Mes docteurs.com : au-delà du « pure player », un dispositif qui invite à repenser les rapports qu’entretient la personne avec sa santé.
Par le Dr Benoît Vincent et Philippe Kalousdian, Partner de ISlean consulting Santé
Mes-docteurs.com est un nouveau site dédié au conseil médical en ligne. Les promoteurs du site ont veillé à distinguer le conseil médical qui sera produit au niveau du site par une soixantaine de médecins, de l’avis médical qui lui s’inscrit réglementairement et économiquement dans le cadre d’une relation qui engage la responsabilité du professionnel qui le formule [1].
Le modèle économique repose facialement sur une facturation de 2,99 euros lorsque le conseil médical est délivré en moins de 48 heures et 4,99 euros lorsqu’il est formulé en moins de 15 minutes. Si un dialogue (qualifié de chat) s’engage entre le professionnel et l’internaute, le service est facturé 1,99 euro la minute. Les informations comportementales recueillies feront par ailleurs l’objet d’une transaction principalement avec les organismes assurantiels et l’industrie pharmaceutique.
Nul ne peut prédire le succès ou l’insuccès d’un tel dispositif [2], mais outre que mesdocteurs.com est récemment parvenu à intéresser les investisseurs à hauteur de 1,2 million d’euros, une telle démarche doit nécessairement inciter à reconsidérer la place de la personne soignée et des professionnels de santé au sein du système de soins ; à ce titre le développement de mesdocteurs.com mérite d’être suivi de près et si possible sans a priori.
Nous aborderons dans trois articles successifs ce que peut signifier le développement de mesdocteurs.com pour les utilisateurs, pour les professionnels de santé et pour les institutions et les pouvoirs publics.
Pour l’utilisateur un dispositif comme mesdocteurs.com.com va contribuer à faire émerger explicitement les mille questions que nous nous posons quotidiennement de façon plus ou moins prégnante sur notre santé : ces questions nous les abordons déjà de façon informelle avec certaines de nos relations sociales (choisies en raison d’une affinité réelle ou supposée avec le monde de la santé ou de la maladie, ou le plus souvent sans doute tout simplement compte tenu d’une proximité avec notre sphère intime) mais aussi dans une moindre mesure avec les professionnels de santé qui tous sont sollicités quotidiennement, en dehors de la stricte relation professionnelle rémunérée [3] et engageante, pour produire des conseils informels et non tracés.
Assurément, mesdocteurs.com va concourir à qualifier ce besoin de conseils médicaux qui aujourd’hui est peu ou mal entendu et dont en définitive on ne sait presque rien : dans quels registres les demandes formulées s’inscriront elles ? Dans un registre difficile à distinguer de la consultation médicale ou dans un registre plus gris et encore mal défini qui permettra à la personne de disposer d’une première énonciation médicalisée de ses préoccupations de santé : comment mieux qualifier ce que j’éprouve, que puis-je en faire, à qui puis je m’adresser ? De ce point de vue, mesdocteurs.com pourraient significativement alimenter les plans de santé publique en renouvelant notre lecture de la façon dont chaque personne interroge sa santé.
En créant une interface peu formelle entre le médecin et la personne, mesdocteurs.com s’inscrit dans un mouvement plus général et extraordinairement stimulé par les NTIC et l’internet qui se traduit tendanciellement par une augmentation du « concernement [4] » de chaque personne pour sa santé. Ce concernement ou (« empowerment ») qualifie et regroupe dans une même acception la propension et la capacité d’une personne à considérer sa santé. Deux mouvements, idéalement organisés en cercle vertueux caractérisent donc une approche d’empowerment : favoriser l’expression de la personne concernant sa santé ; mettre la personne en disposition de comprendre sa santé. Ainsi peut-on distinguer des approches d’empowerment qui mettent l’accent d’une part sur :
- L’expression non structurée de la personne (forum, chat, entre pairs ou entre personnes et professionnels de santé)
- L’expression qualitative structurée de la personne (scores qualités de vie, douleurs etc.)
- L’expression quantitative de la personne [5] (objets connectés mesurant les paramètres physiologiques de la personne)
D’autre part :
- Education thérapeutique [6]
- Informations de la personne (sites médicaux, mais aussi dispositifs d’annonce de consentement aux soins, mais encore mise à disposition des documents médicaux…)
- La plupart des programmes de prévention
De fait il est encore assez rare aujourd’hui que les deux mouvements soient considérés simultanément et de façon équilibrée au sein d’un même programme, même si des tentatives « non chimiquement pures » existent (en particulier les programmes de disease management).
Concernée par sa santé, en capacité d’exprimer ce concernement et informée de façon appropriée, la personne est l’acteur principal de sa santé et à ce titre s’enquiert davantage de celle-ci : quelle sera la contribution mesdocteurs.com dans ce mouvement et comment et dans quelle proportion les conseils médicaux qui seront produits contribueront ils à l’expression du concernement des personnes ?
[1] La formulation archétypale de cette relation est la consultation.
[2] Non isolé, d’autres start up ayant déjà investi ce champ.
[3] Le conseil pharmaceutique doit être considéré à part puisqu’il s’inscrit presque systématiquement dans une relation commerciale (la vente des médicaments ou des dispositifs médicaux) ; il n’en reste pas moins que ces conseils pharmaceutiques, extrêmement fréquents et souvent jugés précieux par ceux qui en bénéficient, partagent le caractère non tracés et non opposables des conseils informels formulés par les autres professions de santé.
[4] Un (quasi) néologisme est nécessaire pour traduire le terme d’« empowerment »
[5] Communément qualifiée de « quantified self »
[6] Cf. blog Islean "Développer l'éducation thérapeutique du patient grâce au numérique : une priorité"
A vomir .