenseCube). Mon idée est alors d’exporter le comparateur, en utilisant ce que j’ai appris dans mes expériences avec MakeSense. En un an, le comparateur de Voxe est dans 19 pays, avec des communautés actives, qui vont des US, Turquie, Algérie… Déjà, la CivicTech française, que personne n’appelle comme cela à l’époque, va au-delà des frontières.

En 2015, la France est saisie par la polémique Uber et VTC contre les taxis. Nous retrouvons dans ce sujet le même besoin de pédagogie que dans les programmes des campagnes électorales. La façon dont le sujet est globalement traité me touche tellement par son manque de pédagogie qu’elle déclenche une (ré)action : Voxe.org lance sa première newsletter What The Voxe! visant à expliquer et décortiquer un sujet. Nous la structurons selon un plan que nous gardons depuis : les faits / les arguments pour / ceux contre / l’invitation à l’engagement. Pour les VTC, les lecteurs pouvaient envoyer un tweet à leur député, signer une pétition (pour ou contre, selon leur choix à l’issue de la lecture). Cette newsletter, sérieuse mais sans financement, passe de 200 lecteurs à 5 000 inscrits en six mois.

Cette même année, avec notre équipe plein temps de 2 volontaires en Service Civique et un bénévole, Voxe.org gagne un prix au Google Impact Challenge, qui est un concours de la Fondation Google pour aider les associations qui utilisent les technologies et font bouger la société. Même si nous sommes ravis, nous sommes nous-mêmes étonnés d’avoir été reconnus auprès d’autres associations nettement plus structurées. Et nous pouvons alors salarier l’équipe et poursuivre vraiment les investissements.

En Startup agile et frugale, Voxe.org a réalisé plusieurs pivots ?

Nous décidons alors de faire pivoter notre activité (comparateur de programmes et newsletter) vers une plateforme d’information et d’engagement auprès des jeunes. Nous transformons par exemple notre site selon la structure « je m’informe », « je compare », « je rencontre les candidats » et « je vais rencontrer les communautés ». Le site a pour vocation d’aider le jeune (et le moins jeune !) à aller au-delà du miroir déformant des réseaux sociaux. Nos contacts sont déjà des choix inconscients dans notre accès à l’information. C’est important de s’ouvrir à l’avis des autres, même si parfois, cela pique un peu au début.

Deuxième extension de notre modèle : nous sortons du monde purement numérique. Nous créons par exemple un #VoxeTour pendant la présidentielle 2017 pour aller à la rencontre des jeunes partout en France avec une équipe de 30 jeunes venant de toute la France. Le résultat : en 3 semaines, 4 500 jeunes rencontrés et plus de 800 idées recueillies, avec une synthèse de 10 propositions. La prochaine étape est naturellement #UnRDVavecMacron pour présenter au Président de la République cette synthèse des besoins exprimés par les jeunes et mettre en place un dialogue régulier entre jeunes et exécutif.

#UnRDVavecMacron de Voxe.org

Troisième extension de notre modèle : pour les législatives de 2017, nous devons faire évoluer notre comparateur. Trop de candidats, trop de programmes… Nous mettons donc en place un chatbot qui donne facilement des informations de base : qui est votre député (par code postal), quel est le résultat de sa mandature, qui sont les candidats (et leur programme) dans votre circonscription. Ce chatbot répond progressivement à l’internaute, en lui donnant accès à des contenus rédigés par une équipe humaine. Résultat : depuis 5 mois, nous avons eu plusieurs milliers d’utilisateurs. Cela nous permet de connaitre les sujets d’intérêt des internautes, d’adapter les parcours et les contenus en fonction de leur satisfaction. D’une certaine façon, de dessiner une plateforme d’information de la demande (et non plus de l’offre qui pousse des articles).

Et vous Léonore, quels enseignements tirez-vous de l’aventure Voxe.org ?

J’ai commencé mon parcours dans de belles et grandes organisations : ONU puis Saint Gobain. A un moment, j’ai eu envie d’autre chose. Plus d’incertitudes ? Envie d’utiliser à plus grande échelle, ce que j’avais appris dans mon expérience très forte de MakeSense à Madrid pendant 2 ans. Envie de passer toute ma journée sur un projet qui me plait.

Je dois avouer qu’il y a eu un temps d’adaptation au début : je rejoins un projet déjà lancé par d’autres ; l’équipe Voxe.org, celle du quotidien derrière la vitrine internet, se résumait à moi seule en 2014 et une grande partie de 2015 !

Jusqu’au moment où je vais au-delà de la vision initiale, notamment en y apportant mes savoir-faire (de création de communautés et d’entrepreneuriat social) et mes envies (la jeunesse et l’information). J’ai eu la chance d’avoir une équipe de fondateurs qui acceptent ces changements et les ont soutenus à 100%. Et les résultats ensuite obtenus sont alors des signes que vous êtes au bon endroit !

Deuxième leçon : il faut de la patience et de la ténacité. A certaines phases, j’ai dû renoncer à un salaire… et financer cela en faisant du free-lancing à coté. Le projet passe d’abord. Et son business model n’est pas immédiat. C’est à force d’avoir fait beaucoup d’expérimentations et d’avoir rencontré beaucoup de monde qu’il apparaît à un moment. Mais l’innovation dans la frugalité est une vraie source de motivation.