Depuis quelques semaines, je tarde à partager mes impressions suite à la lecture du livre de Gilles Babinet « L’ère numérique, nouvel âge de l’humanité – cinq mutations qui vont bouleverser nos vies ».
Il s’agit dans l’ensemble d’un livre très enthousiasmant : Gilles Babinet sait à la fois donner du souffle et partager sa vision et son enthousiasme, et illustrer de manière simple avec des exemples du monde entier et qui nous rappellent combien nous sommes dans un phénomène mondial. Le Digital Champion de la France auprès de l’Europe mérite son titre, car il œuvre pour inviter le lecteur à plonger dans ce nouvel âge !
Le livre pose comme postulat de départ que la révolution numérique est l’une des trois inflexions de l’humanité, après l’invention de l’écriture puis de l’imprimerie.
La révolution numérique serait même la matrice de l’accélération des autres innovations et des bouleversements de l’humanité : transverse, le numérique est le creuset et le levier de la diffusion de la connaissance avec les outils d’information et de communication.
Or, le monde actuel est encore dirigé par une vision industrielle historique, c’est-à-dire très productiviste, d’ingénieur ayant découpé au maximum les activités pour les standardiser, les planifier et les automatiser. C’est un point de vue que nous partageons grandement : cette vision productiviste et taylorienne annihile souvent l’agilité des organisations, en supprimant la capacité individuelle à trouver du sens et de la valeur dans son travail, et encore plus à prendre des risques collectifs maîtrisés pour innover.
Pour Gilles Babinet, nous sommes donc à l’aube d’une révolution. Les deux révolutions précédentes ont mis du temps à bouleverser la société, et le virage du numérique s’approche de nous à grande vitesse. Il reste encore beaucoup à faire.
Les 5 mutations de cette révolution :
1 – la connaissance devient accessible pour tous
à la fois en tant que lecteur (internet, puis les smartphones connectés…), mais aussi en tant que producteur, voire chercheur en tant qu’ « inventeur candide ». Le numérique bouleverse donc et aplatit les relations entre les sachants et les béotiens. La distribution des données ouvertes, leur traitement accéléré joue évidemment un rôle majeur dans cette capacité qu’acquiert chacun à « inventer » une nouvelle interprétation du monde.
2 – l’éducation entame sa mutation
Pour Gilles Babinet, les différents rapports internationaux montrent un système occidental à bout de souffle : un modèle d’éducation qui s’appuie sur une répétition industrielle du savoir, administrée de manière souvent très centralisée, et n’ayant pas évolué depuis 50 ans. L’auteur revient sur le (récent) lancement des nouveaux formats numériques : pourquoi un financier a tout abandonné pour lancer la Khan Academy, et proposer des vidéos de 3 à 5 minutes pour expliquer les mathématiques, après avoir testé son modèle sur Youtube. Comment Sugata Mitra a osé diffuser autrement du savoir à la demande à Delhi, dès 1999, en laissant un ordinateur en libre accès à des enfants. Ou enfin, comment est née l’aventure des MOOC, entre Stanford et des anciens professeurs, soucieux de distribuer plus largement leur savoir, au-delà de leurs murs et de leurs élèves traditionnels.
3 – La santé porte de nombreuses promesses à condition d’accepter une prise de risques
Gilles Babinet revient sur les découvertes qui pourraient être faites en exploitant mieux et plus largement les données, c’est-à-dire les informations dont disposent les professionnels pour anticiper, personnaliser et mieux traiter les pathologies. Ne niant pas les risques sur la diffusion aveugle et irraisonnée des données personnelles, l’auteur insiste sur le ratio positif bénéfice / risque, classique dans cette industrie où aucun médicament ne garantit le « risque zéro ».
4 – la production industrielle elle-même pourrait changer de paradigme
En effet, à l’inverse des mouvements de concentration des moyens de production pour maximiser leur rendement, le numérique permet une meilleure communication entre les machines, entre les marchés et les producteurs, et pourrait favoriser la déconcentration des moyens de production. L’auteur revient sur la multiplication des Fab Lab, précurseurs de cette personnalisation et déconcentration des moyens de production industrielle.
5 – l’Etat serait lui aussi remis en cause (avec ses différentes hiérarchies)
Les strates pyramidales d’exercice du pouvoir perdraient en efficacité et surtout en légitimité face à des citoyens plus informés, plus connectés et plus avides d’une autre forme de participation. Il deviendrait urgent de réinventer l’exercice de la démocratie, plus participative, avec une intermédiation différente. Bien que cette 5ème mutation lui paraisse critique, et qu’il milite pour plus d’ouverture des données publiques et d’innovation au niveau de l’Etat, l’auteur note que « dans certains domaines, on tutoie le scandale numérique », notamment car « la lourdeur endémique de certaines agences de l’Etat ou aux institutions paritaires est telle que ces notions ne sont pas même jugées envisageables » (page 211).
Au travers de cette prise de hauteur et présentation d’une vision structurée des mutations en cours, on retrouve dans ce livre le Digital Champion passionné par ce qui nous arrive, enthousiasmé par ce qui nous attend, mais aussi lucide des obstacles et des risques sur le chemin.