Travaillerons-nous encore à l’horizon 2025 ? La révolution numérique est-elle la fossoyeuse du travail ou plutôt du travail tel que nous le connaissons ? Il est crucial de rester en capacité de questionner l’automatisation engendrée par le numérique afin d’en extraire les effets les plus bénéfiques et au contraire, de se prémunir de ses éventuelles dérives.

Le numérique et le travail : faut-il craindre l’automatisation ?

Après la machine-outil au XIXe puis le taylorisme, le numérique constitue la 3eme grande révolution industrielle et bouleverse en profondeur nos structures sociétales.

Il semblerait que les technologies modernes, mises au point par l’homme, prennent le dessus, et le reconditionnent : addiction aux écrans, temps d’attention réduit, désapprentissage de l’orthographe avec l’utilisation des correcteurs automatiques, potentiel désapprentissage à long terme de l’écriture avec l’utilisation de l’assistance vocale.

Le numérique impactant profondément et nos modes de vie et nos capacités cognitives, le monde du travail ne fait donc bien évidemment pas exception.

Derrière cet impact du numérique sur le monde du travail, réside la notion d’automatisation des tâches de plus en plus élaborées, rendue possible par les progrès technologiques, notamment l’Intelligence Artificielle (IA).

Alors, les machines vont-elles nous voler nos emplois ?

Oui, on peut l’imaginer, car, si les effets se font déjà sentir sur certains types de postes ne nécessitant pas d’apprentissage poussé, comme par exemple la substitution progressive des hôtes de caisse par des caisses automatiques ; les prévisions concernant les mutations futures du monde du travail, indiquent que certains emplois aujourd’hui considérés comme ayant une « forte valeur ajoutée » et accessibles uniquement après de longues études supérieures, sont voués à moyen terme, à disparaître : par exemple, les juristes seront remplacés par des algorithmes, capables en quelques secondes, de comparer et d’analyser mécaniquement des milliers de cas, ce qui serait impossible pour un individu si éduqué et talentueux soit-il.

Les prémices de ces effets de l’automatisation se font déjà sentir : les chirurgiens sont assistés depuis quelques années par des robots au bloc opératoire et certains types d’opérations (comme celle du cancer du pancréas) sont d’ores et déjà menées par des robots hyper sophistiqués, considérés comme étant capables de réaliser des gestes plus précis, plus minutieux et donc plus sûrs que les chirurgiens eux-mêmes.

Pour avoir une idée plus précise de l’impact de l’automatisation et pour le quantifier, il est aujourd’hui annoncé que 3 millions d’emplois seraient menacés en France d’ici 2025 ans et que 42% des emplois seraient automatisables, d’après une étude du cabinet Roland Berger.

Cette vision relativement alarmiste est soutenue par le philosophe Bernard Stiegler dans « La société automatique, l’avenir du travail, Tome 1»

Pour contourner les effets potentiellement dramatiques produits par une automatisation croissante, il suggère que le gain de productivité en résultant, soit redistribué aux travailleurs

C’est d’ailleurs bien de travail que Bernard Stiegler veut parler, en opposition à la notion d’emploi, qui selon lui est bel et bien voué à disparaître du fait de l’automatisation des tâches et de l’aliénation des individus à la machine.

Le travail est-il donc voué à disparaître ?

Non, pas forcément… D’ailleurs, l’idée derrière cette distinction opérée entre travail et emploi permet d’imaginer un monde où l’humain aurait encore un rôle à tenir et des tâches qui lui seraient complètement dévolues car non substituables par une machine ou un algorithme, si performants soient-ils. Stiegler parle ainsi de néguentropie, insistant sur la nécessité pour l’homme de remettre une forme de désordre et de désautomatiser la routine, une façon de reprendre le contrôle.

En outre, Stiegler nuance le scénario le plus alarmiste en rappelant que notre mode organisationnel sociétal capitaliste ne pourrait pas supporter une destruction de la moitié des postes actuels, pour entretenir notre système il faut un pouvoir d’achat minimum pour une majorité d’individus.

Donc l’automatisation, ça peut avoir du bon ?

À ce stade, il est intéressant de considérer la thèse de Jean-Noël Chaintreuil, qui voit cette révolution du monde du travail liée à l’avènement du numérique, d’un œil très positif :

Il considère le numérique et l’automatisation de certaines tâches comme des solutions permettant de réinjecter de l’humain dans notre monde du travail.

Pour résumer de façon caricaturale : le numérique instaure de nouveaux modes de communications et de partage de l’information, permettant un transfert des pouvoirs au sein de l’entreprise et rendant plus horizontales les structures hiérarchiques.

Il estime aussi que l’automatisation engendrée par le numérique, permet de « soulager » les individus des tâches pénibles et chronophages. Les individus pourraient alors se recentrer sur les tâches à forte valeur ajoutée et prendre davantage de temps pour échanger entre collaborateurs et ainsi recréer du lien humain.

Si l’on fait la synthèse des différents scénarii

Cette vision de Jean-Noël Chaintreuil élude l’idée de substitution de postes à forte valeur ajoutée par des machines. Il semble pourtant nécessaire de garder à l’esprit ce scénario « alarmiste » pour redevenir pleinement acteurs de la révolution que nous sommes en train de vivre, afin d’être certains qu’elle prenne le tournant le plus profitable à notre société et qu’elle soit surtout profitable au plus grand nombre.

Même s’il pourrait être tentant de se laisser porter par la vague, se persuadant que les effets néfastes ne seront qu’immédiats et que d’une révolution numérique échevelée naîtraient obligatoirement à terme de nouveaux postes, remplaçant ceux qui auraient été détruits, ainsi qu’une nouvelle et meilleure organisation sociétale, il paraît plus prudent de considérer la révolution numérique comme un moyen et non comme une fin et de savoir donc en brider parfois les élans les plus fous.

Il paraît salvateur de rester en capacité à questionner ce que l’on nomme progrès sans pour autant tomber dans des travers luddites, et surtout à questionner le rapport de l’homme au travail. Il paraît peu souhaitable d’imaginer un monde où l’homme se serait fait totalement supplanter par la machine, sur l’autel des gains de productivité.