Cet été j’ai voyagé au Liban. Bien qu’il ne soit pas vu comme une destination touristique de premier choix (le Proche et Moyen-Orient n’ont pas vraiment la cote en ce moment) le Liban s’est révélé être un pays plein de surprises et de richesses ; je le recommande donc !

Petit pays de 6 millions d’habitants, pas plus grand que le département français de la Gironde, le Liban est un pays d’une diversité culturelle incroyable, au carrefour des civilisations d’Orient et d’Occident, baigné par plusieurs millénaires d’histoire. C’est donc un pays qui bouge, qui se transforme, parfois contre son gré par les guerres civiles et les conflits avec ses proches voisins. Ce qui m’a marqué durant mes 15 jours de voyage et qui est la raison de cet article, ce sont les rencontres que j’ai faites, en particulier auprès d’entrepreneurs : en quoi le Liban est-il une terre d’entrepreneuriat ?

Depuis 2015, le Liban est 4ème au rang mondial pour l’entrepreneuriat

Le GEM (Global Entrepreneurship Monitor) édite chaque année un rapport sur l’état de l’entrepreneuriat dans le monde. Environ 50 pays (l’échantillon peut varier d’une année à l’autre) son passés à la loupe des chercheurs dont l’objectif est de sortir des indicateurs et analyses sur l’activité entrepreneuriale. En 2009, le Liban fait son entrée dans le rapport du GEM.

Depuis 2015, le Liban est classé au 4ème rang mondial (cf. Graphique 1). L’indicateur de mesure est le TEA : Total early-stage Entrepreneurial Activity. Le TEA mesure le taux d’activité entrepreneuriale totale à un stade précoce, c’est-à-dire la proportion de personnes interrogées déclarant être en phase de démarrage de leur activité.

Evolution TEA Liban

Graphique 1 – Evolution du TEA au Liban sur la période 2009-2018

 

Ce qui est marquant et encourageant pour l’entrepreneuriat au Liban c’est le taux d’activité établie similaire au TEA (environ 22%) ce qui montre une qualité des entrepreneurs en phase de démarrage et une efficacité des structures en soutien aux startups (cf. Graphique 2)

 

Activité Entrepreneuriale Liban

Graphique 2 – Evolution de l’activité entrepreneuriale au Liban de 2015 à 2018 – extrait du Rapport GEM 2018

 

Un esprit entrepreneurial ancré dans la culture libanaise

Les success stories libanaises sont nombreuses et ne datent pas d’aujourd’hui ! Citons par exemple Murex, multinationale leader dans le domaine des logiciels pour la finance de marché, fondée en 1986 par l’entrepreneur libanais Salim Eddé. Dans la même veine, Jacques Saadé fondateur du groupe CMA CGM, devenu le 3ème armateur mondial au début des années 80, alors que le Liban était en pleine guerre civile.

Plus récemment, nous pouvons citer les startups à succès comme Myki (solutions innovantes de cyber sécurité), FabricAid (startup sociale qui collecte, trie et distribue les vêtements d’occasion), Anghami (plateforme de musique en ligne, leader dans le monde Arabe), eTobb (plateforme de medtech pour les médecins et les patients), etc.

L’entrepreneuriat a bien le vent en poupe au Liban. J’ai eu la chance de rencontrer Nour Fakhoury, co-fondateur et CTO de Webneoo, agence digitale basée à Beirut. Nour et son associé Michel Achkar sont amis et entrepreneurs ; ils ont créé Webneoo il y a 7 ans déjà, et n’ont pas l’intention d’en rester là ! Ils ont récidivé début 2019 en créant leur 2ème entreprise Xilia, plateforme en ligne de mise en relation des agences digitales avec leurs clients, qui a été retenue parmi des centaines d’autres start-up pour participer au programme de l’accélérateur Speed Accelerator, avec en particulier un training program qui aura lieu à San Francisco dans la Silicon Valley cet automne.

 

Nour et Michel, fondateurs de Webneoo et Xilia

 

Une culture de la prise de risques, un marché ouvert et opportuniste, des ressources qualifiées : les éléments clés pour créer une startup nation ?

De multiples raisons peuvent expliquer l’essor de l’entrepreneuriat au Liban. Pour Nour, il y a déjà l’aspect administratif à prendre en compte : « c’est assez simple de créer une boite au Liban, d’un point de vue administratif, financier et logistique (contrairement à la France par exemple) ». En l’occurrence, le gouvernement libanais a commencé à mettre en place des mesures facilitant le développement d’entreprises (taux d’impôts faibles, développement des infrastructures, faible régulation sur les investissements étrangers, etc.), en particulier dans les nouvelles technologies avec la mise en place de la circulaire 331 depuis 2013 permettant aux banques d’investir plus facilement et avec moins de risques dans les sociétés de l’économie de la connaissance. Incubateurs et accélérateurs se sont alors fortement développés ces 5 dernières années.

Aussi, la culture libanaise est marquée par une mentalité internationale, commerciale et entrepreneuriale. Une prise de risque naturelle chez les libanais, ayant vécu plus de 25 ans de guerre civile, ne sachant pas de quoi demain sera fait, il est plus facile de se lancer dans l’entrepreneuriat sans crainte de l’échec, tout relatif par rapport aux risques de la guerre.

On peut évoquer aussi la population jeune, très qualifiée et compétitive sur le marché de l’emploi, ayant en grande majorité réalisé un cursus universitaire à l’étranger ; une ouverture d’esprit nécessaire à la création d’entreprise. Nour témoigne des débuts de Webneoo : « je suis ingénieur en télécom de formation. Michel a aussi une formation d’ingénieur, il a fait ses études en France et est revenu au Liban pour finir son master. C’est à ce moment qu’on a décidé de créer notre start-up. Ce n’était ni par nécessité, ni par vocation mais tout simplement par opportunité. Michel a lancé l’idée, je l’ai suivi ! On a commencé par un projet de site internet qui nous a pris plusieurs mois pour 50 dollars. C’était un projet challengeant, sur un sujet qu’on ne maîtrisait pas, ça ne nous a pas rapporté beaucoup d’argent mais on a beaucoup appris. C’est comme ça que ça se passe l’entrepreneuriat : apprendre et avancer. »

Enfin, le marché libanais en plein essor est favorable à la création d’entreprise et offre des opportunités : un libéralisme poussé, un système bancaire sophistiqué, la privatisation d’un ensemble d’entreprises publiques, les besoins en modernisation, des ressources naturelles (pétrole et gaz) favorisant l’investissement, etc.

Nour et Michel ont quant à eux surfé sur la vague de l’internet : « l’explosion d’internet est récente au Liban : il y a 7 ans quand on a créé Webneoo les forfaits internet étaient très chers et la bande passante faible. Depuis, des mesures ont été prises et on a observé une franche amélioration de la qualité et de la rapidité de l’accès à internet. Ça a créé un boom économique : tout le monde voulait son site internet, se lançait dans le digital ! On a senti le changement ces dernières années ; nous sommes hébergés à la Beirut Digital District et la plupart des start-up que nous côtoyons ici sont elles aussi dans le digital et les high-tech. Autre exemple, c’est l’explosion de la demande des sites de e-commerces (quasiment 80% de nos projets cette année) : les particuliers sont de plus en plus familiarisés avec les concepts de vente sur les sites web et les nouvelles technologies ce qui poussent les commerçants à développer leurs sites de vente en ligne. Du coup, les investisseurs prennent davantage au sérieux les entrepreneurs qui se lancent dans des projets digitaux. »

Encore peu de répercussions sur l’emploi et des freins au développement de l’entrepreneuriat

Cependant, des points noirs restent au tableau. Le TEA, bien que très élevé, a encore enregistré une baisse en 2018. De plus, l’impact sur l’emploi n’est pas encore marquant. Peu de start-up envisagent d’embaucher dans les années à venir : seulement 3,7% des nouvelles entreprises envisagent de recruter plus de 6 personnes dans les 5 prochaines années (cf. figure 1).

Figure 1 – Emplois, exportation et innovation (en % du TEA) en 2018 – extrait du rapport GEM 2018

 

Il faut aussi distinguer deux types d’entrepreneuriat : par nécessité ou par opportunité. Une part importante des libanais créent leur propre entreprise par nécessité, en particulier face au fort taux de chômage des jeunes au Liban (environ 35%).

Figure 2 – Motivations pour entreprendre (en % du TEA) en 2018 – extrait du rapport GEM 2018

 

Enfin, le Liban a connu une guerre civile (1975-1990) qui a largement impacté son développement économique. La période qui s’en suivi a marqué un renouveau économique mais le pays est toujours empreint d’instabilité politique et limité par le manque d’infrastructures (système public largement perçu comme corrompu, guerres politiques et économiques avec les proches voisins, etc.). Selon Nour, l’instabilité politique joue sur l’économie du pays : « les conflits politiques créent des crises économiques : taxes, chute de la livre libanaise, crise de paiement… Par exemple, il y a beaucoup d’endettement dans les entreprises. Nous avons beaucoup de créances auprès de nos clients qui paient parfois sur 12 mois ! Cela peut être compliqué pour une nouvelle entreprise de survivre car il y a toujours un risque de manquer de trésorerie sur les premières années de sa création, ce qui peut limiter les investissements, les emplois par exemple et parfois même mener à la chute de la start-up. »

 

Remerciements : un grand merci à Nour pour son témoignage précieux et ses éclairages sur sa vision de l’entrepreneuriat au Liban.