La contrefaçon handicape le marché de l’art, mais c’était sans compter sur l’intelligence et l’ADN artificiels, qui promettent d’attribuer correctement les œuvres du passé et garantir celles de l’avenir.

L’ADN qui se cache dans l’œuvre d’un artiste

Le marché de l’art a atteint 63.7 milliards de dollars en 2017 (en hausse de 12% par rapport à 2015). Bien que la majorité des ressources publiques allouées à la lutte contre le crime dans le domaine de l’art se concentre sur le vol et le vandalisme, certains experts estiment que 20% de l’art exposé dans les grands musées serait faux ou contrefait. Les acquéreurs et assureurs ont alors tout intérêt à s’équiper pour s’assurer de l’authenticité des œuvres qui n’ont pas une chaîne de transmission avec une documentation complète, et éviter de se retrouver dans la même situation que le musée Terrus qui a découvert que la moitié de sa collection n’était pas authentique. Intelligence artificielle et ADN artificiel viennent à la rescousse.

Attention à l’orthographe

Faut-il toujours faire appel aux experts pour déterminer l’authenticité d’une œuvre de grand maître ou d’un artiste moins célèbre ? Lothar Malskat aurait probablement voulu éviter de se poursuivre en justice pour prouver officiellement qu’il est à l’origine de fresques qu’il était censé restaurer. Inclure des dindons, l’actrice Marlene Dietrich ou Rasputin dans une œuvre européenne du 13e siècle ne suffisait pas à faire réagir (certains pensaient même que les dindons étaient une preuve de la découverte des Amériques par les Vikings).

Glafira Rosales, elle, est responsable d’une arnaque à plus de 80 millions de dollars qui a porté un coup fatal à Knoedler & Company, une galerie New-Yorkaise avec 165 ans d’histoire. Dans le cas d’un Pollock vendu 17 millions, l’expert n’avait pas remarqué… qu’il manquait un « c » dans la signature.

Un docteur écrit une prescription illisible

Un « Pollok » matin midi et soir pendant 10 jours

D’autres outils sont bien sûr disponibles et renforcent le degré de confiance que l’on peut accorder à l’authenticité d’une œuvre : analyse Morellienne, rayons X, infrarouges, analyse chimique, etc.

Mais plus le temps passe, plus il y a espoir que les outils numériques puissent apporter un appui et éviter des cas similaires.

La classification supervisée pour les nuls

La classification supervisée est un outil statistique. A partir d’un ensemble d’éléments donnés sous forme numérique, un modèle (qui est en fait un algorithme) est capable d’apprendre à distinguer les éléments et à leur attribuer une classe. Tout le travail du fameux data scientist est de trouver les bonnes informations à fournir en entrée, trouver un modèle qui convient (une boîte noire avec une multitude de paramètres), et à trouver des paramètres qui lui permettent de se rapprocher le plus possible du résultat souhaité.

On dit qu’il s’agit d’un apprentissage supervisé parce que le modèle ajuste lui-même ses paramètres (c’est la phase d’apprentissage), et qu’on lui fournit des données annotées pour l’entraîner (on a déjà des exemples avec le résultat souhaité).

Le modèle est une boîte noire qui peut avoir plusieurs milliers de paramètres

Le modèle est une boîte noire qui peut avoir plusieurs milliers de paramètres

Une des dernières avancées dans la lutte contre la contrefaçon vient de la classification de dessins de grands artistes. Les chercheurs ont voulu savoir s’ils étaient capables d’apprendre à une machine à distinguer les dessins de Picasso et de Matisse d’autres dessins.

Après un pré-traitement destiné à décomposer le dessin en traits individuels et à les transformer en valeurs numériques qui les caractérisent, le modèle utilise ces nombres pour apprendre à distinguer les œuvres. Si le data scientist a bien choisi son modèle et les données à fournir, il pourra obtenir une séparation des classes satisfaisante  (voir animation).

C’est avec ce type de méthode que les scientifiques de l’université de Rutgers sont capables de déterminer à 100% si un dessin émane d’un artiste donné pour peu qu’ils aient accès à d’autres dessins dont on est quasiment certains qu’ils viennent de ce même artiste (traçabilité et analyses d’experts). Il suffit a priori d’une photo haute résolution du dessin. Il n’en faut pas plus pour se demander si une approche similaire permettra de faire de même avec des tableaux, pour lesquels ils faudra prendre en compte une multitude d’autres facteurs, y compris leur traçabilité. Des outils similaires sont déjà en place pour la reconnaissance faciale. Cela permet aux experts d’augmenter leur capacité à choisir les bonnes caractéristiques à étudier par la puissance de calcul d’une machine. L’auteur du papier, Ahmed Elgammal ne cache pas son enthousiasme :

« Si nous entraînons une machine pour qu’elle puisse identifier les styles à partir de caractéristiques moins intentionnelles que l’artiste dépeint inconsciemment, nous arriverons à détecter les contrefaçons. »

Génétique et liens de parenté

Envoyer son patrimoine génétique dans un laboratoire pour le faire analyser devient de plus en plus facile et accepté, pour le bonheur de sociétés comme 23andMe. Mais l’ADN pourrait servir à déterminer d’autres formes de liens.

Développée au Global Center for Innovation, à l’Université d’Etat de New York, une technologie d’imprégnation des œuvres par de l’ADN artificiel promet de mettre un terme à la recrudescence de faux et contrefaçons venant en nombres croissants de Chine.

La société d’assurance ARIS Title Insurance a racheté la technologie et a créé une spin-off qui doit la commercialiser, Provenire Authentication. La société propose des tampons qui imbibent une œuvre avec de l’ADN artificiel sans la dégrader. Il est probablement impossible de retirer toute l’ADN déposée, en tous cas pas sans endommager l’œuvre. Et les techniques de comparaison d’ADN sont aujourd’hui rodées.

Dans ce cas particulier, le tampon dépose de l’ADN encodant un message dans des micro-puits, dans lesquels le testeur ira ponctionner les molécules à tester (chaque puits n’est utilisable qu’une fois, mais les tests restent rares) et comparer le message à celui qui est stocké chez l’assureur. Ceci peut rassurer les galeries d’art qui se prémunissent contre les poursuites judiciaires, les artistes qui peuvent apposer leur signature sur les œuvres faites de leurs propres mains, et enfin les assureurs et investisseurs parce que le marché s’en verrait stabilisé. Il faudra par contre envisager d’autres techniques pour des œuvres digitales !