Rencontre ISlean consulting
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Croix-Rouge française
Suite à son étude sur la rupture numérique dans les associations et les fédérations, ISlean consulting rencontre les décideurs du monde associatif.
Laurent Monnet est directeur des Systèmes d’Information de la Croix-Rouge française.Après un parcours et des responsabilités dans le secteur privé, Laurent Monnet rejoint la Croix-Rouge française en tant que DSI en 2003.Egalement intervenant à l’IAE de Paris, il contribue à la formation d’étudiants en management des associations, et participe avec d’autres décideurs du monde associatif au partage de bonnes pratiques et à la sensibilisation aux défis des associations. |
ISlean consulting – Au-delà de vos activités que nous allons décrire au sein de la Croix-Rouge, vous vous intéressez depuis longtemps à la fracture numérique. Quel est votre diagnostic début 2014 ?
Laurent Monnet –La fracture numérique se déplace : auparavant, la difficulté venait de la complexité d’utilisation des technologies et de leur prix. Cette difficulté a tendance à se réduire, car globalement les technologies qui survivent sont celles rapidement exploitables par les utilisateurs et dont le prix est justifié. Même la fracture générationnelle parait se réduire sur le terrain. La nouvelle fracture sera plus territoriale, déterminée par l’accès aux réseaux et à internet à haut débit nécessaire pour accéder aux nouveaux services (santé, formation, etc.).
ISlean consulting – La Croix-Rouge française semble très en active dans son utilisation des TIC (ex : twitter, Facebook, et surtout l’initiative de la tente Croix-Rouge dans le jeu en ligne Sims), quelle est votre vision de l’intérieur ?
Laurent Monnet –La Croix-Rouge française est une association au budget important (1,3 milliards d’euros), nécessaire pour mener les très nombreuses et très diverses missions avec les équipes de nos antennes locales : 54 000 bénévoles et 18 000 salariés, répartis sur 2 000 structures à travers la France.
Au-delà de la gestion des dons vitale au fonctionnement du modèle d’association caritative, la largeur du spectre de nos missions nous rend spécifiques dans le monde associatif (ex : gestion de maisons de retraite, d’établissements de santé, distribution alimentaire, etc.). Cela nous oblige à arbitrer en permanence les investissements SI et à développer des solutions pragmatiques pour le terrain.
Les attentes de chacun de nos métiers vis-à-vis des SI sont légitimement très fortes. Pour la distribution alimentaire, par exemple, le SI doit permettre de tracer les produits, depuis leur don et leur entrée dans notre réseau, jusqu’à leur distribution au bénéficiaire. Nos épiceries sociales doivent être capables d’éditer des factures (bien qu’il s’agisse de montants minimes par panier repas), et aussi de contrôler l’équilibre nutritionnel de chaque panier.
Notre budget SI reflète notre organisation : il représente globalement 1% du budget de fonctionnement de l’association et se divise en deux entre les actions et projets de l’équipe centrale et le niveau local. Face à cette complexité, nos moyens doivent être concentrés sur des systèmes efficaces et une organisation efficiente. Pour servir tant d’utilisateurs, nous ne sommes finalement que 45 personnes à la DSI !
ISlean consulting – Comment les SI sont-ils perçus des salariés et des bénévoles de la Croix-Rouge ?
Laurent Monnet – Notre structure, assez décentralisée, a pris de l’avance sur certains aspects vis-à-vis des technologies. Chez nous, la culture du BYOD existait avant que le terme soit repris par le marché ! Pour répondre aux besoins des utilisateurs (notamment bénévoles) de notre SI qui souhaitent pouvoir travailler facilement depuis n’importe quel endroit et à partir de leur propre matériel, nous avons dû depuis longtemps adapter de nombreuses applications pour offrir cette possibilité dans des conditions de sécurité acceptables. Nous avons appris à gérer très tôt cette liberté du terrain qui s’équipe selon ses besoins, et à lui faire confiance sur sa capacité prouvée à réduire les coûts. Cela crée d’autres problématiques mais nous privilégions cette confiance.
Je pense que les associations, y compris la Croix-Rouge, partagent avec les entreprises les bouleversements de leurs pratiques liés aux technologies. Toutes nos organisations se doivent d’aller plus loin dans le développement et l’usage du numérique. Le DSI a pour rôle d’accompagner les métiers, plus que jamais, en faisant œuvre de pédagogie dans un monde de plus en plus connecté.
ISlean consulting – Nous retrouvons dans votre discours des postures d’utilisateurs et des enjeux auxquels sont effectivement confrontées la plupart des organisations privées. Face à ces bouleversements, identifiez-vous des spécificités pour la Croix-Rouge ?
Laurent Monnet – Oui, à la Croix-Rouge, nous ne sommespas dans un réseau très hiérarchisé. Il nous faut donner du sens aux outils. L’une de nos principales richesses, ce sont nos bénévoles dont certains peuvent intervenir très ponctuellement. Comment percevoir l’outil informatique comme un véritable atout dans ces circonstances ? Si je reprends l’exemple de la distribution de denrées alimentaires : le fait d’entrer le contenu du panier dans un outil permet notamment de valoriser l’action réalisée notamment auprès de nos donateurs ou financeurs. Et cela permet à la Croix-Rouge de répondre aux besoins de traçabilité, et de rester un maillon fiable de cette action sociale auprès des donateurs.
ISlean consulting – On retrouve sur votre site internet les 3 axes principaux d’attentes de valeur du SI : la collecte de fonds (« je donne »), la formation (« je me forme ») et la mobilisation dans l’action de l’association (« je m’engage »). Votre retour d’expérience de l’apport sur chacun de ces axes est extrêmement intéressant. Pour commencer, quelle est la valeur des technologies pour la collecte de fonds ?
Laurent Monnet – L’impact du numérique sur la collecte de fonds est évidemment le plus visible et le plus avancé. Au-delà de ses actions auprès des entreprises, notre direction de la communication et du développement des ressources étoffe en permanence, et avec talent, les outils de collecte dont nous disposons. Nous étudions les bonnes idées qui peuvent venir de l’étranger, comme les nouveaux modes de collecte de fonds, tout en prenant en compte le rapport culturel au don en France. Nous avons par exemple lancé une campagne de participation de coureurs bénévoles aux marathon et semi-marathon de Paris avec des dossards Croix-Rouge. Cela nous permet de tester le modèle de levée de fonds sur un projet personnel. L’objectif de cette opération, inédite en France, est atteint sur le semi-marathon. Toutefois, malgré ces premiers résultats prometteurs, c’est encore tôt en France.
Ce qui est assez mûr, en revanche, c’est le besoin du donateur de savoir ce que devient son don : le SI peut aider à faire le lien entre le don et l’action. Notre site internet vise à donner le plus de transparence possible dans nos actions pour en assurer le suivi et la compréhension ainsi que d’en apprécier la cohérence. En parallèle, Il y a bien sûr un espace donateur en ligne pour faciliter la spontanéité et la régularité du don.
ISlean consulting – Quels sont les apports que vous attendez des technologies en matière de formation ?
Laurent Monnet – La Croix-Rouge a plusieurs enjeux et « publics » en matière de formation. D’abord, notre association assure des activités de formation initiales et continues dans les métiers sanitaires et sociaux, mais aussi, formations aux premiers secours pour le grand public. Par ailleurs, nous devons être en mesure de démultiplier l’impact de l’engagement de nos bénévoles, en les formant rapidement, qu’ils s’engagent pour deux heures ou deux décennies !
Nous ne devons pas non plus oublier nos précieux bénévoles en charge du fonctionnement de nos structures locales : ils sont environ 4 000 et ont, eux aussi, un besoin important de formation pour s’intégrer plus rapidement dans le réseau (et sa complexité !) et à l’environnement réglementaire de nos métiers (et leur complexité !).
Enfin, dans une perspective de pédagogie plus générale par l’information du grand public, nous avons commencé à partager nos données. En effet, l’open data, et la nouvelle version d’Etalab, vont permettre de mieux partager le savoir et l’expérience de notre association. Nous démarrons très modestement avec l’annuaire de nos établissements, mais c’est un premier pas !
ISlean consulting – Quels sont les apports des technologies en matière de mobilisation des équipes (bénévoles et salariés) ?
Laurent Monnet – Le bénévolat est en cours de mutation : face à des besoins d’actions des associations (malheureusement) plus nombreux, le bénévole s‘engage dans un projet, plutôt que de servir une cause associée à une « marque ». Notre page Facebook permet d’animer et de partager de nombreuses informations au sein de notre communauté de 250 000 internautes.
Pour revenir à nos moyens de formation, ce qui se passe au niveau de l’enseignement avec les MOOC est un bouleversement majeur.
ISlean consulting – Face à ces nombreux besoins et aux enjeux que vous indiquez, quelle est votre vision de l’année qui s’ouvre ?
Laurent Monnet – Nous vivons un tournant où il y a tant à faire que l’on regrette que les journées ne fassent que 24 heures ! Avec mon équipe, nous devons continuer à accompagner tous les membres de notre association dans leurs projets, avec toujours plus de rapidité et plus de services. Mon sentiment est qu’il va falloir aider les utilisateurs à tirer le meilleur parti des technologies qui s’offrent à eux et les aider à faire le tri entre toutes les solutions dans une logique de valeur ajoutée. Entre nos actions dans le secteur de la santé où l’on voit apparaitre de plus en plus d’objets connectés, et celui de la formation avec les MOOC dont nous parlions, ainsi que l’usage croissant du smartphone, l’année s’annonce riche en questions et en opportunités !
Plus d’informations sur la Croix-Rouge
Rencontre avec Louis-Alexandre Louvet et Louis-Aimé de Fouquières, ISlean consulting.