Guerric Poncet a interviewé pour Le Point le dirigeant du troisième hébergeur mondial, qui se positionne sur la transparence dans la gestion des données et les lieux d’installation des datacenters.
Octave Klaba est le fondateur et patron d’OVH, un géant français et européen des services sur Internet. Alors que les révélations n’en finissent plus sur la surveillance généralisée des citoyens, mise en oeuvre par les services de renseignements des grandes démocraties occidentales, il revient pour Le Point.fr sur les défis posés aux fournisseurs de services sur Internet.
SUR PRISM
Le Point.fr : Avez-vous été surpris par les révélations concernant Prism, le programme de surveillance globale de l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA) ?
Octave Klaba : Nous ne sommes pas vraiment surpris, disons que les soupçons que nous avons depuis des années se concrétisent.
Pensez-vous que les particuliers pourraient bouder les géants américains ?
Les particuliers aujourd’hui ne sont pas prêts à payer pour un compte de messagerie, même si chez Google, par exemple, les services sont basés sur la publicité, sur l’exploitation des données personnelles. Mon espoir est que les particuliers comprennent de plus en plus le modèle économique de ces boîtes-là. Les personnes sont la marchandise, veulent-elles le rester ? Les entreprises, elles, sont plus sensibles à la protection de leurs données.
Vous proposez un service de stockage de fichiers en ligne, hubiC, hébergé en France, pour concurrencer Dropbox, Google Drive ou encore SkyDrive. Est-il plus populaire après les révélations sur Prism ?
Oui, la croissance de ce service s’accélère dès qu’il y a des révélations de ce genre-là. Les accélérations correspondent aux moments où on parle beaucoup de la sécurité de données.
SUR LA TRANSPARENCE
Comme tous les fournisseurs de services sur Internet, vous recevez des requêtes des pouvoirs publics pour fournir des données sur vos clients. Pensez-vous qu’il soit pertinent de publier des statistiques sur ces requêtes, comme le fait Google avec son Transparency Report ?
Oui, nous avons réfléchi et nous nous sommes dit qu’il faudrait que nous le fassions. Nous avons écrit un article de blog il y a plusieurs semaines pour résumer les requêtes de l’année 2012. Mais le scandale Prism a éclaté au moment où nous voulions le mettre en ligne. Nous allons le publier en septembre, quand tout cela se sera un peu calmé, car nous ne voulons pas être assimilés à cette affaire.
Quelle est votre ligne de conduite avec les autorités ?
Nous n’avons rien à nous reprocher : nous travaillons avec la police dans le cadre de la loi et des demandes de juges. Vous savez, il est hors de question de jouer avec la confiance des clients, nous aurions beaucoup trop à perdre, ce serait catastrophique pour l’entreprise ! Nous faisons ce que la loi nous oblige à faire, et le reste ne nous concerne pas.
SUR LE CHOIX DU PAYS
Vous proposez à certains de vos clients de choisir où sont hébergées leurs données. Pourquoi ?
Cela fait 18 mois que nous proposons ce service, qui est recherché pour deux raisons.
D’abord, pour résoudre les problèmes de latence : pour éviter que l’internaute ne doive attendre trop longtemps, il faut héberger les données au plus près du visiteur.
Ensuite, cela permet de rassurer les clients par rapport aux situations dans les différents pays, ce qui inclut les révélations sur Prism dont on entend parler actuellement. Il y a aussi une problématique de sécurité : certains clients aiment bien avoir un hébergement de secours dans un autre centre de données, à plus de 200 kilomètres du premier. Ils craignent des choses variées, comme une catastrophe climatique, une coupure générale d’un site ou même une explosion nucléaire.(…)
Dans quels pays installez-vous vos centres de données ?
Nous avons choisi de travailler dans les pays dont la loi nous convient. Cela exclut par exemple les États-Unis, avec leur Patriot Act (loi antiterroriste), ou encore la Russie. En revanche, nous nous installons actuellement au Canada. Nos clients allemands nous demandent d’avoir un centre de données en Allemagne, car ils préfèrent les lois allemandes aux lois françaises. Nous réfléchissons donc à nous installer juste de l’autre côté du Rhin, à Kehl (la ville allemande collée à Strasbourg, NDLR).
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SUR LA FRANCE
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Quelles sont vos relations avec le monde politique en France ?
Nous sommes une entreprise relativement discrète : les politiques sont très loin de nous, et nous essayons de rester assez loin d’eux. Nous communiquons un peu plus, suite à la création des deux « clouds souverains ». Le politique a décidé la création de ces deux projets alors que cela existait déjà chez nous… Nous avons raté une opportunité parce que nous n’avions pas communiqué suffisamment.
Comptez-vous sur le gouvernement pour vous soutenir ?
Nous ne comptons pas sur les politiques pour changer les lois afin que notre vie soit meilleure ! Nous comptons sur les politiques pour que les lois soient les mêmes pour tous, et que nous ne soyons pas défavorisés face à nos concurrents étrangers. Internet est sans frontière. Les lois françaises peuvent avoir un impact très fort sur notre activité, les clients peuvent facilement partir.