Dans un monde et une économie globalisée qui évoluent de plus en plus rapidement, l’innovation classique, incrémentale, n’est plus suffisante pour rester dans la course. Le cas Nokia, par exemple, illustre bien le fait que l’innovation par petites touches incrémentales ne suffit pas à maintenir un statut de leader face à la concurrence farouche des nouveaux acteurs du marché qui veulent monter en gamme.

Pour survivre, les entreprises doivent adopter un comportement révolutionnaire, l’innovation de rupture.

Voici des morceaux choisis d’un article très détaillé du site ParisTech Review :

Trouver le secret de la rupture réussie n’est pas donné à tout le monde. Pour commencer, il faut être capable, au nom d’une vision, de changer ce qui a toujours marché …

L’innovation incrémentale se déploie dans un contexte connu, dit de « conception réglée ». On modifie un objet, un service, un processus, pour le rendre plus performant. Dans le secteur automobile, le frein ABS ou le système Stop & Start (dispositif d’arrêt et de redémarrage automatique d’un moteur automobile), sont deux brillantes innovations incrémentales qui sont intervenues dans un espace conceptuel stable, avec des métiers, des produits et des architectures stables. Ce sont des prolongations de la réalité telle qu’elle existe déjà. On développe, mais en jouant sur seulement un ou deux paramètres, comme la vitesse ou l’efficacité énergétique.

Le chercheur de la rupture ne change pas seulement l’objet. Il change le regard porté sur l’objet. Dans un groupe aéronautique, par exemple, il renoncera à perfectionner un Rafale ou un F-18 et préférera inventer un drone. Les premiers sous marins nucléaires lanceurs d’engins offrent un bon cas d’école : ils avaient un problème pour transmettre des cordonnées à leurs missiles : ils savaient parfaitement où étaient leurs cibles mais ils ignoraient où eux mêmes se trouvaient ! La solution, ce fut un système d’auto positionnement par satellite. Depuis, celui-ci a été amélioré. Il a fait l’objet de nombreuses innovations technologiques incrémentales. Mais ce que l’on retiendra le plus, la vraie rupture, c’est son extension civile, le GPS qui équipe nos voitures. Parmi les ruptures majeures, on compte aussi le système d’exploitation Linux, la Logan low-cost de Renault ou encore le « cloud computing » (qui consiste à déporter sur des serveurs distants des traitements informatiques traditionnellement localisés sur le poste Client de l’utilisateur).

En matière de rupture, Dyson est devenue une légende. La compétition faisait rage dans les années 85-90 entre fabricants d’aspirateurs, chacun proposant sa petite innovation. En lançant l’aspirateur sans sac, Dyson fut le premier à oser bouleverser le business modèle du secteur, à prendre le risque de se priver du revenu de la vente des sacs. Sollicités d’innombrables fois par des chercheurs, les ténors comme Hoover et Rowenta avaient refusé de franchir le pas. Dyson l’outsider est donc devenu la référence, il a imposé son rythme à tous ses concurrents, contraints d’inclure dans leur gamme un aspirateur sans sac comme produit premium. La morale de l’histoire : inutile d’être le leader pour devenir la référence.

L’aventure d’Apple dans la téléphonie illustre bien à quel point l’identification d’une rupture est en soi un défi. Avant l’iPhone, Steve Jobs avait développé la tablette iPad, un projet qui devait lui permettre de lancer un nouveau type d’écran. Mais la tablette multitouches qu’on lui présenta était d’un maniement décevant et il la confia à un ergonome. Quand celui-ci est revenu avec la fonction « scrolling » (permettant de faire défiler l’écran verticalement et horizontalement avec son doigt ), Jobs a aussitôt compris qu’il avait sous les yeux une rupture majeure, y compris dans la téléphonie, que le « scrolling » était le verrou conceptuel capable de libérer tous les terminaux mobiles de la prison de l’écran. Le « scrolling » brise l’identité du téléphone. Apple, pourtant totalement absent jusque là dans la téléphonie, a donc lancé l’iPhone, avant même l’iPad, et il est devenu « la » référence sur le marché du smartphone. La rupture crée un nouveau marché.

Pour Benoît Sarazin, fondateur de Farwind Consulting et ancien élève de Telecom ParisTech, « pratiquer l’innovation de rupture, c’est créer un marché dont vous serez la référence, c’est à dire le seul acteur dont toutes les options stratégiques restent ouvertes ». La rupture a en effet un impact profond sur les trois piliers du business model : la proposition de valeur (j’offre quoi et à qui ?), l’architecture de valeur (comment j’installe pratiquement ma proposition avec mes clients et mes fournisseurs) et l’équation de profit (d’où viendront les revenus ?). Etre en tête constitue un avantage décisif.

Parallèlement au défi intellectuel de la rupture, émerge un défi managérial. Comment former ses équipes à la rupture ?

La chaire « Théories et méthodes de la conception innovante » de Mines ParisTech a développé une théorie du raisonnement de conception, la théorie C-K (pour Concept-knowledge).

La « théorie de la conception » montre que l’ingénieur du 21è siècle ne peut se contenter d’être un modélisateur et un optimisateur. Il doit développer une troisième capacité. Il doit devenir producteur de concepts novateurs en intégrant une vérité très nouvelle pour lui : le raisonnement artistique est plus sophistiqué et plus vaste que le raisonnement classique. Bref, l’architecte enveloppe l’ingénieur. Il doit garder à l’esprit que l’idée offrant le meilleur potentiel, le plus grand pouvoir d’expansion, est souvent la plus troublante. L’idée « folle » est parfois la plus sûre. Jamais l’A 380 n’aurait vu le jour si Airbus avait insisté sur l’extrapolation de ses modèles précédents et n’avait pas compris que pour un avion de cette taille, les principes constructifs ordinaires de la structure centrale étaient caducs.

Contrairement à l’innovation incrémentale, qui nécessite parfois des investissements colossaux, l’innovation de rupture ne coûte pas forcément très cher. Elle est parfois carrément frugale. Le très populaire iPod n’a pu être lancé en 2000, deux semaines à peine après l’effondrement de l’action Apple, en pleine explosion de la bulle Internet, que parce que son budget était insignifiant. Apple avait externalisé presque totalement la fabrication, se concentrant uniquement sur l’élément de rupture, en l’occurrence la célèbre molette.

La rupture impose un renversement des habitudes, qui n’est accepté que si certaines conditions sont réunies. Pour le savoir, explique Benoît Sarazin, il faut être à l’écoute des « signaux faibles », souvent paradoxaux, qu’émettent les acteurs du marché. Quand Skype se lance, c’est parce que ses dirigeants ont compris que la téléphonie peut désormais se passer d’un réseau propre. Les consommateurs y sont prêts.

source : http://www.paristechreview.com/2011/03/15/innovation-de-rupture-comment-rechercher-inimaginable/