Dans le cadre de nos rencontres avec des entrepreneurs, nous avons eu la chance de rencontrer Yann Gaston-Mathé, co-fondateur d’une plateforme innovante d’intelligence artificielle en recherche pharmaceutique, Iktos. Yann partage pour ISlean consulting le parcours de l’aventure entrepreneuriale et son expérience.
Quel est le problème à résoudre qui a lancé Iktos ?
Le problème auquel nous voulons répondre est celui de la recherche des nouveaux médicaments dans le domaine des « petites molécules », c’est-à-dire des molécules accessibles par synthèse chimique (contrairement aux médicaments biologiques, ex : anticorps…). En effet, le cahier des charges d’un projet de découverte d’un nouveau médicament s’apparente à la recherche d’un mouton à 5 pattes : le candidat médicament idéal doit être une molécule nouvelle et brevetable, et qui en plus possède un grand nombre de caractéristiques désirables pour en faire un nouveau médicament. Cette molécule doit :
- Avoir une activité biologique sur la « cible », afin d’avoir un effet sur la maladie traitée,
- Etre sélective, c’est-à-dire ne pas interférer avec autres protéines de l’organisme, au risque de provoquer des effets indésirables,
- Ne pas présenter de toxicité lors des tests in vitro,
- Avoir de bonnes caractéristiques en ce qui concerne son absorption, son métabolisme, sa distribution et son élimination (ADME) dans organisme.
L’optimisation des molécules chimiques peut ainsi se comparer à la résolution d’un Rubik’s cube à 10 faces, avec des objectifs qui apparaissent comme contradictoires entre eux : lorsqu’on résout un problème de stabilité métabolique, on perd l’activité. Lorsqu’on veut améliorer la stabilité, on est confronté à un problème d’efflux… Trouver la solution du problème est un véritable casse-tête, et chaque essai nécessite la synthèse et le test d’une molécule nouvelle, soit plusieurs semaines de travail et quelques milliers d’euros. Cela conduit à des projets qui durent plusieurs années, qui sont très coûteux, et sans jamais de certitude d’arriver à identifier une molécule optimale. In fine, de nombreux projets finissent par être arrêtés, après plusieurs années d’efforts et des millions d’euros dépensés en vain.

Notre objectif est donc, grâce à l’intelligence artificielle, d’améliorer de manière drastique l’efficacité de ce processus de recherche pharmaceutique dont la productivité est aujourd’hui très faible, et d’aider nos clients, les laboratoires pharmaceutiques, à améliorer les taux de succès et à réduire les coûts et les délais de la recherche, ce qui in fine favorisera l’arrivée sur le marché de d’avantage de nouveaux médicaments, de meilleure qualité et moins chers.
Comment avez-vous lancé le projet ?
Cela a démarré par une rencontre avec les deux futurs co-fondateurs d’Iktos : Quentin, qui est chimiste médicinal, et Nicolas qui est spécialiste en intelligence artificielle. Ils avaient imaginé et développé une nouvelle technologie d’Intelligence Artificielle (IA) qui était capable de concevoir de nouvelles molécules chimiques, dans le but d’identifier des molécules avec un profil optimal et le maximum de chances de répondre au cahier des charges d’un projet de recherche.
Leur idée a été d’utiliser des algorithmes dits « modèles génératifs » : ce sont des algorithmes dont on se sert à l’origine dans le domaine du Natural Language Processing (NPL), soit le traitement automatique du langage naturel. Nous les trouvons par exemple sur Google translate ou encore les Chatbot. Ces algorithmes sont capables, une fois qu’ils ont appris une langue, de générer du nouveau contenu. Le principe a donc consisté à apprendre à l’algorithme le « langage » de la chimie, en le nourrissant avec une base de données de plusieurs dizaines de millions de molécules, pour qu’il apprenne à générer des molécules. Puis, le modèle génératif est connecté avec des algorithmes construits avec du Machine Learning classiques, et qui sont capables de prédire (plus ou moins bien selon les cas) l’activité biologique d’une molécule. Ainsi, on est capable de générer des molécules, non pas au hasard, mais sous contrainte de répondre à un cahier des charges complexe, multi-objectifs.

Le concept m’a tout de suite enthousiasmé, et j’ai décidé de les aider à développer leur idée. Avec mon expérience de management en R&D pharma et mon réseau dans l’industrie pharmaceutique, je pensais pouvoir leur apporter la dimension business et la séniorité nécessaires pour réussir le projet. C’est ainsi qu’en septembre 2016, nous avons créé tous les trois la société Iktos.
IKTOS aujourd’hui ?
Depuis sa création en septembre 2016, plusieurs étapes clé ont été franchies : la première levée de fonds en juin 2017, le premier salarié en septembre 2017, les premiers clients (aujourd’hui, 5 sociétés pharmaceutiques ont signé avec nous), la première preuve de concept réussie, publiée en septembre dernier… Aujourd’hui, nous sommes une équipe de 15 personnes, nous avons un très joli « pipe » commercial, et nous venons de signer un deal stratégique sur 2 ans avec une des plus grosses sociétés pharmaceutiques mondiales. Notre marché, celui de l’IA appliqué à la découverte de nouveaux médicaments, est un marché mondial. Aujourd’hui, l’une de nos fiertés est que nous avons acquis une forte crédibilité, et que sommes identifiés dans le Top 3 des sociétés pionnières sur notre domaine, celui de l’IA appliqué au drug design. Cela commence donc à ressembler à une success story, même si le chemin est encore long, et les risques importants.
Comme tous les projets dans l’industrie pharmaceutique, surtout avec de la technologie, Iktos a besoin de fonds, et c’est un souci constant. Toutefois, un peu plus d’un an après le début de nos opérations, nous sommes aujourd’hui proches du seuil de rentabilité. Le point clé est de continuer à investir en R&D pour faire progresser notre technologie et développer notre plate-forme SaaS, Makya, que nous voulons mettre à disposition de nos clients dès 2019. L’environnement est très compétitif avec des start-up US bien mieux financées que nous, et il est donc critique pour nous d’améliorer notre offre en permanence et de publier des résultats convaincants, ce qui coûte très cher. Les concours d’aide à l’innovation que nous avons gagné nous ont beaucoup aidé, ils nous ont permis d’amorcer la pompe…
Comment ça marche, en pratique ?
Notre cas d’intervention classique est un projet de recherche qui a déjà plusieurs années de travail, et pour lequel aucune molécule conforme au cahier des charges n’a pu être identifiée. Pour le moment, nous intervenons dans le cadre de missions de service, avec un honoraire fixe modéré, et un honoraire variable, conditionné au succès effectif des molécules que nous aurons proposées. Les chercheurs nous transfèrent les data qu’ils ont générées dans le cadre du projet. A partir de ces données, nous construisons des modèles de prédiction pour chaque objectif. Puis nous générons des molécules virtuelles qui répondent au cahier des charges selon les modèles prédictifs. Le client choisit ensuite les molécules parmi celles proposées, les synthétise et les teste sur les différents objectifs, puis évalue les résultats obtenus par rapport au cahier des charges. Si une des molécules proposées par nous est conforme à tous les objectifs, c’est gagné !
En règle générale, les résultats obtenus avec nos clients demeurent confidentiels, pour des raisons évidentes liées à la propriété indutrielle. Cependant, nous avons toutefois pu présenter récemment les résultats de notre 1ère étude de cas (septembre 2018) réalisée avec Servier au congrès de la Fédération Européenne de Chimie Médicinale (EFMC).

Les suites du développement ?
Nous entamons une nouvelle levée de fond : nous avons besoin de continuer à investir car nous sommes convaincus qu’il y a encore plus de valeur à créer.
Un de nos axes prioritaires est le développement de notre produit Makya, une application en mode Saas qui industrialise nos savoir-faire et nos technos, pour les rendre directement accessibles aux chimistes dans les laboratoires. Notre objectif est de commercialiser Makya en 2019 auprès des clients les plus avancés.
Nous poursuivons également encore et toujours la recherche sur notre Intelligence Artificielle, pour la rendre utile et applicable à d’autres cas d’usages. Par exemple, nous aimerions pouvoir utiliser l’IA aussi en début de projet de recherche (et pas seulement à la fin), avec peu de données disponibles.
Quels enseignements pour Yann ?
Quand on commence à développer sa propre boite, on perd définitivement l’envie de retourner dans le salariat !
J’ai aujourd’hui une chance extraordinaire de pouvoir faire à la fois de la science et de l’entrepreneuriat. Cela permet à la fois d’être créatif et scientifique (ma passion), mais aussi concret et pragmatique, et d’avoir un réel impact sur la réalité…
Evidemment, la vie du co-créateur d’entreprise n’est pas facile tous les jours : nous passons par des moments de stress aussi, avec l’angoisse que les choses n’aillent pas plus vite, et l’œil fixé sur le solde du compte en banque, qui a une tendance inexorable à se vider au fur et à mesure qu’on le remplit !
C’est dans les moments difficiles que l’on se cale et se complète le plus avec mes associés. On mesure à chaque fois les progrès et la force de nos complémentarités.
Quelques conseils pour ceux qui voudraient se lancer ?
Lancez-vous !
