Invité par Arnaud à la conférence du club ESSCA-entrepreneurs, j’avais, en maugréant comme à mon habitude, décidé de renoncer à ma misanthropie contrariée habituelle pour aller à cette conférence puisque le sujet m’intriguait un peu, ayant connu la Camif il y a longtemps puis l’ayant perdue de vue quelques années avant sa faillite.
Bref, sans me l’avouer le sujet m’intriguait plus qu’un peu pour réussir à me sortir de ma bulle de consultant autiste à mes heures pas perdues pour tout le monde.
En effet, ayant eu la chance d’avoir un de mes parents professeur, j’avais été élevé, dès mon plus jeune âge, dans la ferveur du catalogue Camif que l’on recevait 2 fois par an (si ma mémoire est bonne) et que je compulsais fébrilement pour découvrir tous les fabuleux articles et surtout les notes et commentaires que le laboratoire Camif décernait à chacun d’eux. Bien sûr mes sujets d’intérêts à l’époque concernaient surtout les articles hifi, vidéos, informatiques (les inénarrables comparaisons entre les TO7 ; TO7-70, MO5…), jeux vidéos, logiciels, les articles de sport… même si je me rappelle avoir regardé également les belles photos de salons, chambres, voire la lingerie féminine, mais je m’égare.
Évidemment, la Camif était la référence et il fallait vraiment avoir une bonne raison pour aller acheter ailleurs. Je me rappelle des histoires truculentes de mon enfance qui nous faisaient rire aux larmes quand elles étaient bien racontées, tel ami de l’ami qui avait un ami qui vantait avec force enthousiasme les mérites des achats sur la Camif à tous ceux qu’il rencontrait et ayant acheté son vélo de course sur catalogue, n’ayant probablement pas fait le bon choix par rapport à son poids, se retrouva, après avoir encore une fois fait admirer son nouveau vélo « Camif » à tous ses collègues cyclistes, dès ses premiers tours de pédale avec des roues en ellipse.
En grandissant j’avais suivi de loin l’éparpillement – dans le prêt à porter notamment – (volonté de faire comme ses concurrents ? : La Redoute, les 3 Suisses) et la baisse d’influence des avis de la Camif (concurrence du laboratoire de la FNAC par exemple). J’avais également persévéré dans mes achats de meubles puisque ma maman me disait toujours que c’était de la bonne qualité et que c’est important d’écouter sa maman… enfin jusqu’à un certain point. Après les achats des lits de mes enfants je compris que la Camif avait définitivement oublié que la Qualité c’était avec les yeux du client qu’il fallait l’évaluer. Je m’étais alors dit « Camif plus jamais » et c’est sans surprise que j’avais appris en 2008 la faillite d’une entreprise dont je m’étais détourné (en tant que client – et donc sociétaire de la Camif – j’étais informé en direct live de la fin de l’aventure).
Ayant fait une croix sur la Camif, je n’avais donc pas suivi la reprise qui avait eu lieu. Même si j’ai continué à recevoir, pendant plusieurs années après la reprise, les catalogues internet et offres s’adressant aux anciens clients, j’avais en bon breton têtu « tourné la page » ; Tout au plus avais-je bien perçu le recentrage / focalisation de l’offre. Il faut dire qu’entre les catalogues de milliers de pages des dernières années et le première catalogue sorti après la reprise qui devait compter une dizaine de pages, le recentrage n’était pas compliqué à percevoir !
Tous les ingrédients étaient donc réunis pour que le sujet m’intéresse.
Bien belle histoire que celle que nous a rapidement racontée Emery Jacquillat le PDG actuel de camif matelsom. La reprise de la Camif est assurément une belle aventure et un beau succès.
Emery Jacquillat est un entrepreneur, un vrai. Il a démarré sa première société, Matelsom, à 24 ans, en région parisienne (Nanterre)
Il connaissait la Camif puisque sur le segment de la literie, la Camif occupait la 3ème place des distributeurs.
Lorsqu’il apprend en 2008 que la Camif ferme, il envisage tout de suite de la reprendre même si Matelsom est 10 ou 20 fois plus petit. C’est là qu’on voit une caractéristique de l’entrepreneur : c’est un fou ! Alors que toute personne censée se serait enfuie en courant en voyant le désastre, l’entrepreneur lui, ne voit que le potentiel et imagine des solutions. En l’occurence Emery Jacquillat ne s’est pas laissé aveugler par l’histoire (la lente descente aux enfers de la Camif) et le passif : il a bien compris toute la valeur de la base clients et de la marque. Et d’ailleurs puisque la chance ne sourit qu’aux audacieux, la liquidation judiciaire de la Camif n’est pas classique. Le tribunal a paniqué devant la dette énorme et, un jour fatidique, entre le matin et l’après midi, tous les personnels se retrouvent licenciés. Quand Emery Jacquillat visitera les locaux la première fois, le café froid est encore dans les tasses, les colis préparés pour les client avec les étiquettes, prêts à partir… Emery Jacquillat ne propose que de racheter la marque et la base clients. C’est à prendre ou à laisser. Autant dire que la partie n’est pas gagnée d’avance. Pour convaincre, Emery Jacquillat va mettre en place une logique d’impact sur l’ensemble des parties prenantes :
C : les Clients
A : les Actionnaires
M : le Monde qui entoure la Camif à Niort – le territoire
I : l’Intérieur de l’entreprise
F : les Fabricants
Quelques exemples : pour les clients qui ont perdu de l’argent (ceux dont les colis ne sont jamais partis par exemple – cf. plus haut), Emery Jacquillat propose une carte de remise à vie (il fallait oser et y croire ! pari gagnant). Pour le monde qui entoure la Camif : Emery Jacquillat s’engage auprès de la région et des banques locales à ce que le centre d’appel soit physiquement basé à Niort. Il s’engage à reprendre des anciens salariés volontaires. Il s’engage à déménager son entreprise de Nanterre à Niort (son épouse et ses enfants étaient quant à eux beaucoup moins enchantés de déménager).
2) recentrage
Ensuite Emery va recentrer l’offre sur l’équipement de la maison, sur la qualité et la fabrication française. Car c’est un argument important pour un grand nombre de clients historiques. Recentrage également sur internet et l’arrêt du catalogue papier.
3) affirmation des valeurs (déjà démontrées lors de la repris de l’activité) : le triple A
A : l’Audace
A : l’Attention… à avoir un impact positif envers toutes les parties prenantes
A : l’Agilité : camif matelsom est concentré sur le cœur de métier (dont le web marketing). Tout le reste est externalisé : Logistique , informatique, même le webmaster externalisé car ça évolue trop vite pour l’avoir en interne
4) collaboratif et décloisonnement
Pour redémarrer l’activité il doit faire travailler ensemble des anciens Matelsom et des anciens Camif. 2 cultures très différentes. Les locaux de la Camif étaient dans le plus pur style Stalinien, ne comportaient que des bureaux fermés ; un étage était réservé pour la direction. Emery Jacquillat a tout cassé, tout décloisonné et a installé la direction au cœur des anciens locaux du magasin d’exposition Camif. Au delà de l’impact sur la collaboration entre les 2 mondes Matelsom et Camif, cela a également permis de faire rentrer le dehors dedans. Des clients entraient, croyant entrer dans un magasin, et se retrouvaient à donner leur avis sur les produits  à mettre au catalogue ou simplement à discuter avec les employés, managers ou le PDG de la nouvelle entreprise en redémarrage.
Pour animer / accélérer ce décloisonnement Emery Jacquillat a l’idée de faire venir une artiste pendant 3 mois. Tous les jours elle va mettre en place une nouveauté qui pousse les collaborateurs à s’interroger, s’enthousiasmer, collaborer.
Quelques années plus tard la reprise est un succès. Camif matelsom est rentable à partir de la 3ème année. Quelques leçons qu’en retire Emery Jacquillat et qu’il nous fait partager :
Leçon n°1 : L’entreprise est un réseau social : C.A.M.I.F (Collaborateurs, Actionnaires, Territoire, Fournisseurs partenaires, Fabricants, Forêts, …) et PDG ça veut également dire Prof De Gym.
Par exemple dans le cadre de la journée « J’aime ma boite » Emery Jacquillat propose au banquier de la Camif, dont il a découvert la passion pour le Yoga, de venir animer une journée d’initiation au Yoga pour les employés.
Leçon n°2 : l’organisation et la gouvernance de Camif Matelsom sont collaboratives. Emery Jacquillat n’aime pas particulièrement le terme « Entreprise libérée » mais pour autant il en reprend certains traits. Par exemple l’année dernière l’élaboration budgétaire a été confiée à des employés volontaires et qui n’avaient aucune compétence ou expérience en la matière. ils ont été accompagnés par des managers pendant 8 semaines mais c’est eux qui sont allés interroger les experts dans l’entreprise pour se faire une idée des projections et des décisions budgétaires à prendre. Ce dispositif a permis de prendre des décisions que les autres instances de Gouvernance n’auraient pas osé prendre. Par exemple : l’arrêt de la pub télé. Un plan d’intéressement a également été proposé et validé ; là le comité d’investissement y a mis une condition : que le résultat net atteigne au moins un montant minimal –> et surprise : l’objectif a été largement atteint.
Leçon n°3 : Engager les clients
3a ) dans la consommation eco-responsable : le site camif.fr permet de fournir au client toutes les informations sur la localisation et l’entreprise du fabricant
3b ) les clients intéressés par un produit peuvent être mis en relation avec un client proche de chez eux, voire un voisin, qui a déjà acheté ce produit et volontaire pour le leur montrer et leur en parler. Dans un cas sur deux les clients sont d’accord pour participer. La vente (par des non vendeurs) au service du lien social ou inversement.
S'appuyer sur les clients pour vendre

S’appuyer sur les clients pour vendre

3c ) depuis 3 ans Camif matelsom organise le tour du Made in France (http://www.tourdumadeinfrancecamif.fr/). Un tour de France de ses fabricants, avec des collaborateurs et des clients pour tisser le lien entre les parties prenantes et… pour innover. De ces rencontres, visites et discussions entre Fabricants, Clients et collaborateurs Camif naissent souvent de nouvelles idées. comme le Cinlou, un bureau connecté, éco-responsable meilleure vente de l’année 2015 né lors du tour du Made in France 2014
Bravo ! un repositionnement réussi en s’appuyant sur les forces de la Camif et en creusant et en élargissant le sillon (consommation locale, eco et socio responsable), en remettant le client au cœur du dispositif. Je ne sais pas si Camif matelsom est une entreprise libérée au sens d’Isaac Getz ou de Jean-François Zobrist ; en tout cas c’est une des premières Benefit Corporation européenne Label « B Corp »  (http://bcorporation.eu/community/camif-matelsom)
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