Dans le cadre du Club du Grain Numérique, ISLEAN a organisé fin juin-début juillet en partenariat avec le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables (CSOEC) une série de 4 webinaires sur l’entreprenariat. Ce dernier webinaire, animé par Louis-Alexandre Louvet et Louis-Alexandre Louvet (ISLEAN) et Sanaa Moussaid (Vice-présidente du CSOEC), traite des startups en temps de crise.
Malgré les conditions particulières de cette année, nous avons souhaité rester sur la même temporalité : un concours d’entrepreneurs donnant lieu à une remise de prix en fin d’année avec un événement (en ligne, cette fois). 3 webinaires ont permis aux entrepreneurs de promouvoir leur savoir-faire et leur expérience. Le premier traitait du fait de remettre le client en permanence au cœur du réacteur dans les startups, le deuxième de la façon de gérer la croissance au sein des équipes de startups sans perdre l’esprit startup. Le troisième nous montrait comment ne pas se faire peur avec une startup hyper tech. Ce quatrième et dernier webinaire de la série est une table ronde pour débriefer de la dernière édition du concours et plus généralement faire un bilan et ouvrir des perspectives pour les startups dans la crise que nous vivons aujourd’hui. Ce webinaire est co-animé par Louis-Alexandre Louvet, associé chez ISLEAN, et Sanaa Moussaid, vice présidente du Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts Comptables (CSOEC), responsable du secteur numérique au sein du CSOEC et créatrice de World of Numeric, cabinet de conseil dédié aux enjeux numériques et stratégiques. Louis-Alexandre et Sanaa sont accompagnés de 3 intervenants :
- Max Peuvrier, président du comité financement du CSOEC. Il est expert comptable praticien en cabinet et est donc au service des entrepreneurs.
- Frank Nouygirato, co-fondateur des Startups Weekends dans 160 pays. Il promeut l’entrepreneuriat et se définit comme un venture builder.
- Mathieu de La Rochefoucauld, 20 ans d’expérience dans le capital risque (Société Générale, Supernova Invest, Amundi Private Equity). A mené personnellement une centaine d’opérations d’investissement, et de nombreuses dans la tech.
Qu’est-ce qui a pu vous frapper pendant la crise ?
Mathieu de La Rochefoucauld : a trouvé que l’on était plus efficaces dans les prises de décision. Les conditions imposées ont accéléré la digitalisation. « J’ai même fêté mon anniversaire en visio ! » nous dit-il.
Franck Nouyrigat, par le décalage entre la lenteur du gouvernement à agir et la communauté des entrepreneurs qui s’est beaucoup auto-organisée. Il pense que la crise actuelle a eu l’action d’un enzyme : ce qui grossissait a grossit beaucoup plus vite, et ce qui baissait s’est effondré. Des entreprises dans le numérique ont explosé, et d’autres dans l’événementiel ont fermé. Ce qui se passe n’est pas anecdotique. Le monde d’après sera, pour citer Houellebecq, « le même qu’avant mais en pire ». Comprendre qu’il sera similaire mais avec bien plus d’amplitude. Nous vivons selon lui la fin d’un temps avec l’effondrement de la gouvernance d’antan. Il se dit très inquiet et prudent pour les années à venir en Europe et en France pour des raisons structurelles.
Pour Max Peuvrier, la crise actuelle a changé sa vision du télétravail. Tout étant hébergé à distance, les collaborateurs ont pu travailler de chez eux. Ensuite, en tant que représentant des experts compatbles auprès de BPI France et du gouvernement, il a pu constater que les entreprises ont pris du temps pour arreter leurs comptes en cette préiode chargée.
Selon Sanaa Moussaid, la période salutaire en ce qu’elle a permis aux clients d’intégrer le digital tout de suite. Selon elle, cette crise rebat les cartes et nous permettra de partir pour un meilleur monde.
Quelle a été la réaction des investisseurs pendant cette période ?
Pour Mathieu de La Rochefoucauld, les investisseurs se sont concentrés sur leur portefeuille. Ils se sont assurés que les entreprises avaient assuré la sécurité des personnes. Puis ils ont vérifié la sécurité des entreprises en portefeuille, notamment par des suivis de trésorerie importants mis à jour toutes les semaines, pour pouvoir aider au maximum les sociétés à recourrir à toutes les mesures gouvernementales exceptionnelles mises en place. Ils ont donc pu partager les bonnes pratiques entre leurs entrepreneurs pour sécuriser le court terme. Puis ils ont cherché à sécuriser l’avenir en faisant des hypothèses pessimistes de scénarios de reprise pour faire prendre conscience aux dirigeants l’ampleur du choc qu’ils allaient devoir encaisser. Les belles sociétés pensent que ce n’est pas le moment de lever des fonds.
Qu’avez vous constaté comme type de mobilisation pendant cette période ?
Sanaa Moussaid a constaté plusieurs niveaux d’experts comptables. Il y aura beaucoup de casse mais autant que d’entreprises qui vont profiter de la situation. Les experts comptables sont plus de 20 000 cabinets en France dont plus de 75% de TPE. Ils ont une certaine agilité. Les cabinets ont bien su rebondir en cette période : certains ont fermé mais très peu. En tant que présidente du secteur stratgie numérique, ce l’importait était de digitaliser ses confrères. Les experts comptables ont une image poussiéreuse auprès des startups qui ne reflète pas la réalité. Les confreres qui ont bien réagi et rebondi ont poussé leurs clients dans le sens de la transformation numérique. Ce ne sont pas que des outils, il faut aussi qu’ils transforment le business. Une première marche a été franchie par plus de 70% des cabinets. Au CSOEC de ne pas laisser les 30% qui restent flétrir et de les embarquer.
Quelles seraient les bonnes pratiques des startups pour aborder l’investisseur ?
Pour Mathieu de La Rochefoucauld, le lien de confiance s’établit en étant totalement transparent sur ses appréciations. Pour résumer, il d’agit de prévoir le pire et espérer le meilleur. L’investisseur comprend tout à fait que l’entrepreneur ne maîtrise pas tout et qu’il y a beaucoup d’incertitude. Les investisseurs veulent comprendre la fourchette dans laquelle les entrepreneurs vont se situer. L’entrepreneur doit apparaître comme étant vraiment aux manettes pour rassurer l’investisseur.
Quel message pourrait-on partager sur cet aspect « croissance en ces temps de reconfiguration des choses » ?
Selon Franck Nouyrigat cette crise pourra nous montrer qui est vraiment entrepreneur. Les crises sont un moment où apparaissent beaucoup d’opportunités : des entreprises meurent et laissenr un marché derrière elles. Mieux vaut être mauvais sur un marché qui monte que bon sur un marché qui descend. Les marchés qui montent aujourd’hui sont en Asie. L’Europe suscite plus d’inquiétudes. Aux Etats-Unis, beaucoup d’entreprises mortes d’un coup, les aides n’étant pas arrivées à temps. La France et l’Allemagne ont très bien protégé leurs entreprises avec un énorme amortisseur. Ce qui inquiète Franck, c’est le coût de cet amortisseur que la société devra payer un jour ou l’autre et son effet au cours de 20 ou 30 prochaines années. L’analyse de Franck : le marché européen va etre assez mou, le marché asiatique va beaucoup rebondir et le marché américain va rebondir après 1 ou 2 ans de souffrance. Si le marché sur lequel est investi un entrepreneur est en train de mourir sous ses yeux, il devra pivoter.
Quelles sont les grandes aides et les plus pertinentes pour les startups ?
D’après Max Peuvrier, la première aide c’est le prêt garanti par l’Etat (PGE). 5000 startups en ont bénéficié, pour un total de 3 Mds €. Définir les critères d’obtention de ce prêt a été compliqué, et le CSOEC a participé aux discussions pour les définir avec le gouvernement. Le deuxième dispositif c’est le French Tech Bridge, un crédit relais pour aider les entreprises qui étaient en cour de levée de fonds à faire face à la période. Le rôle des experts compatbles est de communiquer sur ces dispositifs auprès de leurs clients. Viennent ensuite les aides sur les charges sociales et le chômage partiel, dont 50% des startups ont bénéficié. Sur le PGE, il reste encore de la marge : il courra jusqu’au 31 décembre et, à l’heure actuelle, sur l’enveloppe de 300 Mds €, environ 100 Mds € ont été consommés aujourd’hui.
Selon Franck Nouyrigat, nous sommes en train de sauver des startups qui mourraient, en allant en quelque sorte contre la sélection naturelle du marché, alors que ces aides auraient pu être allouées pour lancer de nouvelles idées.
Mathieu de La Rochefoucauld nuance en soulignant le fait que le PGE est là pour répondre aux besoins de fonds de roulement des entreprises, parce que l’activité s’est arrêtée, pas pour endetter encore plus la société.
Le CSOEC a-t-il fait des prévisions sur les taux de défaillance des entreprises françaises dans les 6 à 12 prochains mois ?
Sanaa Moussaid nous dit qu’un barometre sort les prévisions des entreprises clientes des cabinets. On apprend qu’en avril, 75% des clients des experts comptables connaissaient une basse de CA, 40% qui seront concernés par un report des paiements, et 0,3% de risques de faillite. D’autres études (55000 entreprises défaillantes en France en temps normal) soulignent que cette année on aurait 45 000 entreprises défaillantes en plus de la moyenne habituelle (qui est de 55 000), soit une hausse de plus de 90%. D’après Sanaa Moussaid, il est possible que ces entreprises là auraient de toutes façon péri dans 2 ou 3 prochaines années, et la crise n’aura peut etre été qu’un accélérateur pour les sociétés qui étaient déjà fragiles et n’ont pas su se transformer. Elle prend alors l’exemple d’un maraîcher qui a eu le courage de se transformer en allant livrer ses clients qui lui laissaient l’argent sur le pas de leur porte. Il a su se transformer pour continuer son activité malgré toutes les mesures barrières imposées. C’est cela qui est attendu aujourd’hui des entreprises : se remettre en cause et ouvrir de nouveaux marchés.
Evidemment il y aura de la casse, et les startups sont peut-être les mieux positionnées à condition d’être sur un marché porteur pour survivre à la crise, voire se développer. Généralement, sont des personnes qui savent saisir les opportunités.
Pour la remise des prix, c’est ici !