Après avoir procrastiné pendant plusieurs mois, et donc avoir tout oublié ou presque de cet ouvrage, je le survole une seconde fois pour vous en faire un résumé, car il le mérite.
L’ouvrage (en anglais) de Scott Berkun « The Myths of Innovation » permet de poser un certain nombre de fondamentaux concernant l’innovation. Notons au préalable que le terme « Innovation » est probablement employé à tort et à travers de nos jours et ce dans tous les pays du monde. J’en comprends que c’est encore plus vrai aux États-Unis. Et c’est là où je me dois de prévenir le lecteur français : cet ouvrage a d’immenses mérites, mais son impact est à mon avis un peu moins important pour le lecteur français que pour le lecteur américain, saturé depuis longtemps par l’emploi permanent du mot innovation et des légendes colportées autour, ne serait-ce que pour des raisons de marketing n’ayant rien à voir avec l’innovation.
Le terme étant souvent galvaudé, quelle est la définition du terme « Innovation » principalement retenue par Scott Berkun ? Une innovation c’est tout simplement un changement significatif positif « Significant Positive Change ».
Deux conséquences importantes de cette définition simplissime :
- les affirmations du type « nous innovons tous les jours » sont incompatibles avec cette définition. Et je comprends également qu’elle permet de distinguer amélioration continue et innovation, sur la base du raisonnement : « si on fait des changements tous les jours ils s’agit d’évolutions incrémentales et pas d’innovations ».
- c’est le « client » (ou l’utilisateur) qui détermine s’il s’agit d’un changement significatif positif ou pas. Si l’idée à l’origine d’une innovation était dans l’air depuis longtemps mais que personne ne l’avait concrétisée ou ne lui avait fait rencontrer son marché, c’est bien une innovation, au moins pour certains clients ou segments de clients.
L’auteur démonte ensuite, minutieusement, point par point et avec force exemples (c’est là une des grandes qualités de l’ouvrage), 10 mythes et légendes sur l’innovation. Même le lecteur français, à qui l’Education Nationale a consciencieusement épargné toutes les bases de l’économie de marché, connait ces mythes car comme le rappelle l’auteur, ce sont des légendes commodes (qui flattent la paresse naturelle du cerveau) et agréables (qui nous font rêver).
Quelles sont ces légendes ?
Mythe n°1 : le mythe de l’épiphanie…
ou le mythe de la nuit mystique (comme l’appelait mon prof de Philo – tiens je ne pensais pas que je me rappellerais un jour quelque chose de mes cours de philo en terminale). En bref il démonte par exemple le mythe bien connu de Newton ayant trouvé la loi de gravitation après avoir reçu une pomme sur la tête en faisant la sieste ou le mythe d’Archimède s’exclamant « Eureka » en prenant son bain. Grâce notamment à Gotlib et Goscinny nous connaissons tous parfaitement ces légendes.

de Scott Berkun – The Myths of Innovation – L’épiphanie n’est que le moment où la dernière pièce du puzzle se met en place. Néanmoins ce moment n’est pas ni plus ni moins remarquable que toutes les étapes précédentes qui ont progressivement amené la mise en place du puzzle.
Mythe n°2 : Nous connaissons parfaitement l’histoire des innovations passées : l’histoire qui nous est présentée / racontée est factuelle et la seule possible.
L’auteur montre comment sont présentés les innovations et les innovateurs :
- en oubliant que bien souvent ces innovations n’ont pas été perçues comme telle à l’époque,
- en présentant leur histoire de manière évidente et logique
- comme une nécessité dans la marche du monde
- en présentant uniquement les succès et pas les échecs (et là la responsabilité est partagée entre les historiens et leurs lecteurs) : c’est le phénomène du « Dominant Design » :
A ce titre je recommande également à ceux qui aiment lire, l’excellentissime roman de Iain Pears : Le cercle de la croix (An Instance of the Fingerpost – en anglais) qui illustre, de main de maître, comment des mêmes faits peuvent être présentés de manière radicalement différente.

de Scott Berkun – The Myths of Innovation – La frise chronologique ne montre qu’un des chemins ayant mené à une innovation
Mythe n°3 : il y a une méthode pour innover
Malheureusement non, il n’y a pas de méthode toute faite pour innover. Il s’agit d’un mythe identique à celui auquel vous succombez lorsque vous achetez « des plats de grand chef 3 étoiles au Michelin à 0% de matière grasse » ou que vous récupérez des cartes de marabout-voyant-médium-guérisseur qui solutionnent tous vos problèmes y compris même le démarrage de votre moto russe. L’auteur cite John Cage (compositeur) « It does not matter where you start, as long as you start » pour illustrer que l’important c’est de commencer et d’ajuster si besoin sa trajectoire en permanence au fil des actions et pas d’essayer de bâtir un plan d’action visant à supprimer ou contenir tous les risques. Innover implique avant tout d’accepter de prendre des risques.
Pour autant et même s’il n’y a pas de méthode sur étagère, l’auteur liste des éléments fondamentaux que l’on retrouve généralement dans tous les travaux d’innovation, puis les illustre par des exemples frappant tels que ceux de Flickr, 3M (avec les Post-It) et Craigslist.
Mythe n°4 : les gens aiment les idées nouvelles
et bien non ce n’est pas vrai. Nous aimons les idées nouvelles… mais qui ont déjà été testées par d’autres.
Et oui c’est décevant mais sachez que même les plus grands inventeurs lisent parfois les critiques de cinéma, achètent des meubles Ikea ou regardent tripadvisor pour choisir un hôtel ou un restaurant… ou les trois à la fois.
De même soyez prêt et blindé face à toutes les réactions de rejet. Tous les porteurs d’innovation entendent un jour ou l’autre des commentaires du type « ça ne marchera jamais » ; « personne ne voudra de ça » ; « c’est un problème certes mais tout le monde s’en fiche » ; « Prenez la porte immédiatement » ; … Les exemples sont savoureux et parfois bien connus : du commentaire du fondateur de Digital Equipment Corporation sur les ordinateurs personnels, aux commentaires des critiques d’art sur la tour Eiffel, en passant par les 150 ans qu’il a fallu au 17e siècle à la marine anglaise, la plus puissante et moderne à l’époque, pour généraliser le remède contre le scorbut. La théorie de Clayton M. Christensen « The Innovator’s Dilemma » est décortiquée et abordée via un exemple historique célèbre : l’invention du téléphone par Graham Bell.
Mythe n°5 : le mythe de l’inventeur solitaire
où l’on apprend que c’est bien pratique et sympathique de faire croire à tout le monde qu’Edison a inventé les ampoules électriques. Mais la réalité est bien différente.
Par ailleurs l’auteur nous montre que c’est aussi une innovation moderne (depuis le 15e siècle) que de mettre un nom d’inventeur sur les innovations (vive le Marketing). Auparavant l’innovation était considérée comme une création divine avant tout.
Mythe n°6 : les bonnes idées sont difficiles à trouver
Faux : notre cerveau est fait pour créer et c’est même pour cela que l’espèce humaine a réussi à survivre et à surpasser toutes les autres espèces animales. Certes les systèmes éducatifs et professionnels, dans l’immense majorité des cas, favorisent la conformité et ne cultivent pas nos capacités, pourtant innées, de créativité.
Mythe n°7 : votre manager en connait plus que vous sur l’innovation… c’est d’ailleurs pour ça que c’est votre manager
Faux : l’auteur pointe l’incompatibilité entre management et innovation. Le management est guidé depuis toujours (c’est à dire depuis Taylor et la production industrielle de masse) par des objectifs de contrôle, d’optimisation et de maintien d’un environnement de travail prédictible (pour des résultats prédictibles). Rien à voir avec l’innovation. Partant de ce postulat, l’auteur décrit les cinq éléments ou challenges que tout innovateur doit relever et pour lesquels il peut utilement se faire aider par des managers.
Mythe n°8 : les meilleures idées gagnent toujours à la fin
Encore une fois l’auteur nous explique pourquoi c’est pratique pour les historiens de colporter ce mythe, mais les contre exemples sont légions : du tournevis Philips au clavier QWERTY en passant par le fusil M-16 des troupes américaines et le langage de développement Javascript. Dans la réalité le succès d’une innovation dépend de sa facilité d’utilisation ou d’adoption (vue utilisateurs) et de sa qualité ou richesse intrinsèque (vue d’expert). C’est un peu la même chose que pour un film ça marche très bien si, à la fois le bouche à oreille et les retours des critiques sont bons.

de Scott Berkun – The Myths of Innovation. Les innovations gagnantes sont celles qui combinent le mieux (et au bon moment) la facilité d’usage ou d’adoption et les qualités intrinsèques
Mythe n°9 : L’innovation c’est trouver des solutions pas résoudre des problèmes
L’auteur rappelle cette citation bien connue d’Einstein « Si j’avais 20 jours pour résoudre un problème, je passerais 19 jours à bien le comprendre et le définir avant de le résoudre ». Son conseil : définir les problèmes, prototyper des solutions qui résolvent ces problèmes, et comme dans toute innovation être prêt à pivoter pour prendre en compte les résultats de ses prototypes ou de ses travaux en général, voire à partir sur tout à fait autre chose que les problèmes initiaux (l’auteur rappelle les exemples de sérendipité que sont l’invention du four micro-onde, du nylon, du Viagra, des rayons X, …)
Mythe n°10 : L’innovation c’est bien (toujours)
Malheureusement non, et toute innovation a des bons et de moins bons aspects. Tout est question de point de vue (l’innovation est-elle bonne pour l’innovateur ? pour une catégorie de population ? pour une industrie ? pour un pays ? pour le monde entier ? pour le court terme ? pour le long terme ?, …). L’auteur montre les effets, bons et mauvais de plusieurs innovations majeures : le DDT, l’automobile, l’ordinateur personnel, les téléphones mobiles et explique pourquoi ces effets sont largement voire absolument imprévisibles.
Après avoir mis en pièce simplement et pédagogiquement ces dix mythes, l’auteur nous donne quelques conseils pratiques pour innover (essayer de) :
Conseil n°1 : « le plan simple » :
- sélectionnez une idée qui vous intéresse et démarrez quelque chose,
- oubliez l’innovation : essayez avant tout de bien faire les choses,
- si vous travaillez en équipe il vous faut un leader dans cette équipe et une nécessaire confiance entre les uns et les autres
- si les choses ne vont pas bien dans votre équipe à réduisez la taille de l’équipe
- soyez heureux de faire des erreurs (intéressantes).
Conseil n°2 : les trucs et astuces de l’innovation
- Rappelez-vous sans cesse que les mythes de l’innovation ne sont que des mythes. Répète 5 fois par jour « une idée est la combinaison d’autres idées pré-existantes »
- Pensez sans cesse à combiner ou modifier des combinaisons d’éléments existants
- Combattez vos inhibitions : être innovant ce n’est pas être plus intelligent que les autres c’est surtout avoir moins peur que les autres
- Prêtez attention à votre environnement de travail : il doit favoriser la créativité personnelle
- Cultivez les caractéristiques suivantes : volonté de faire, persévérance et opiniâtreté : les idées c’est facile, beaucoup en ont, beaucoup moins de personnes ont la volonté et l’opiniâtreté pour les mettre en œuvre. Comme disait le philosophe Michel Colucci (1944 – 1986) : « il avait des idées sur tout…, enfin, il avait surtout des idées ».
- Quelques trucs et astuces en vrac
Conseil n°3 : comment construire un pitch
Conseil n°4 : comment rester motivé
En synthèse un ouvrage pédagogique, simple, clair et qui fait souffler un vent d’optimisme bienvenu alors que la presse française nous distille à longueur de journée les mauvais indicateurs économiques et autres sondages sur le moral des français ou la côte de popularité de notre président.
On y croit, on a envie de relever les manches et de mettre les mains dans le cambouis… tout de suite.
Merci d’avoir tout résumé, quelques trucs vont me servir je pense 🙂
Très bon résumé, merci ! 🙂
Super ! Merci Eric !
Gosh, very good digest. Eric is a real pro!