À ISlean consulting, nous aimons beaucoup Philippe Silberzahn. Entrepreneur, professeur en stratégie à l’EM Lyon et chercheur associé à l’école Polytechnique, il fut l’un des premiers créateurs de MOOC en France, avec un MOOC sur l’effectuation. Très prolixe sur son blog, ses articles sont toujours une source féconde de réflexion.

Il a écrit plusieurs livres, dont « Relevez le défi de l’innovation de rupture. » Le présent  article vise à vous en résumer l’essentiel et vous donner envie de le lire.

Ce livre est une synthèse inédite, et en français, des travaux de Clayton Christensen, le célèbre professeur d’Harvard spécialiste de l’innovation. Je vais vous en donner la substantifique moelle, en suivant son sommaire, et en m’appuyant sur des citations clés, mais il faut évidemment le lire en entier pour mieux s’imprégner des concepts et les appréhender. N’hésitez pas, le livre est facile et agréable à lire.

 

Première partie : la rupture et le dilemme de l’innovateur

Chapitre 1 : le dilemme de l’innovateur vu au travers de l’histoire de Kodak

L’exemple de Kodak montre qu’une entreprise meurt non pas d’avoir ignoré une innovation de rupture, mais d’avoir renoncé en pratique à agir pour la développer, en raison de son activité actuelle. L’entreprise est prisonnière de son modèle d’affaire.

Chapitre 2 : innovation, rupture et dynamique de marché.

L’innovation de rupture, contrairement à l’innovation continue, est une innovation qui nécessite pour l’acteur en place un modèle d’affaire différent du modèle d’affaire existant. C’est donc une notion relative (ce qui est rupture pour les uns n’est que continuité pour d’autres).

Il y a la rupture de nouveau marché (Nespresso) et la rupture par le bas, en offrant un produit simplifié et moins cher (les hôtels Formule 1).

Il y a 3 leviers qui transforment une industrie par une innovation de rupture :

  • Un développement de la technologie et des connaissances
  • De nouveaux modèles d’affaires qui définissent de nouvelles façons de créer de la valeur
  • Un nouveau réseau de valeur (parties prenantes, circuits de distribution,…)

 

Deuxième partie : la tragédie du modèle d’affaires

Chapitre 3 : rupture, de la technologie au modèle d’affaires

Deux causes d’échecs des acteurs en place face à une rupture technologique :

  • La nouvelle technologie tend à avoir une performance inférieure à l’actuelle sur le critère dominant de performance (exemple : la VOIP face aux réseaux télécom classiques)
  • La nouvelle technologie introduit de nouveaux critères de performance qui séduisent d’actuels non-consommateurs ; les acteurs en place ont tendance à consacrer leur énergie à la satisfaction de leurs clients actuels et à ignorer les non-consommateurs

Chapitre 4 : comment les ressources, processus et valeurs d’une entreprise déterminent sa réaction à une rupture.

Selon Christensen, un modèle d’affaire comprend trois composantes :

  • La proposition de valeur (ce que l’entreprise offre au client et justifie le choix de ce dernier)
  • La formule de profit (ce qui fait que l’entreprise gagne de l’argent par cette proposition)
  • La structure de l’entreprise au travers de ses Ressources, Processus, Valeurs (RPV)

Une rupture, qui correspond à une nouvelle typologie d’offre, basée sur des critères de performance nouveaux, appelle nécessairement des RPV différents. Cette différence de RPV explique pourquoi l’acteur en place ne trouve pas la rupture attractive. Sa réaction sera souvent d’essayer de conformer l’innovation à son RPV, ce qui ne peut réussir. D’où l’avantage des start-ups qui ne connaissent pas ce conflit identitaire.

Chapitre 5 : la rupture par le bas, le low-cost

La rupture par le bas est possible parce que dans leur volonté de satisfaire leurs clients les plus exigeants, les acteurs en place sont systématiquement attirés vers le haut de leur marché. Mais les clients normaux deviennent sur-servis. Les nouveaux entrants ont une structure (RPV) adaptée au low cost et l’acteur en place ne trouve pas attractif d’y répondre, et leur laisse le champ libre. A leur tour, une fois installés, les nouveaux entrants sont soumis à la même attraction vers le haut.

Seule réponse possible : créer une offre spécifique low-cost avec un ensemble RPV adapté.

 

Troisième partie : les mécanismes de la tragédie

Chapitre 6 : l’impératif de contrôle et la disparition de la capacité créative de l’organisation

Après la phase entrepreneuriale initiale, la croissance nécessite que soient mis en place des systèmes de gestion, qui instaurent une logique de contrôle et de mesure. A court terme, l’entreprise devient performante. Mais à long terme, ces mécanismes rigidifient la capacité d’innovation, en particulier de rupture, peu prédictible. L’enjeu est de trouver un équilibre entre contrôle et créativité.

Le livre montre une matrice performance / créativité et le positionnement de différentes entreprises (ou le voyage d’Apple dans cette matrice au long de son histoire).

Chapitre 7 : la tyrannie de la microdécision : les effets pervers de l’allocation de ressources

Le dilemme de l’innovateur prend effet dans ce qui motive les prises de décision à tous les niveaux de l’organisation, et en particulier les bases sur lesquelles les ressources (temps, argent, attention) sont allouées.

Tous les préceptes de bonne gestion conduisent à l’échec en situation de rupture. L’entreprise échoue parce qu’elle est trop bien gérée :

  • L’orientation client favorise les projets demandés par les clients actuels aux dépens des non-consommateurs (les clients futurs)
  • Les outils financiers sous-estiment le coût d’opportunité en situation de rupture.
  • On regarde les concurrents d’aujourd’hui au lieu de ceux de demain
  • Le besoin de contrôle et de prévision favorise l’investissement dans les projets certains aux dépens des projets incertains

 

Quatrième partie : éviter la tragédie

Chapitre 8 : la réponse tactique : protéger le projet d’innovation de rupture

La solution préconisée par Christensen est simple : loger l’innovation de rupture dans une entité séparée.

Les quatre erreurs à éviter :

  • Essayer d’aller trop vite: le marché est toujours petit au début, l’innovation n’est pas linéaire, le projet passe par la constitution d’un réseau de valeur avec des parties prenantes, ce qui est un processus lent et fastidieux (Nespresso a mis 21 ans à sortir chez Nestlé, avec deux échecs de lancement avant la réussite)
    • Mon commentaire : ce principe montre qu’il n’y a pas de formule magique. Oui le processus est long et chaotique. Mais nombre d’investisseurs ou de maisons-mères n’auront pas la patience d’attendre 21 ans comme Nestlé le retour sur investissement, et souvent à juste titre. La question de savoir si on a raison de s’entêter au nom d’une vision juste ou si on est sur de l’acharnement thérapeutique est au cœur de la valeur de l’investisseur
  • Singer l’entrepreneuriat en « échouant vite » : Philippe Silberzahn apporte ici des limites au fameux « fail fast » qui est mis en avant dans le Lean startup. Quelque chose peut échouer lors de premiers essais, mais peut au long cours réussir, cf. Nespresso.
    • Mon commentaire : je crois personnellement au « fail fast » dans le sens de la capacité à « pivoter » (autre mot à la mode). Il faut savoir parfois faire évoluer sa vision à l’épreuve des faits. La question de l’équilibre entre force de la vision et compromis avec les parties prenantes fait d’ailleurs l’objet d’un article de P.Silberzahn sur son blog.
  • Essayer d’être le premier : la théorie du « first mover advantage », reprise par le livre « océan bleu » est contredite par les faits. Beaucoup de leaders dans leurs domaines ont été des entrants tardifs.
    • Mon commentaire : la question n’est effectivement pas d’être le premier à entrer sur le marché lorsqu’il émerge. En revanche, elle est bien d’avoir réussi à occuper une position dominante sur le marché quand celui-ci est arrivé à maturité
  • Mal mesurer la progression du projet de rupture : il faut trouver le juste milieu entre un système de mesure inadapté et pas de mesures du tout. Par exemple, dans la phase d’émergence, on peut surveiller l’acquisition de parties prenantes.

Qui doit piloter le projet de rupture ? Réponse du livre : pas un profil de premier de la classe, mais plutôt un profil aventurier.

Chapitre 9 : la réponse stratégique : créer une capacité d’innovation de rupture

Ce qui ne marche pas :

  • Poser le problème en termes de créativité individuelle (le mythe de la boîte à idées)
  • Créer une entité « innovation »
  • Ne pas trouver l’équilibre entre autonomie complète et mise sous contrôle de l’entité séparée portant un projet innovant
  • Définir un processus officiel d’innovation

On peut chercher à créer une organisation dédiée aux « non-consommateurs » ou aux clients « sur-servis ».

On peut aussi s’inspirer de l’exemple d’IBM pour gérer l’innovation de rupture au sein de l’entreprise existante. IBM avait défini trois « horizons » pour ses activités, avec des modèles de gestion différents (d’après Garvin et Levesque en 2004).

  • L’horizon des activités actuelles, matures
  • L’horizon des activités en croissance
  • L’horizon des activités émergentes

Le tableau 9.1 proposé par Ph. Silberzahn d’après Garvin et Levesque dans son livre est une clé de lecture que j’ai trouvée particulièrement intéressante et que je recommande désormais à mes clients souhaitant réfléchir à ces questions.

Le livre développe ensuite des idées pour créer une capacité d’innovation de rupture autour de six axes :

  • Organisation
  • Processus
  • Culture
  • Humain
  • Systèmes de gestion
  • Parties prenantes

Je vous laisse découvrir à la lecture du livre les pistes développées sur chacun de ces axes. Il n’y a, encore une fois, pas de formule miracle. Mais des bonnes pratiques peuvent guider les entrepreneurs et investisseurs sur le chemin de l’innovation.

A noter, dans les annexes du livre, Ph. Silberzahn se livre à une analyse critique des critiques de Christensen qui est également éclairante.

Bonne lecture !